Dans la première partie de cette étude j’ai présenté rapidement les dix principes qui régissent ce que j’appelle l’économie naturelle, et j’ai proposé un tableau sommaire qui compare l’économie naturelle et l’économie artificielle, celle que nous vivons aujourd’hui, malgré quelques résidus de liberté.
Je me propose maintenant d’aller un peu plus loin dans l’analyse, en expliquant ce qu’est une « économie naturelle ». Comme bien d’autres personnes je crois en une approche dite « anthropologique » : les choses sont comme cela parce que l’homme est comme cela. L’économie est naturelle parce qu’elle est conforme à la nature de l’homme.
Il serait donc temps, si nous voulons la prospérité, l’harmone sociale et la paix mondiale, que nous revenions à l’économie naturelle. Elle n’est pas une utopie, certains pays et certaines communautés parviennent à vivre une économie naturelle. Alors pourquoi pas ? Ce sera l’objet d’une 3ème partie prochainement.
1. L’être humain est unique et irremplaçable. Chacun a sa personnalité, chacun est différent des autres. D’ailleurs cette personnalité n’est pas figée : nous ne sommes plus les mêmes avec l’âge, l’expérience, la santé, l’environnement.
2. Donc, chacun a ses choix. Les choix sont « subjectifs », et très variables là encore. La preuve en est que le temps est lui-même subjectif : il y a des minutes qui paraissent plus longues ou plus courtes que les autres. Si on est en vacances, le temps peut paraître plus lent qu’au bureau ou sur le chantier.
3. Mais les choix personnels, quels qu’ils soient, ne peuvent ignorer les autres. A la différence des autres espèces animales les relations de l’être humain avec leurs semblables sont indispensables. Dire que l’homme est un « animal social » ne signifie pas qu’il n’existe qu’en appartenant à une communauté, à un troupeau, mais qu’il a besoin des autres pour vivre, pour être heureux. L’être humain ne peut se suffire à lui-même.
4. La communauté naturelle de l’être humain est la famille, dont on dit à juste titre qu’elle est la cellule de base de la société. C’est dans la famille que s’exprime la diversité, mais aussi la solidarité. Οϊκος νσμσς : L’économie c’est à l’origine la solidarité au sein de la maison. La règle de la maison : le partage.
5. Voici une autre caractéristique majeure de l’être humain : il échange. Il est, là encore, le seul être animal vivant à échanger. Freedman : « on n’a jamais vu deux chiens échanger un os ». Certes il y a quelques animaux supérieurs qui pratique l’échange mais suivant une procédure physique bien réglée, par exemple sans aucune innovation dans le processus d’allaitement ou d’accouplement.
A. L’économie : au service des autres
6. Comme Adam Smith l’avait découvert dans sa « Théorie des sentiments moraux » l’échange suppose que l’on essaie de savoir ce dont les autres ont besoin. Connaître et comprendre les autres : c’est « l’empathie ». L’empathie débouche sur l’échange quand l’un comprend ce que veut l’autre, et on va lui rendre le service qu’il en attend1. Ainsi l’échange est une transaction qui fait que chacun va rendre service à l’autre.
7. Evidemment les deux échangistes n’attribuent pas la même valeur aux produits ou aux services qu’ils vont échanger. Je donne un prix peu important à ce dont je vais me séparer, mais une valeur plus grande à ce que l’autre envisage de me donner. Et l’autre fait un calcul du même type, mais juste inverse. Les intérêts ne sont pas opposés, ils sont au contraire convergents. Mises appelait cela catallaxie : des intérêts opposés (à vrai dire différents, à vrai dire subjectifs) débouchent sur un accord.
B. La monnaie est un droit sur les richesses créées par d’autres : attention aux faux droits !
8 . Quand l’échange est monétaire, l’accord est plus facile, parce que le commerce « de troc » suppose qu’au même moment les deux échangistes ont le bien ou le service exact que désire l’autre : les « termes de l’échange » sont difficiles à trouver. En revanche, la monnaie est un pouvoir d’achat qui va permettre de se procurer n’importe quel bien ou service avec n’importe qui, et à n’importe quel moment : le prix est donc établi en monnaie.
9. il a fallu des siècles de pratique pour trouver une bonne monnaie. Carl Menger a démontré que la solution historique a toujours été de choisir comme « bien de référence » (étalon) celui dont la valeur est connue de tous au sein de la communauté de paiement : la mesure de blé, ou d’orge, ou le prix d’un mouton ou d’une chèvre ou les métaux dits « précieux ». L’or et argent ont des qualités physiques remarquables : inaltérables, ductiles, malléables, conductibles. L’étalon monétaire doit inspirer confiance.
