Vendredi dernier 20 janvier de violentes manifestations se sont produites à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso (ancienne République de Haute Volta au sein de l’AOF (Afrique Occidentale Française). Elles sont organisées pour exiger le départ immédiat des forces françaises encore sur le territoire burkinabé.
Les manifestations sont visiblement liées au putsch de l’armée qui en automne dernier a porté au pouvoir Ibrahim Traoré. Dès lundi Emmanuel Macron a demandé au Président (transitoire) Traoré de dire sa position face aux manifestants. Il ne fait aucun doute que Traoré a des relations privilégiées avec Poutine, il a fait récemment le voyage de Moscou. Comme au Mali, l’armée française (opération Barkhane) a été chassée. Ce sont en général les mercenaires russes de Wagner qui ont soutenu les révoltes et les putschs, ils se sont faits fort d’en finir avec la menaçante invasion djihadiste qui depuis la Lybie envahit tout le Sahel.
Voilà pour la lecture immédiate de cet évènement. Mais il faut bien admettre que la France est discréditée non seulement dans le Sahel et l’Afrique Occidentale, mais aussi dans le Maghreb et l’Afrique Équatoriale. Ce discrédit nous semble avoir des racines plus profondes, liées à la façon dont les gouvernements français successifs ont conçu la colonisation. Bien sûr il ne s’agit pas d’accréditer la thèse de la colonisation criminelle soutenue en haut lieu. Les Français ont créé écoles, hôpitaux, ils ont découvert et valorisé les ressources naturelles, ils ont tenté de pacifier des régions agitées par les séculaires rivalités tribales et raciales, notamment entre pasteurs et agriculteurs.
Mais tout a changé lorsque les premières perspectives de développement économique sont apparues. Dès la troisième République la France avait quadrillé ses possessions de l’Empire de réseaux de fonctionnaires formées à l’École coloniale, devenue en 1934 École de la France d’Outre Mer installée à Paris. Les militaires de la « Coloniale » formaient également une présence française reconnue et appréciée. Au début des années 1950 on découvre le « Tiers Monde », et le développement économique devient un objectif mondial. En Afrique française et coloniale la première étape du développement est manquée pour une bonne raison : les Français sont attirés par la planification. François Perroux et ses élèves de l’ISEA (institut Supérieur d’Économie Appliquée) sont persuadés qu’il faut « planifier pour développer » (un titre de Gunnar Myrdal, qui partage le prix Nobel avec Hayek, aux idées tout à fait opposées).
Alors les pays africains francophones vont se doter de réglementations nombreuses avec les « codes d’investissement » (les entreprises admises sur le territoire doivent réinvestir dans le pays même) et les infrastructures lourdes (parcs industriels). Au même moment les Anglais comme Peter Bauer plaident pour le libre-échange, qui n’est pas populaire ni politiquement correct puisque le Pape Paul VI publie l’Encyclique « Popularum Progressio » fortement influencée par le père Lebret, directeur d’Économie et Humanisme, ancien de l’ISEA et ami de Perroux.
Voici donc le nouveau visage de l’Afrique francophone : beaucoup d’administrations et de fonctionnaires, et peu d’entreprises et de commerçants (sauf indiens et libanais), beaucoup d’aide internationale et peu de capitaux rentables, beaucoup de corruption et peu de marchés internationaux. Parallèlement, après la dislocation de l’Empire par le Général de Gaulle en 1958, les coups d’Etat vont se succéder, et les dictatures vont se multiplier. La France joue un rôle dans ces secousses politiques, et n’hésite pas à intervenir militairement. En parallèle, les pays sous influence anglaise s’ouvrent au commerce et progressivement la belle langue française cède des points à l’anglais, langue du commerce mondial.
Voilà ce qui nous semble expliquer le discrédit qui frappe la France : l’élite africaine va occuper des emplois dans les grandes organisations internationales, les peuples pauvres et exploités par les dictatures se résolvent à l’émigration, et vers la France puisqu’ils sont francophones. Tout cela n’apparaît pas clairement aux yeux des populations africaines, et voilà comment elles se révoltent et manifestent contre la France qui d’après eux a semé la misère, les armes et les dictateurs.