Puisque la campagne des européennes est largement ouverte, il serait bon de se rappeler qu’un traité a été signé par six pays, et six seulement1, pour donner à l’Europe un sens et des règles tout à ait à l’opposé de l’actuelle Union Européenne. Les élections de 2024 seraient peut-être l’occasion de revenir au traité de Rome. Mais quelles en étaient les clauses ?2 .
Le traité a été pris à l’initiative d’ Alcide de Gasperi, alors Président du Conseil italien, Konrad Adenauer, Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne, et Maurice Schuman, Ministre des Affaires Etrangères dans le gouvernement français de l’époque. Il a été préparé au Vatican, car son inspiration est bien catholique, se référant en particulier au concept de subsidiarité3.
Ce traité veut se démarquer du traité de Paris signé en 1951 instaurant la CECA (Communauté Européenne Charbon Acier) : les Six de Rome rejettent l’idée que l’Europe puisse prétendre être une nation avec des institutions spécifiques. L’Europe ne peut être une puissance politique autonome, se substituant aux Etats.
A cette Europe puissance le traité de Rome oppose l’Europe espace : une liberté de circulation, un marché commun à l’intérieur duquel des peuples opposés par un siècle de haine et de guerre apprendront à se mieux reconnaître. Marché commun : le « doux commerce » dont Montesquieu expliquait qu’il créait la paix. Le traité reconnaissait quatre libertés fondamentales : liberté de circuler, liberté d’échanger, liberté d’entreprendre, liberté d’investir. L’institution majeure pour mettre en œuvre ces libertés sera la « mutuelle reconnaissance des normes ».
La mutuelle reconnaissance des normes signifie que lorsqu’une norme a été adoptée par un pays, les autres pays doivent considérer qu’elle s’applique dans les échanges avec ce pays. Un arrêt de la Cour de Justice Européenne (créée par le traité) règle l’affaire du Cassis de Dijon4 : si la fabrication de cette liqueur est réglé par des normes françaises, les Allemands ne peuvent la bloquer à leurs frontières au prétexte que ce n’est ni un vin ni une liqueur suivant les normes allemandes. Inversement les bières allemandes peuvent être importées en France même si les Allemands exigent que leur bière soit brassée avec de l’eau des rivières allemandes.
Ce principe est immédiatement applicable aux produits industriels, d’abord pour les échanges entre les six, puis pour les échangees avec dautres pays extérieurs : le Taroif Extérieur Commun disparaît dans un an après le traité. En revanche l’agriculture échappe à la mutuelle reconnaissance des normes : il y a une Politique Agricole Commune qui s’oppose à un marché unique : prix et quantités fixés par Bruxelles, et souveraineté nationale pour la plupart des produits de l’agriculture.
Le traité de Rome sera balayé par la création et l’élargissement de l’Union Européenne, et par le traité de Maastricht conçu par jacques Delors. Dès Giscard d’Estaing, chargé de rédiger une Constitution Européenne, on va créer et développer une Europe supranationale, dont le pouvoir central (celui de la présidence de la Commission) est incontrôlé par un Parlement simplement consultatif et sans pouvoir budgétaire.
Ainsi est l’Europe d’aujourd’hui. Il est nécessaire d’en revenir au traité de Rome le 9 juin prochain. Mais quel parti va-t-il proposer une telle révolution ?
1 Italie, Allemagne, France Belgique, Luxembourg, Pays Bas
2 Le Figaro d’aujourd’hui a la bonne idée de rappeler cet anniversaire.
3 Je donne ces détails dans un article publié cette semaine dans lejournaldeslibertes.fr . Le principe de subsidiarité consiste à créer les règles du jeu social à partir de la société civile et non de l’Etat (solidarité latérale, le politique n’est que subsidiaire) et à partir des décisions prises au niveau le plus proche de ceux qu’elles concernent (subsidiarité verticale, l’Etat n’est que subsidiaire des pourvoirs locaux).
4 CF. mon article dans la Nouvelle Lettre 13 février 2024 Catégorie Fondamentaux La mutuelle reconnaissance des normes Un instrument précieux de concurrence institutionnelle.