10. Réciproquement au sein d’une communauté de paiement toute monnaie qui inspire confiance peut être admise. Avec l’élargissement de l’espace des échanges, allant jusqu’à devenir mondial dès le 12ème siècle, les commerçants vont imaginer des titres de monnaie titres de monnaie qui n’ont d’autre valeur que la possibilité de se faire remettre de l’or ou de l’argent : le billet de banque prend son origine en Toscane (Florence et Sienne) et circule sans problème dans toutes les foires d’Europe2.
- Mais la confiance ne se décrète pas (« fiat money »). Des empereurs romains aux banques centrales contemporaines, le pouvoir politique a obligé les gens à se servir de la monnaie qu’il choisit et émet lui-même. L’histoire montre que cette « obligation » n’est pas pour garantir la qualité de la monnaie, mais pour financer plus facilement les dépenses publiques : le pouvoir politique s’arroge le « droit de seigneuriage », et l’inflation est au rendez-vous
- Puisque le monnaie est par nature pouvoir d’achat généralisé, c’est à dire un droit sur les richesses produites par d’autres, la monnaie dévaluée est une distribution de « faux droits » (Jacques Rueff) Utilisent ces faux droits les gens au pouvoir, mais aussi tous les gens que le pouvoir veut financer, en général pour des raisons électorales : l’Etat Providence distribue des chèques sans provision. Avec le keynésianisme on s’imagine que toute injection monétaire crée le plein emploi : une hérésie mise en évidence par l’histoire.
- Ainsi ceux qui produisent des richesses perdent-ils leurs droits légitimes, tandis que les parasites vivent des faux droits, des « revenus de répartition ». Mais à répartir du vide on finit par ne plus rien distribuer du tout. L’argent manque pour ceux qui veulent produire, mais il afflue dans les poches des assistés, des parasites et des corrompus ; c’est le « malinvestissement» dénoncé par Hayek. L’artifice de l[i]a fausse monnaie véhicule le mensonge et la pénurie, aucune société ne s’en est remise.
[i]Schumpeter : l’entrepreneur innove, sa création est « destructrice », des activités, des produits et des emplois vont disparaître (pourquoi la destruction ?) Knight : l’entrepreneur est rémunéré pour le risque qu’il prend (est-ce un joueur de casino ? Clark : l’entrepreneur prévoit l’avenir (est-ce un planificateur ?)
Par comparaison Kirzner ne détruit rien, il ajoute, il ne prend aucun risque puisqu’il sait, il ne s’intéresse pas au futur, mais au présent.
C. La monnaie rémunère ceux qui ont créé de la valeur
14. Quand la monnaie n’est ni politisée, ni corrompue, le revenu monétaire prend sa vraie signification : il rémunère ceux dont l’activité a permis la création de richesses nouvelles. Etre actif c’est « ajouter de la valeur ». Il y a trois manières d’être actif : par son travail, par son épargne (ou son investissement, c’est la même chose), par son art d’entreprendre (en franglais entrepreneurship). Le travail, on le connaît sous ses diverses formes physiques, intellectuelles, morales. L’épargne c’est la monnaie que l’on ne dépense pas et que l’on peut investir (l’argent d’Harpagon, appelé thésaurisation, ne crée aucune richesse et n’est pas réinjecté dans le circuit productif), et enfin l’art d’entreprendre est de trouver le travail et l’investissement nécessaires pour satisfaire les besoins de la clientèle.
15. La rémunération du travailleur est le salaire. Dans une économie de marché le salaire s’établit par le contrat librement passé entre employeur et salarié. Les marxistes et leurs élèves contestent l’idée de libre contrat : le patron est en position de force pour imposer ses conditions. Marx pensait que l’origine de l’exploitation était la propriété privée du capital. Il pensait aussi que seul le travail créait de la valeur, et cette valeur ne serait pas versée au salarié, qui ne touche qu’un minimum vital, la différence est le profit.
16. L’épargne n’est pas stérile, comme le croient les keynésiens. En effet, les sommes mises de côté aujourd’hui vont reparaître dans le circuit productif au moment choisi par l’épargnant : soit pour être placées et permettre l’investissement et rapporter un intérêt soit pour être dépensées plus tard. Les retraites par capitalisation unissent les deux destinations de l’épargne : revenu d’aujourd’hui dont le placement garantit le revenu de demain. L’épargnant peut aussi devenir actionnaire, c’est à dire propriétaire d’une entreprise en forme de société, il est alors rémunéré en sa qualité d’entrepreneur : les dividendes viennent du profit de l’entreprise3.
17. L’art d’entreprendre consiste précisément à trouver les deux « facteurs de production » travail et épargne, ou travail et capital si l’on préfère. Il est vrai que l’on peut être travailleur et investisseur dans sa propre affaire, c’est le cas pour de nombreuses entreprises artisanales, de TPE et de ETH (très petites entreprises et entreprises à taille humaine) L’entrepreneur est intermédiaire « entre » facteurs et besoins : c’est lui qui va rechercher les uns pour satisfaire aux autres.
