Ce 78ème anniversaire de la « victoire » n’a ressemblé à aucun autre. A part quelques centaines de milliers de téléspectateurs le peuple a été tenu à l’écart des manifestations officielles pour des raisons de sécurité et de décence : impossible de maîtriser les black blocs sur les Champs Elysées, impossible à Lyon de laisser la foule s’approcher de la prison de Montluc au risque de perturbations d’une cérémonie mémorielle riche de douleurs et d’enseignements.
Je commence par la dimension mémorielle. Hommage a été rendu à Jean Moulin et Marc Bloch pour avoir illustré au péril de leur vie « l’esprit de résistance ». Hommage aux victimes des crimes abominables commis par les nazis, et notamment par « le boucher de Lyon » Klaus Barbie dans ces cellules de Montluc, souvenirs dramatiques des 44 enfants d’Izieu, raflés, déportés et assassinés, et de ces centaines de Juifs exécutés après être passés dans « la baraque aux Juifs ». Grâce aux efforts des époux Klarsfeld Barbie a été arrêté, jugé (avec l’appui de Robert Badinter, ministre de la Justice), condamné à mort et exécuté en septembre 1991. Emmanuel Macron a eu raison de souligner que la Résistance a effacé les strates politiques, partisanes, sociales, raciales, religieuses pour ne réunir que des hommes et des femmes communément animés par leur patriotisme et leur haine légitime pour les nazis. Je regrette seulement que ce devoir de mémoire ne soit pas allé un peu plus loin, englobant ceux qui, du côté de Pétain, ont également résisté et comploté contre l’Allemagne, en particulier l’amiral Darlan en contact permanent avec les Américains dès les premiers mois de 1942. Darlan n’a pas vu son initiative réussir puisqu’il a été exécuté, vraisemblablement sur ordre de De Gaulle par Bonnier de la Chapelle à Alger le 24 décembre 1942[1]. Le devoir de mémoire doit rappeler que le gouvernement français, officiellement représenté à Alger par le général Giraud (et le général Mast sous ses ordres) et l’amiral Darlan a déclaré la guerre à l’Allemagne nazie dès que les Américains ont débarqué en Afrique du Nord le 2 novembre 1942. Déclaration factice sans portée ? Pas du tout.
D’une part il y a une armée d’Afrique comprenant plus de 100.000 hommes, avec à leur tête le général Juin qui va immédiatement faire ses preuves, accompagnant les Américains en Tunisie, en Lybie puis en Italie : la guerre a basculé à ce moment-là et de nombreux pieds-noirs iront avec la 2ème DB et la 1ère Armée de France jusqu’à Strasbourg et la Rhénanie[2].
D’autre part dans la France désormais totalement envahie par les Allemands, plusieurs réseaux de militaires en activité ou en retraite entraient en résistance, leur patriotisme et leur révolte contre les exactions des occupants et les déportations de Juifs les mobilisaient naturellement.
Il est malsain de continuer à diviser la nation française en deux blocs dont l’un, gaulliste résistant serait paré de toutes les vertus et l’autre, pétainiste collaborateur aurait été criminel. Des millions de Français ont aimé le Maréchal Pétain sans pour autant applaudir à l’occupant. La mémoire ne peut être tronquée.
