J’aurais voulu vous commenter simplement et naïvement le spectacle du couronnement, qui m’a émerveillé à plus d’un titre, mais j’ai pris une colère homérique quelques heures plus tard en écoutant certains journaux télévisés.
Le spectacle du couronnement
Tout d’abord, j’ai de la sympathie pour les monarchies parlementaires. Leur principe est à mon sens salutaire : il y a d’un côté un Parlement, avec des partis et un Premier Ministre issu de la majorité (simple ou composée), et d’un autre côté un monarque qui incarne la tradition, qui est au sommet de la société civile, celle qui n’exerce pas le pouvoir, mais qui respecte les règles du jeu social dans le cadre des familles, des entreprises, des communautés de toutes sortes. J’ai estimé que le succès de la reine Elizabeth avait été d’accomplir avec ferveur et habileté sa mission. On peut se demander aussi si le roi Charles III va respecter la règle du jeu établie depuis des siècles en Angleterre1.
Mais là n’’est pas l’essentiel à mon sens. Ce qui m’a frappé dans le spectacle du couronnement c’est la ferveur et le comportement du peuple qui a participé à cette fête historique.
La ferveur, c’est la preuve que ces gens croient en quelque chose, et un quelque chose qui leur est cher. D’une part, il n’y avait pas que des Anglais présents, il y avait aussi des gens du Royaume Uni, Ecossais, Gallois et Irlandais pour lesquels le roi d’Angleterre n’est pas nécessairement leur roi (il y aura un sacre à Edinbourg pour que Charles soit roi d’Ecosse). Il y avait aussi beaucoup de Français, mais aussi de personnes venues des pays du Commonwealth : Canadiens (beaucoup), Néo-Zélandais, Australiens, qui tenaient à témoigner de leur attachement à la couronne royale. Tout ce peuple est fier de son histoire, de ses mœurs, de ses religions (et elles sont nombreuses, elles attestent de la véritable liberté de culte et de conscience). Il y a une part d’universalisme dans les cérémonies de Westminster : les attributs de la royauté ne sont pas au hasard, les prières anglicanes sont les mêmes que celles de la catholicité, à la virgule près (même si l’archevêque de Canterburry en a un peu rajouté). Il y a donc aussi une part de spiritualité, dont le monde contemporain manque tellement, déviant vers un matérialisme sans lendemain et un laïcisme destructeur.
Le comportement était tout aussi surprenant, surtout pour la plupart des téléspectateurs français. Il y a d’abord le flegme et l’humour britishs : on s’installe où l’on peut, on invite les gens à boire, à échanger (on boit beaucoup de champagne d’ailleurs, c’est là où nous sommes bons). Il n’y a pas de hâte : on passera la nuit et une partie de la journée à attendre le moment venu d’approcher, de regarder. Ceux qui ne sont pas trop loin peuvent regarder les défilés et parades militaires, mais ils sont moins bien placés que les téléspectateurs, qui ont pu admirer les bonnets en oursons de la garde, les chevaux, et naturellement le carrosse en or abritant le roi et la reine Camilla. Bien placés aussi les personnalités installées au pied de Buckingham, qui peuvent voir non seulement les troupes progressivement assemblées, mais aussi le balcon
où va apparaître la famille royale. J’en viens à ce que j’ai considéré, peut-être naïvement, comme le clou du spectacle : le moment où la foule est enfin autorisée à s’approcher de Buckingham et du fameux balcon. Il y a je crois un bon kilomètre à faire depuis Westminster, mais bien davantage depuis quantité de places et parcs où le peuple s’est assemblé depuis des heures (jusqu’au pont de la Tamise sous Big Ben par exemple). Et voilà cette foule immense qui va avancer sagement rangée derrière les bobbies (gardiens de la paix) ; moins de dix bobbies suffisent à drainer des milliers de personnes, on marche le plus vite possible, mais sans aucune bousculade, et on voit se mettre en place en quelque vingt minutes un peuple discipliné, avançant sans dévier, sans gêner. Le peuple vient ainsi se ranger contre les grilles du palais, et évidemment c’est une clameur incroyable qui accompagne les coups de canons. Le roi et la reine reviennent une deuxième fois sur le balcon, avec de simples gestes d’amitié pour ce peuple aimant et joyeux. On sait qu’Harry n’est pas là, il et reparti pour la Californie, sa femme n’est pas venue, Harry n’appartient plus à la famille (William et Camilla y sont pour beaucoup, mais çà n’est pas l’affaire du peuple, c’est l’affaire des Windsor).