18. Quel est le vrai mérite de l’entrepreneur ? A la différence de nombreux économistes (Schumpeter, Knight, Clark)4 Israël Kirzner démontre que la qualité de l’entrepreneur c’est d’observer le marché (il est attentif à tout moment : alertness) et de voir que certains besoins ne sont pas satisfaits, ou dans de mauvaises conditions ( de prix, de qualité, de quantité). Il possède donc une antériorité d’information sur les autres personnes et ne prend aucun risque, puisqu’il part de ce qui existe. Il crée une valeur toute nouvelle, puisqu’il fait quelque chose qui n’existait pas avant lui. Pour autant il n’est pas un « superman », tout le monde peut être entrepreneur.
D. Les signaux du marché guident la création de valeur
19. Le marché est fait de l’ensemble des transactions passées sur une multitude de biens et services dans un espace et en un temps donnés. L’espace va du local au mondial, le temps va du comptant au long terme. Les choix individuels fixent les conditions de chaque transaction, et en particulier le prix sur lequel l’accord se fait. Puisqu’il y a accord il n’y a ni avantage ni dommage pour aucun des acteurs : chacun y gagne. Il n’en demeure pas moins que le prix est un signal : pour un produit donné s’il est élevé il révèle une situation de rareté, s’il est bas une situation d’excédent. Le niveau des prix n’est jamais donné : il n’y a pas de « prix d’équilibre » contrairement à ce que l’on représente avec des courbes d’offre et de demande. Un prix fixé par l’Etat ou une autorité extérieure aux échangistes (corporation ou cartel de producteurs ou coopérateurs) perd tout signification ; le signal est bloqué.
20. Comment remédier à la rareté ou à l’excédent révélé par les prix ? La multitude des échanges va progressivement permettre de trouver une solution. Celui qui trouve la solution c’est l’entrepreneur, celui qui découvre comment les besoins de la communauté d’échange seraient mieux satisfaits en combinant autrement les facteurs de production disponibles. Là où il y a excédent le travail et le capital sont gaspillés, les clients potentiels n’accordent pas de valeur à ce qui leur est proposé. En revanche là où il y a pénurie les clients sont prêts à payer, et l’entrepreneur peut payer le travail et le capital, les salaires et les intérêts, tout en réalisant aussi un profit qui rémunère le service qu’il a rendu en faisant une nouvelle offre conforme à ce qu’attend la communauté. C’est donc l’évolution des prix qui guide la recherche de profit et réoriente l’activité vers des biens et services plus appréciés, de valeur supérieure. Par son action, l’entrepreneur ajoute de la valeur.
21. La disponibilité des facteurs de production, travail et capital, dépend à son tour de la rémunération que l’entrepreneur va proposer. Le travailleur recherche un salaire qui corresponde à ce qu’il attend compte tenu de son savoir, sa formation et son expérience. L’investisseur cherche à concilier rentabilité, sécurité et liquidité de son placement. Il existe donc un marché du travail et un marché du capital marqués par une fluidité considérable. Là encore ni l’Etat ni quelque autorité extérieure ne saurait fixer le niveau des salaires et des taux d’intérêt, sous peine de créer du chômage ou de décourager l’épargne.
22. La conclusion d’une embauche ou d’un financement n’est pas souvent le fait d’un seul entrepreneur, plusieurs personnes peuvent avoir observé l’évolution des valeurs sur le même marché. Dans ce cas il y a concurrence. La concurrence se ramène à une situation très simple : il y a liberté d’accès au marché5, il n’y a aucun obstacle à ce que quiconque puisse innover et faire une nouvelle offre. D’ailleurs un innovateur qui se croit seul risque fort d’être rattrapé par des imitateurs. Voilà pourquoi l’entrepreneur ne réussit à accumuler des profits sur une longue période que s’il est en permanence en avance d’une idée. Cette caractéristique de la concurrence est contraire à l’idée suivant laquelle tous les concurrents doivent être égaux, avec la conclusion qu’il faut « harmoniser la concurrence ». Le protectionnisme, les subventions, les normes de toutes sortes, les niches fiscales, sont autant de moyens de tuer la concurrence, tout comme les cartels et corporations. Par la pression qu’elle exerce sur les entreprises la concurrence stimule l’innovation, crée de la valeur et améliore le service rendu à la communauté entière.