Mais masquer et radicaliser la Résistance est sans doute pour Emmanuel Macron une façon de rappeler que les électeurs français sont divisés en deux blocs : le sien et celui de Marine Le Pen. C’est ce qui a donné à son discours une connotation politique, même si les commentateurs n’ont pas été très nombreux à le souligner (si ce n’est ceux du Rassemblement National). Cela est très visible dans la partie du discours de Lyon consacrée au Conseil National de la Résistance (CNR). Certes ce Conseil a été fondé et dirigé par Jean Moulin, chargé par De Gaulle de fédérer des résistants assez peu semblables : des centristes catholiques comme Georges Bidault mais aussi des radicaux, et surtout des communistes. Or, le CNR, s’il a été peu opérationnel pendant l’année 1943, a pris une importance majeure dès que Paris a été libérée…par les troupes alliées flanquées de quelques bataillons français. Le CNR va mettre en place les principes directeurs de la France libérée et Emmanuel Macron précise bien qu’il instaure, entre autres, la sécurité sociale (vieux projet socialiste, repris par le régime de Vichy en 1941 avec Belin, ancien secrétaire général de la CGT), la nationalisation de l’énergie, la planification économique. Comme par hasard, Emmanuel Macron s’est formellement et à plusieurs reprises approprié le CNR, il a même tenu à ce que le même sigle soit obtenu pour son Conseil National pour la Refondation. Donc il n’y a aucun mal à s’approprier la Résistance, Jean Moulin et le Conseil National qui œuvre en 1944, et qui a tenu toutes ses promesses : multiplication des déficits et réglementations, mise en place de grandes sociétés publiques comme EDF, Gaz de France, nationalisation des banques et assurances, et tout ce qui fait le succès du modèle français actuel. Electeurs français, n’oubliez pas qu’il n’y a qu’un chemin, tracé par la Résistance en 1944 : le progressisme collectiviste. La démence consisterait à trahir le devoir mémoriel et à voter pour d’autres que ceux qui se réclament de la pensée élyséenne. Cet avertissement s’adresse aussi à ceux qui haïssent le Président et, de fait, les casseroles de la haine et les manifestations de Paris et de Lyon sont scandaleuses. A Paris, devant le bureau du parti « Renaissance » on a chanté au soir du 1er mai : « Louis XVI on t’a tué, on peut te tuer encore », à Lyon les portes de la mairie de La Guillotière ont été enfoncées. Macron, ce serait donc l’ordre républicain, les autres c’est l’anarchie et la guerre civile : position habile, très politique. On peut y ajouter une pointe d’anti-américanisme, puisque la Résistance aurait été créée et développée sans que les Américains y aient participé !
La pensée politique élyséenne s’inspire en fait d’une idéologie très dangereuse pour la liberté. En effet, la nation n’apparaît pas dans les références du Président. Il a au contraire un discours enflammé pour l’éloge de la République. Il s’agit d’abord de rappeler que la République de 1792 est plus importante que la révolution de 1789, sans doute trop obsédée par les droits individuels. Voici en conclusion du discours la déclaration de foi de Macron : « La république française n’est par définition ni bonne ni mauvaise, elle est nécessaire, vitale, juste ». Je ne savais pas que la République était capable d’agir, comme une personne. L’action humaine est en principe individuelle, et respectable. L’action républicaine est collective, et elle est indifféremment bonne ou mauvaise. Fort heureusement elle est bonne avec Emmanuel Macron. C’est la raison pour laquelle la dernière phrase nous dit la vérité « Ayons confiance en nous, et en ceux qui nous suivront. » Le « nous » est un pluriel de majesté : c’est le monarque élyséen. Ceux qui « nous » suivront ce sont les élus qui composent enfin la majorité présidentielle, et peut-être le successeur que se choisira Emmanuel Macron en 2027 (s’il est encore au pouvoir). Vive la république, vive Macron !
[1] Le lien entre Londres et Alger se serait fait par François d’Astier de la Vigerie
[2] Il y avait aussi les tirailleurs sénégalais, marocains et algériens. Contrairement à ce que raconte un film de propagande ces tirailleurs n’ont pas été recrutés à coups de fouet et n’ont pas été forcés d’entrer dans l’armée. A l’époque l’Empire français était encore une réalité et le budget de la France avait été toujours généreux pour l’entretien et le développement de «l’armée d’Afrique ».
1 Le lien entre Londres et Alger se serait fait par François d’Astier de la Vigerie
2 Il y avait aussi les tirailleurs sénégalais, marocains et algériens. Contrairement à ce que raconte un film de propagande ces tirailleurs n’ont pas été recrutés à coups de fouet et n’ont pas été forcés d’entrer dans l’armée. A l’époque l’Empire français était encore une réalité et le budget de la France avait été toujours généreux pour l’entretien et le développement de «l’armée d’Afrique ».