Il fallait désigner nettement les gens du Hamas comme des terroristes qui se sont livrés à des crimes dépassant toute horreur : Macron l’a fait. Il fallait dénoncer ceux qui confondent la cause palestinienne et le terrorisme : Macron l’a fait. Il fallait demander que soient poursuivis ceux qui manifestaient une sympathie pour le Hamas : Macron l’a fait. Il fallait promettre la sécurité aux Juifs de France : Macron l’a fait. Il fallait prêcher l’union nationale, Macron l’a fait. Il fallait aussi rappeler que la France allait mettre en œuvre toute sa dynamique diplomatique pour obtenir des intermédiaires pour la libération des otages : Macron l’a fait.
Il est vrai qu’il n’a pas détaillé les mesures qu’il entendait prendre. Mais je ne pense pas que ce discours solennel puisse s’y prêter. Et je crois qu’il y a souvent loin des discours à l’action : le Président, son gouvernement et ses forces policières et armées ont-ils les moyens d’atteindre les objectifs voulus ? N’est pas surprenante non plus la référence que le Président a faite aux populations civiles, lorsque les Israéliens engagent une « riposte forte et juste, forte parce que juste ». Mais cette ambiguïté habituelle chez le Président peut se légitimer en la circonstance, car il n’est pas nécessaire d’ajouter de la guerre à la guerre, et Emmanuel Macron n’ignore pas que le Hamas a pris la population gazaouite en otage. 1
En conclure globalement qu’Emmanuel Macron a fait ce qu’il fallait faire, mais ne peut pas nous assurer de ce qui va maintenant se passer serait à mes yeux hâtif.
D’abord il aura obtenu de tous les partis réunis et des présidents des trois assemblées parlementaires une écoute inattendue. Manuel Bompard porte-parole des Insoumis pour la campagne des européennes a réussi à dire « Le Hamas est terroriste ». Marine Le Pen est venue discrètement, ses amis du Rassemblement National ont été modérés et n’ont pas insisté sur l’immigration. Eric Ciotti a essayé de suggérer quelques mesures immédiates, mais a compris que ce n’était pas le but précis de la réunion. Peut-être de quoi laisser un espoir sur le comportement futur de notre classe politique.
Ensuite je crois qu’il est resté sur la position diplomatique traditionnelle de la plupart de nos partenaires occidentaux : la création d’un Etat palestinien faisant le pendant de l’Etat Israélien. Mais c’est oublier que les pays arabes n’ont jamais pu se mettre d’accord sur ceux qui détiendraient le pouvoir dans ce nouvel Etat, à plusieurs reprises depuis trente ans il y a eu des « guerres fratricides » entre Jordaniens, Libanais, Syriens, voire Irakiens. D’autre part les Iraniens, maîtres du jeu et organisateurs de l’agression barbare, ne sont pas dans une logique d’équilibre entre Etats, mais d’extermination des Juifs. Il est même possible de soutenir que la violence de l’agression s’explique parce que le Hamas estimait que c’était sa dernière chance de participer à la victoire définitive sur Israël : les crimes désespérés sont les plus sanglants.
Voilà presqu’un siècle que les Occidentaux, et notamment les Américains, recherchent la cohabitation pacifique entre deux Etats. C’est sans doute mal connaître les sentiments que se portent Juifs et Arabes depuis des siècles dans cette région. En réalité, la vraie solution, celle que les Occidentaux auraient dû à mon sens adopter depuis longtemps, c’est de créer des liens commerciaux entre pays voisins. Quelles que soient les erreurs commises par Netanyahou, il avait amené Israël à donner une image économique positive à tous les pays du proche orient, et l’accord passé avec l’Arabie Saoudite était significatif. Je ne dis pas que cette option est facile, puisque d’une part demeure l’hypothèque de la dictature iranienne, et d’autre part les intérêts pétroliers, minéraux et financiers dans cette région sont très opposés, mais les économistes autrichiens savent ce qu’est la catallaxie : les intérêts opposés se marient et tout le monde peut trouver son compte dans un contrat établi de bonne foi.
Hélas les Américains, mais aussi nombre de pays européens, ont cru que la solution était politique, en termes de pouvoirs équilibrés, et ils se sont mêlés depuis la fin de la deuxième guerre mondiale d’imposer leur loi. Je me rappelle ce que disait Friedman lorsque les Allemands ont accepté le traité de Rome et la suppression des tarifs extérieurs communs : vous allez être réduits en poussière par la fin du protectionnisme, mais vous allez relever le défi et c’est vous qui aurez les balances commerciales les plus prospères. Ce qui s’est fait.
Une fois de plus, nous voici rappelé ce grand principe historique : la liberté est la meilleure amie de la paix, libre échange et libre entreprise permettent l’harmonie entre toutes les cultures de la terre. Adam Smith en 1776 avait souligné que la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb et la route vers les Indes par le cap de Bonne Espérance par Vasco de Gama avaient été les sources inestimables du progrès dans le monde entier2. Un progrès parfois difficile à court terme, mais assuré sur des siècles parce que conforme à la nature de l’être humain, qui n’a pas que la guerre et le pouvoir en tête mais aussi et au contraire le respect et le service des autres. L’espace ouvre les esprits et les cœurs.
Evidemment, ce ne sont pas des idées apprises à nos brillants hommes politiques, surtout concernés par le pouvoir. Elles ne sont pas courantes, aux libéraux de les faire avancer.
1 Peut-on mener une guerre sans quelque barbarie ? J’ai consacré un article très récent à cette question : Guerre et Barbarie Article Fondamentaux 11 octobre 2023
2 Remarque faite par Daniel B. Klein Adam Smith’s Great Power Politics in One Paragraph 1er Oct.2023 AER