E. L’économie conduit les êtres humains à la responsabilité et à la propriété
23. Il y a un lien direct entre tous les actes qui accompagnent la vie économique. Tout a commencé avec la diversité des êtres humains, le besoin qu’ils ont de connaître les autres et d’échanger avec eux. L’échange met en évidence la subjectivité des choix, mais aussi la mutualité des services rendus et l’importance des accords passés. En dehors de la famille, où règne surtout le partage, les êtres humains font usage d’un bon serviteur : la monnaie. La monnaie a le pouvoir d’acheter les biens et services produits par n’importe qui, n’importe où et n’importe quand. C’est un droit sur la valeur créée par les autres. Mais il y a émission de faux droits quand une monnaie n’ayant aucune valeur et n’inspirant aucune confiance est émise et imposée par le pouvoir politique, l’histoire a démontré les méfaits de l’inflation. Malgré tous ses avatars la monnaie est utilisée pour rémunérer ceux qui participent à la production et créent de la valeur : c’est en monnaie qu’on rémunère celui qui travaille, celui qui investit, celui qui entreprend. La monnaie détermine les clauses de l’échange en fixant les prix, et les prix varient en fonction de la rareté ou de l’abondance des biens et services qui font l’objet de l’échange. Les préférences des êtres humains se traduisent bien par le signal des prix sur le marché. Ici l’entrepreneur va jouer un rôle décisif : par son aptitude à observer le marché, il va orienter les facteurs de production travail et capital vers de nouveaux emplois et de nouveaux investissements, ceux qui lui apporteront aussi une rémunération pour son innovation, sous forme de profit. Prix et profits sont les signaux du marché, en amont se trouvent les préférences personnelles, en aval s’organisent les innovations, la valeur ajoutée, et les revenus de cette valeur. Le circuit économique est bouclé.
24. A chaque étape du circuit, la responsabilité des êtres humains est en jeu. Ce sont nos comportement en qualité de producteurs et de consommateurs, en qualité de salariés, investisseurs et entrepreneurs, qui déterminent notre aventure économique. Car il s’agit bien d’une aventure, puisque nos comportements vont évoluer avec notre personnalité : notre âge, notre éducation, notre situation de famille, nos expériences, et tous les aléas de la vie. Au total nous construisons sans cesse notre capital humain, c’est-à-dire notre aptitude à utiliser et développer les capacités qui nous sont propres. C’est ce que Bastiat exprimait en disant « l’homme naît propriétaire ». La propriété est le seul moyen d’exercer et d’engager sa responsabilité, tandis que le collectivisme ne tient jamais compte des capacités personnelles que possède une personne, et il transforme fatalement l’être humain en dévoyant sa nature, en le réduisant à la servitude.
1 Adam smith prend l’exemple d’un enfant qui joue aux billes et gagne toutes les billes des autres joueurs. Il n’a pas d’autre solution que de leur rendre des billes, sinon il ne peut plus jouer et gagner.
2 En réalité c’est à juste titre que l’on a découvert il y a cinquante ans les modes de paiement des Sumériens, habitants de la Mésopotamie : chaque famille possède un pilier dans le temple, et on y inscrit les dettes et les créances de chaque famille ; Ce sont donc des comptes courants, et le paiement de la dette ne fait pas de doute, car le débiteur indélicat s’attirerait les foudres des dieux. Le « crédit » a donc eu une dimension religieuse et sacrée dès le début. On retrouve cette dimension religieuse dans le mouton et la chèvre, voire le bœuf, animaux sacrificiels.
3 Les actionnaires jouent un rôle d’entrepreneurs parce qu’ils exercent la « gouvernance » : possibilité de changer les directeurs quand ils estiment que l’entreprise est mal gérée. Cette surveillance des directeurs ne se fait pas en Assemblée Générale (seule une minorité d’actionnaires y participe), mais par la vente ou l’achat des actions et de leur rapport. Une entreprise bien gérée voit son cours monter.
4 Schumpeter : l’entrepreneur est « innovateur », il détruit ce qui existe (mais pourquoi détruire ?) Knight : L’entrepreneur prend des risques (est-ce un joueur de casino ?) Klein : l’entrepreneur prévoit l’avenir (un planificateur ?) Par comparaison Kirzner ne détruit rien, il ajoute, il ne prend aucun risque puisqu’il sait, il ne s’intéresse pas au futur, mais au présent.
5 La théorie classique de la concurrence dite « pure et parfaite » enseigne qu’il y a concurrence quand il y a atomicité (que des entreprises de faible taille, incapables de dominer le marché), homogénéité (les entreprises proposent des biens et services identiques), transparence (tous les prix et coûts sont connus) fluidité (libre entrée sur le marché) disponibilité des facteurs (sur les marchés du travail et du capital) Inutile de dire que cette concurrence-là n’a jamais existé, et la théorie conduit les ennemis du capitalisme à condamner un système où la concurrence est imparfaite… Arrow et DeBreu n’ont pas sauvé le capitalisme en se servant de la concurrence libre et parfaite pour démontrer l’équilibre global des marchés !