Trop occupés par les faits divers venus de Gaza les Français n’ont peut-être pas apprécié à sa juste valeur l’ordre de grève générale lancé par les syndicats soucieux de défendre les intérêts des salariés exploités par un patronat spoliateur. Il se trouve d’ailleurs que ce patron est en l’occurrence l’Etat ou, si l’on veut, le secteur public.
La grève va en effet toucher les entreprises et activités suivantes : les transports ferroviaires (SNCF, RATP), les transports aériens (aéroports, contrôle aérien), l’Education Nationale (du primaire au supérieur), les médecins généralistes, et l’EDF (jeudi). Le choix du vendredi 13 est doublement justifié : d’une part c’est un jour qui porte chance, et il faut de la chance pour se faire justice en France, d’autre part il y aura lundi prochain une négociation générale sur le niveau des bas salaires, elle a été promise par le Président Macron, et il vaut mieux aborder une négociation en démontrant que l’on a déjà anticipé son résultat. La négociation ne pourra que confirmer les revendications des grévistes.
Tout cela devrait réjouir le peuple français .
1° Le dialogue social est solide. Les piliers sont fermes : CGT et CFDT sont entre les mains de Mesdames Sophie Binet (CGT) et Marylise Léon (CFDT), toutes deux enseignantes, qui n’ont jamais mis les pieds dans une entreprise mais qui maîtrisent parfaitement les concepts qui dominent le niveau des salaires : ce n’est évidemment pas la rentabilité ni même la qualité de service, c’est le refus de l’employeur de reconnaître la valeur du travail effectué. A la SNCF ce travail a été rendu encore plus pénible avec les punaises de lit. La pénibilité du travail est d’ailleurs prise en compte, par exemple avec le syndicat des contrôleurs aériens CGT très minoritaire mais qui fera annuler 40 % des vols (dit la Direction Générale de l’Aviation Civile).
2° Les usagers des services publics pourront bénéficier comme chaque jour de la qualité des prestations : les trains ne seront pas davantage annulés ou en retard que d’habitude, ils circulent mieux quand il n’y a pas de voyageurs, les écoles seront ouvertes mais sans professeurs, les parents auront la possibilité de garder ou faire garder les enfants comme d’habitude, et les malades ne seront pas trop gênés, les généralistes dériveront les urgences vers les hôpitaux publics, où l’accueil sera aussi rapide et sympathique que n’importe quel jour de l’année.
3° Il ne faut pas oublier le cadre plus large dans lequel s’inscrivent ces grèves. D’abord elles sont, dit-on, les mêmes dans tous les pays de l’Union : vendredi 13 est une journée européenne et marque la solidarité entre tous les prolétaires. Elles s’inscrivent aussi dans la « lutte contre l’austérité, les salaires et l’égalité femmes-hommes », une noble cause, et aussi dans la perspective de la transition énergétique ce qui en effet le défi du siècle.
Sacrifice des leaders et des militants, noblesse des objectifs, recherche de la justice sociale : rien ne manque pour assurer le succès de ces grèves.
Qu’il nous soit permis en conclusion de souligner un bienfait souvent oublié : tout cela se fait sans aucune responsabilité, sans aucune prise de risque. Les usagers ne sauraient échapper à l’élan généreux puisque ces services bénéficient d’un monopole. Les coûts sont élevés, mais les contribuables et assurés se sentent solidaires et paient volontiers plus d’impôts et de cotisations. Enfin, et trop de gens l’ignorent, il y a une augmentation comptable appréciable du PIB puisque chaque fois que le secteur public, non marchand par définition, embauche et augmente la masse salariale, la croissance du PIB est alors assurée : en effet, puisqu’il n’y a pas de marché il n’y a pas de mesure de la valeur du service rendu, donc on la mesure à la rémunération des salariés. Voilà pourquoi avec quelque 5 millions et demi de fonctionnaires et agents des services et entreprises publiques la France s’enrichit sans cesse, sans perte de pouvoir d’achat et…sans effort.
Question finale : pourquoi cette mascarade est-elle tolérée depuis 1944 au moins ? La France n’est pas seulement le pays où on travaille le moins, c’est aussi le pays où ceux qui travaillent le moins empêchent les autres de travailler1.
1 On peut toujours se référer à un ouvrage qui explique le mystère « Cinq Questions sur les syndicats » Jacques Garello, Bertrand Lemennicier, Henri Lepage, PUF éd. 1981. La puissance des syndicats vient du terrorisme politique qu’ils font régner, ils ne défendent en rien l’emploi ni les rémunérations.