Quel que soit le sort que l’Assemblée réservera au projet de loi sur la réforme des retraites, qu’une loi soit promulguée ou non, la NUPES et la CGT ont déjà décidé : les manifestations vont continuer, c’est à dire qu’on va continuer à généraliser et radicaliser le désordre. Ces braves gens ont un argument majeur : la démocratie c’est la voix du peuple, et la voix du peuple s’entend dans la rue. Il est fait explicitement référence à ce qui s’est passé en 2006 avec la loi CPE (Contrat Premier Emploi) qui a été supprimée par le Président Chirac alors même qu’il l’avait promulguée.
Mais Emmanuel Macron n’est pas Jacques Chirac. Bien que tout aussi ivre de pouvoir personnel, il est bien plus créatif, bien plus « progressiste », et il ne va pas renoncer. Même si le 49-3 est finalement utilisé il ne va rien perdre de sa superbe et multipliera les effets d’annonce qui distraient l’opinion publique, en particulier il va nous régaler d’un programme de réformes : constitutionnalisation de l’IVG, nouvelle loi sur l’immigration, révision de l’indemnisation du chômage, et bien entendu la référence permanente au contexte mondial et européen, domaine réservé de la Présidence dans notre Constitution. La seule ombre au tableau est le sort à réserver à Madame Borne : va-t-elle jouer les fusibles et sauter, vocation naturelle des Premiers Ministres, mais par qui la remplacer ? Avec ou sans majorité parlementaire, Emmanuel Macron poursuivra, au prix de délires successifs.
Je m’interrogeais en janvier dernier : « Les semaines à venir : guerre civile ou coup d’Etat ? »[1] Ma réponse était : ni l’une ni l’autre. Je rappelle une partie de mon analyse :
Guerre civile : non, les syndicats et la rue font la loi Pour qu’il y ait guerre, il faut des belligérants. Le gouvernement de Madame Borne a-t-il l’intention d’utiliser la force publique pour empêcher la CGT de bloquer les raffineries, pour faire rouler les trains malgré les cheminots grévistes, de faire ouvrir les classes désertées par les enseignants ? La première Ministre en a appelé à la responsabilité des syndicats. Mais, bien que totalement unis, les syndicats ont-ils été un jour responsables ? […]
Coup d’Etat ? Non : le Président demeurera tranquille Emmanuel Macron n’a donc aucun intérêt à prendre le risque d’une cohabitation. Il peut poursuivre le projet de grandes réformes qu’il a annoncé. Certaines réformes n’auront pas beaucoup de chances (comme la loi sur l’immigration), mais d’autres peuvent être adoptées, notamment les réformes « sociétales » qui ont toujours été prioritaires dans son esprit.
Je ne crois pas devoir changer aujourd’hui mon analyse. Certes le recours au 49-3 perturberait le climat politique. Le front syndical serait brisé, seuls CGT et autres syndicats révolutionnaires continueraient à bloquer périodiquement la vie des Français. Mais si Olivier Veran le génial porte-parole du gouvernement annonce que le gouvernement n’aura pas à recourir à l’article honni, c’est que l’accord passé « avec l’opposition responsable » (et les termes sont bien choisis) est déjà acquis. Et de toutes façons le fusible Borne sauterait et on repartirait pour un tour.
Toutefois je crois qu’il ne faut pas s’en tenir à ces propos finalement contingents et aléatoires, il faut aller au fond du problème : qu’est-ce qui ne va pas dans la démocratie française ? Certes la démocratie représentative, ou dite telle, a des problèmes dans la plupart des pays libres, ou dits tels. Mais en France la crise de la démocratie est d’une gravité exceptionnelle. J’énumère tout ce qui me semble dramatique :
- La représentativité des élus nationaux est ridicule : la moitié des Français s’est abstenue, et la « majorité » de l’Assemblée Nationale a été élue par un petit quart des électeurs. La loi électorale (rejet de toute représentation proportionnelle) et le quinquennat en sont grandement la cause.
- Le discrédit du Parlement provient du comportement des députés NUPES, et de certains ministres, mais aussi des élucubrations du Président sur la « démocratie délibérative » avec les CNR (Conseil National de la Refondation) et les Conventions Citoyennes qui se sont multipliées (mais la CC sur le Climat a fait beaucoup de dégâts)
- La société civile se réduit aux « partenaires sociaux », eux-mêmes non représentatifs, qu’il s’agisse des syndicats de salariés ou des instances patronales. Le pouvoir syndical est sans limite, le « droit de grève » et le droit social sont des atteintes à l’état de droit
- La classe politique a rejeté toute doctrine et ne s’intéresse qu’au clientélisme électoral, ce « pragmatisme » se nourrit de la pensée unique à base de lutte des classes, d’égalitarisme, d’écologisme et de protectionnisme. La voie est ouverte à la démagogie et à l’irresponsabilité.
- Enfin et non le moindre, le libéralisme, seule doctrine qui porte l’espoir d’un changement systémique, est exclu du débat public. A ce jour aucun parti reconnu ne le porte ni ne le comprend. Cela explique d’ailleurs la non-représentativité des élus, l’abstention massive, puisqu’aucune offre politique nouvelle n’est faite aux électeurs. Le vote libéral a représenté en particulier en 2017 un nombre d’électeurs bien plus élevé que le vote vert ou le vote socialiste ou communiste, mais il n’en a jamais été tenu compte dans la classe politique. Notre rôle est précisément d’en finir avec ce complot du silence autour de la liberté.
Seule une campagne pour le libéralisme peut réveiller l’intérêt des Français, aujourd’hui désabusés voire scandalisés par ce qui se passe, par la violence, la haine, le mensonge et la corruption. Faisons vivre la liberté, la responsabilité, la propriété et la dignité des êtres humains : carré magique de la vraie doctrine libérale
Jacques Garello
[1] Nouvelle Lettre actualité 14 janvier 2023