La cérémonie vue par certains journalistes français
C’est par hasard que je me trouve chez l’un de mes fils au moment des journaux télévisés de 20 heures. Comme quelques-unes des personnes n’avaient pas vu le spectacle je leur conseille de regarder les JT, sur TF1 ou sur la 2. J’aimais jusqu’à ce jour Madame Coudray, elle me semblait plutôt raisonnable et sans engagement politique visible, à la différence de son collègue Delahousse sur Antenne 2, chaîne publique qui se doit de diffuser la pensée unique, voire même de la meubler. Voilà ce que j’ai vu et entendu :
1° Des images de jeunes anglais opposés au couronnement, et brandissant des pancartes sorties sans doute de la NUPES ou de la XR locale : à bas le roi, etc. Inutile de dire qu’en direct nous n’avions rien vu
2° Des interviews de Londoniens qui n’aimaient ni le roi ni la cérémonie, ni la monarchie. Que représentaient-ils dans la foule ? Ils étaient d’ailleurs bien à l’écart de tout. Pas vus non plus entre 9 h et 16 h.
3° Une violente attaque contre la fortune de Charles III. Voilà que la famille royale, riche de 460 millions de livres du temps de la reine, est maintenant à la tête de plus de 800 millions. Pourquoi ? Parce que Charles III est cupide et a monté des affaires depuis des années. On va donc maintenant pendant quelques minutes nous présenter le détail de tous les produits qu’il vendait, avec les prix correspondants : des biscuits, des boissons, et évidemment le prince Charles s’est servi de sa position pour commercialiser ces produits. Il est vrai, va-t-on reconnaître, que cette activité entrepreneuriale avait créé des emplois, mais l’enrichissement trop rapide est le signe infaillible que l’entrepreneur n’est pas le meilleur pour le peuple.
4° Madame Coudray est choquée du fait que la famille royale ne paie pas de loyer pour les nombreux bâtiments qu’elle occupe, il y a Windsor, Edinbourg, etc.
5° Choquant aussi que la famille royale reçoive un salaire mensuel (je n’ai pas retenu le chiffre, il est sûrement scandaleux).
6° Et l’inflation, qui atteint plus de 10 % actuellement à Londres ? Et le Brexit ?
7° Et le prix de la cérémonie, alors que tant de gens n’ont pas de quoi vivre ?
8° Et le carrosse en or : quel gaspillage…
Dans tout cela une règle elle aussi en or du journalisme français, appris dans des écoles qui formatent correctement leurs étudiants : ne jamais parler de ce qui va bien, et toujours parler de ce qui ne va pas et qui fâche : « good new is no new ».
Bref non seulement ces JT n’ont repris que des bribes de l’émission en direct, mais il y a eu des ajouts très bien choisis pour illustrer la pensée unique : la haine de la richesse, l’égalitarisme, et le gaspillage et le luxe des gouvernants anglais par comparaison avec la rigueur et le dénuement des officiels de la République Française.
C’est évidemment une forme de souverainisme : nous devons donner des leçons au reste du monde. Aux Anglais, comme aux Italiens, comme aux Américains. C’est « la France seule » maurrassienne. La France de la honte, je ne suis pas maurrassien, mais libéral. J’aime la responsabilité et la dignité.