En dépit des nombreux commentaires que j’ai parcourus, je n’ai pas très bien compris le message qu’Emmanuel Macron voulait faire passer aux Français. Il se proposait d’expliquer à son bon peuple la situation de la guerre en Ukraine et la politique qu’elle lui inspirait. Il est vrai que la formule de l’interview n’est pas la plus évidente pour faire de la pédagogie, mais j’ai tout de même relevé que le Président nous avait présenté des évidences et des incohérences.
Evidences et Incohérences
Evidences : la guerre en Ukraine est une menace « existentielle » pour la France et l’Europe, en cas de succès Poutine envahirait tous les pays jadis colonisés par l’URSS, l’Europe n’est pas actuellement en mesure de résister et il faut en venir à une économie de guerre. Première incohérence : la France serait prête puisque le budget prévu par la Loi de Programmation Militaire a été doublé (mais deux fois rien égale rien), et parce que notre armée a montré sa puissance au Sahel. Evidences : Poutine est de plus en plus agressif et de plus en plus criminel, l’Ukraine n’a pas les armes qui lui seraient nécessaires, les Américains ont lâché prise et ce n’est pas Trump qui débloquera 60 milliards de dollars. Incohérence : peut-on calmer et neutraliser la Russie, la menace nucléaire peut-elle être sérieusement évoquée ? Evidence : les Français aimeraient bien avoir leur mot à dire, le Parlement s’est prononcé, mais la moitié de l’Assemblée n’a pas voté le traité avec l’Ukraine. Incohérence : on rassure le peuple mais on rappelle qu’il n’y a un chef militaire et un seul d’après la Constitution : le Président de la république – le peuple doit le soutenir, les partis doivent se regrouper derrière lui.
Un discours pour qui ?
Si j’ai fait un tour approximatif des évidences et des incohérences, il en ressort que ledit Président s’adressait à des clientèles différentes. S’il s’adressait au peuple, c’est parce que la campagne des européennes est désormais ouverte et que la compétition est mal partie pour les troupes de la majorité actuelle, il y a donc une opération de communication, Emmanuel Macron excelle dans cet art. Mais il s’adressait aussi à Poutine : il a clairement exprimé qu’il ne pouvait pas dévoiler le détail de ce qu’il ferait en cas de nouvelle agression, ce serait avancer trop tôt ses pions. Il s’adressait aussi à l’Europe : mobilisons-nous ensemble, rassemblez-vous derrière la France – un message de circonstance puisqu’il a reçu les trois Etats baltes mardi et qu’il rencontre le chancelier Scholz aujourd’hui même.
Un discours pour quoi ?
Mais à mon sens ce qui est le plus important dans le discours présidentiel, c’est le mystère de son « ambiguïté stratégique », conception qu’il a empruntée au vocabulaire des généraux de l’Ecole de guerre : je ne suis pas clair parce que çà permet de cacher ce que je ferais à l’autre suivant les cas, et avec quels moyens.
C’est un mystère parce que nul ne peut savoir la « ligne rouge » que dessine le Président Macron, puisqu’il dit qu’il s’adaptera au comportement de Poutine. Dans l’immédiat il ne considère pas Poutine comme un « ennemi » mais comme un « adversaire » : nous ne serions pas en guerre avec la Russie, nous ne serions pas belligérants au point d’envoyer des hommes de troupe en Ukraine et en uniforme. Mais nous pouvons accompagner nos livraisons d’armes.
De techniciens indispensables à leur utilisation par les Ukrainiens. Cependant, suivant ce que fera Poutine, nous pourrions devenir des ennemis. Autrement dit nous ne faisons pas la guerre aux côtés des Ukrainiens, mais nous soutenons la résistance de l’Ukraine agressée.
Nous sommes pacifistes et pacifiques dans le découlement d’une guerre. Et Emmanuel Macron de nous prendre pour des ignorants en se référant à l’expression de Churchill « le nerf de la paix ». C’est une formule qui se justifie avant l’ouverture des conflits, elle traduit en anglais le célèbre « si vis pacem, para bellum ». En aucun cas la formule ne saurait signifier que faire unilatéralement la paix met fin à la guerre – à moins de se rendre à l’ennemi. .
Je ne sais si je me fais aussi bien comprendre que le Président Macron, mais je crois qu’il a été en dehors du sujet. Il a situé sa position comme un choix entre gagner la guerre ou la perdre. Il ne veut pas que la Russie gagne la guerre – ce sur quoi tous les gens lucides sont d’accord. Mais le choix entre victoire et défaite est une évidence c’est un truisme de dire que l’on ne veut pas que l’ennemi gagne. Mais le vrai choix est ailleurs, et Emmanuel Macron l’a ignoré ou s’est défaussé : c’est le choix entre la liberté et la paix. Le Pape François a eu le mérite de dire « la paix vaut mieux que la liberté » : la seule issue quand la situation s’aggrave c’est de négocier. J’ai trouvé cette position scandaleuse, mais elle a le mérite de la clarté[1]. Pour l’instant, on ne sait pas si Emmanuel Macron a fait le choix de la liberté. Au lieu de spéculer sur les choix de l’ennemi, on doit se dire qu’il faut se battre contre toute atteinte à la liberté, d’où qu’elle vienne et quelle qu’elle soit. La paix s’accommode de la diplomatie, la liberté ne se négocie pas.
[1] Cf. mon article paru dans la Nouvelle Lettre du 11 mars (Actualité) Au Vatican : la paix avant la liberté ou l’inverse ? Le Pape François veut le « drapeau blanc » Jean Paul II demandait de se battre