Aujourd’hui est l’anniversaire des accords d’Evian : 18 mars 1961. Qui s’en soucie ? Sans doute 80 % des Français ignorent-ils ce que ces accords ont scellé. Les autres savent peut-être qu’ils préparent la fin de la guerre en Algérie, qui ne sera effective qu’après la proclamation de l’indépendance le 5 juillet 1962.
En réalité ces accords pèsent lourdement sur notre actualité. Ils pèsent sur le problème le plus débattu en France : l’immigration massive d’Algériens, sur trois générations désormais. . Mais ils pèsent aussi sur la richesse de notre pays, qui s’est privé de ressources énergétiques (gaz et pétrole), touristiques (côte méditerranéenne, ruines romaines, oasis), minières (fer), industrielles (sidérurgie). Ils pèsent enfin sur un peuple soumis à la dictature depuis 62 ans, une dictature qui a bien sûr mis l’argent dans les poches de la nomenklatura et a déclaré son alliance avec les Russes et le Sud global contre l’Occident et la France (le seul pays maghrébin et l’un des rares pays africains).
Il est peut-être utile de rappeler ce qu’ont été ces accords, d’autant plus que beaucoup de menteurs ont cru bon de réécrire l’histoire de l’Algérie « colonisée » – et Emmanuel Macron a été le premier des menteurs.
1° Evidemment aucune défaite militaire ne pouvait expliquer la signature des accords. Depuis le plan Challe établi au début 1960 les hostilités étaient terminées, seules quelques bandes de fellaghas continuaient à circuler de la frontière tunisienne vers le sud algérien et marocain, presque toutes cadrées et détruites par l’armée. Il faut se rappeler que dès l’accession au pouvoir du Général De Gaulle, le commandant de la willaya 4 Si Salah était venu à l’Elysée demander « la paix des braves » : l’Armée de Libération Nationale (ALN) déposait les armes. Le général De Gaulle l’a refusée (nous sommes en août 1958, dès septembre De Gaulle parle de « l’auto-détermination » du peuple algérien).
2° Il n’y avait aucun soutien de l’ALN de la part de la population des Français de Souche Nord- Africaine (FSNA, sigle pour désigner des arabes (minoritaires en Algérie) des berbères (kabyles), des chaouïas, etc.). Les relations entre cette population et les « pieds-noirs »1 étaient, notamment dans les villes, très pacifiques. Le comportement sera différent à partir des accords d’Evian, lorsque les futurs « Algériens » ont compris que la France allait se retirer : il valait mieux suivre les nouveaux maîtres dont on pouvait en effet attendre le pire.
3° N’ayant pas voulu négocier avec les dirigeants de l’ALN, le général de Gaulle a trouvé des « interlocuteurs valables », une petite équipe de dix membres (qui s’appelait GPRA Gouvernement Provisoire de la République Algérienne dont le chef sera Ahmed Ben Bella), faits prisonniers en 1946 au cours d’un survol de l’Algerie et emprisonnés à l’île d’Aix. Six négociateurs algériens vont faire le lien entre le GPRA et le gouvernement français, des échanges permanents vont se multiplier. Les propositions faites par les dix négociateurs français ont été de plus en plus généreuses pour la cause « algérienne ».
4° Le général de Gaulle était pressé d’en finir avec la guerre d’Algérie. Son projet, bien antérieur à 1958, était de faire de la France la puissance mondiale de la « troisième voie » , entre URSS et USA, entre communisme et capitalisme, à la tête des « non alignés », concept né de la conférence de Bandoeng (1955). Le projet avait été présenté par De Gaulle bien avant le 13 mai 1958.
5° Une première rédaction des accords stipulait que France et Algérie continueraient dans la voie d’un partenariat utile aux deux pays. Il est prévu en particulier que France et Algérie exploitent en commun les ressources du Sahara. il est créé un organisme à cet effet : l’OCRS Organisation Commune des Régions Sahariennes. Donc les ressources énergétiques et touristiques du Sahara resteraient à la disposition de la France, qui pourrait aussi poursuivre ses expériences atomiques dans le sud du Sahara.
6° Ayant compris la hâte de De gaulle pour en finir, d’autant que les chefs militaires opérant en Algérie avaient fait comprendre dès décembre 1960 leur hostilité à toute négociation avec les fellaghas, Ben Bella crée la surprise en demandant que soient exclues des accords les dispositions de l’OCRS : le Sahara c’est l’Algérie, dit-il. De Gaulle cède.
7° En revanche le sort des généraux sera de croupir en prison jusqu’en mai 1968. Challe et Zeller s’étaient rendus dès l’echec du putsch, Salan et Jouhaux ont été arrêtés en Algèrie. Le putsch est un échec parce que De Gaulle avait pris le soin de remplacer totalement les hauts gradés de l’armée présents en Algérie. Suit une période difficile pour les partisans de l’Algérie Française. Côté civil, un effort de coordination est tenté par Pierre Lagaillarde, ancien député d’Alger et l’un des chefs des « barricades » du 24 janvier 1960. Recherché mais évadé à Madrid, il crée l’OAS (Organisation Armée Secrète). En revanche les généraux seront arrêtés en métropole et demeureront dans les geôles françaises jusqu’en mai 1968 (De Gaulle ayant besoin du général Massu, commandant les troupes françaises en Allemagne pour en finir avec les pavés du quartier Saint Germain et la victoire des socialo-communistes (Mitterrand se voit président).
8°Le « cessez-le-feu » théoriquement mis en place par les accords ne sera jamais appliqué, en dépit des ordres du gouvernement français. D’une part les attentats se sont multipliés en Algérie, l’esquisse d’une négociation entre certains membres de l’OAS (Susini) et les Algériens, sera en échec durant cette année 1961, enfin se pose la question des harkis. Le gouvernement français interdit aux officiers français de rapatrier en France les soldats algériens sous leurs ordres qui se sont battus pour la France. Ceux qui n’ont pu être rapatriés seront massacrés (crime estimé à près de 400.000 hommes) ou victimes de crimes de guerre ( femmes et enfants concernés),leur nombre est estimé à 200 000 au moins.. D’autres s’organisent en maquis avec quelques officiers français : c’est le cas du maquis de l’Ouarsenis créée par le Bachagha Boualem. Une fois rapatriés en France la plupart d’entre eux seront parqués dans des camps infâmes2.
En conclusion, j’ai bien conscience d’avoir commis des imprécisions, voire des erreurs. Vous croirez sans doute à ma bonne foi. Je recommande aux sceptiques de lire le Journal Officiel du 5 juillet 1961 qui relate les débats au Sénat face au Premier Ministre de l’époque. Vous découvrirez que la plupart des sénateurs de l’époque, y compris et surtout François Mitterrand avaient parfaitement compris que les accords d’Evian étaient une honteuse trahison. Nous en payons le prix aujourd’hui, le peuple algérien aussi.
1 Eux-mêmes d’origines fort diverses : Français métropolitains (comme moi), maltais, italiens, espagnols, suisses, russes, tunisiens, etc.
2 Le bachaga Boualem, avec l’aide de Jacques Dominati, parvient à installer sa famille et ses hommes dans le camp de Mas Thibert, à côté d’Arles. Son fils sera ensuite le porte-parole des harkis disséminés en France dans des conditions lamentables. J’ai eu droit à l’amitié et l’hospitalité du Bachaga Boualem.