Il était bien le seul à croire qu’il peut encore gagner. Les élections du midterm ont été un total échec pour Donald Trump, ses candidats personnels ont échoué. Les commentateurs en ont conclu à juste titre que Trump candidat républicain en 2024 serait une chance inouïe pour les démocrates : contre toute logique et contre toute attente Biden serait réélu.
Cette opinion est partagée par la plupart des médias conservateurs, y compris la chaîne Fox qui a soutenu la candidature et la présidence de Trump. Comme le fait remarquer Nicolas Lecaussin le Wall Street Journal (quotidien libéral s’il en est) rappelle qu’on peut avoir soutenu Trump dans quelques aspects de sa politique sans pour autant tolérer son impulsivité, ses excès, son égo surdéveloppé. Certainement son combat contre l’Iran, sa réforme fiscale, sa dérèglementation, la nomination des juges à la Cour Suprême, sa réforme énergétique (utilisation intensive des gaz de schiste) peuvent être approuvés mais le reste de ses mesures et de ses discours a eu des relents de populisme et même d’illibéralisme (réduction des libertés publiques et des droits individuels).
Nous pensons que cette déchéance politique de Trump contient plusieurs enseignements utiles aux Français : l’homme importe moins que le programme, il n’y a pas de programme sans doctrine, la doctrine est enracinée dans la société civile.
Trump sans programme
Dès son apparition sur la scène politique, Trump a su faire valoir sa réussite professionnelle, sa richesse, et toutes les vertus dont il était paré. Certes il a utilisé des slogans habituellement en cours chez les Républicains : « l’Amérique est de retour » « Je veux que tous les Américains deviennent riches », mais les slogans ne tiennent pas lieu de programme. La référence au nationalisme et au capitalisme peuvent correspondre à l’attente d’une majorité de citoyens américains, mais cette majorité a été surtout obtenue par la mauvaise situation économique et sociale héritée des deux présidences Obama.
Finalement les électeurs ont voté Trump, et Trump seulement : l’homme providentiel. Il est certain que les électeurs français sont encore sous l’emprise du gaullisme. Le général providentiel est encore présent non pas dans les souvenirs de sa politique, mais de la grandeur de la France qu’il prétendait incarner. De même les Français ont porté au pouvoir Giscard et Chirac parce qu’ils les croyaient capables de rompre avec le régime sortant. En revanche Mitterrand avait un programme : hélas !
On me dira que fort heureusement les hommes providentiels ne sont pas légion en France actuellement. Mais beaucoup de candidats s’estiment providentiels, investis de missions salutaires : Emmanuel Macron bien sûr, mais aussi Eric Zemmour à coup sûr, sans doute Marine femme providentielles, et naturellement Mélenchon. D’autres estiment pouvoir être providentiels en 2.024 : attendons leurs programmes.
Trump sans doctrine
Comme tout homme providentiel, Trump ne s’est pas encombré d’une doctrine. Il était sûr que son expérience et ses talents de grand entrepreneur pouvaient l’inspirer au hasard des conjonctures. L’empirisme est préféré au dogmatisme. « La doctrine du gaullisme est de ne pas en avoir », disait Michel Debré, un connaisseur. L’empirisme peut aller jusqu’à la trahison des électeurs et même des peuples entiers, mais les promesses électorales ne tiennent pas lieu de doctrine. D’abord parce qu’elles procèdent de l’électoralisme, il faut dire à chaque catégorie de citoyens ce qu’elle attend, ensuite parce que la doctrine implique un engagement et une cohérence qui gênent l’élu dans son action.
Ce refus de la doctrine (« adoxalisme » disait Daniel Villey) ou cette indifférence à l’égard de la doctrine atteint les partis politiques eux-mêmes. Il fut un temps ou droite et gauche avait un sens, très approximativement conservatisme contre progressisme. Aujourd’hui les partis politiques ne sont que des machines électorales, destinées à sélectionner et financer des candidats. Cela est vrai des Républicains aux Etats Unis, le GOP est un collage de conservateurs, de droites radicales et réactionnaires, voire même de libertariens. Mais cela est également vrai pour Les Républicains français, qui rassemblent bizarrement gaullistes de droite et de gauche, radicaux modérés, centristes raisonnables, conservateurs, sociaux-démocrates et par hasard quelques libéraux. Les trois candidats à la présidence le 3 décembre illustrent parfaitement ce désordre doctrinal. La conséquence ne peut être que la disparition du parti, soit l’enfermement du parti dans la doctrine du ne rien faire, et de se réserver pour les bonnes occasions – difficile à gérer dans la conjoncture présente.
Trump sans racine
D’ailleurs comment se forme une doctrine politique ? Comment se présente un choix de société ? Logiquement ce ne peut être le projet d’un candidat ou le décret d’une majorité. Le choix s’inscrit dans l’histoire. Aux Etat unis le Conseil Constitutionnel est gardien des valeurs constitutives de la Fédération, mais il est de plus en plus critiqué par la classe politique, et même dans l’opinion publique. En France René Raymond distinguait naguère trois droites : légitimistes, orléanistes, bonapartistes. Mais l’histoire elle-même est faite de la recherche permanente d’un ordre spontané, c’est-à-dire, comme le rappelait Hayek, de règles du jeu social éprouvées par la pratique et évoluant à travers un processus d’essais et d’erreurs. La classe politique, et a fortiori les hommes providentiels et les partis électoralistes, sont souvent déracinés, car ils imaginent le progrès comme un mouvement venu du haut, de l’élite au pouvoir, vers le bas, le bon peuple qui leur a donné le pouvoir : « Top down ». Nous savons que le progrès est au contraire « bottom up », et la base (le bottom) est constituée par la société civile, celle qui fait que la nation est la nation, alors que la France a le malheur de consacrer l’Etat-nation.
On se rappelle les débats très vifs au moment de la rédaction de la constitution de l’Union Européenne. La France, et Giscard d’Estaing le premier, ont obtenu qu’il ne soit pas fait référence aux « racines chrétiennes de l’Europe ». Le résultat, cinquante ans plus tard, c’est une Europe sans racine, une Europe sans foi ni loi, déchirée par les souverainismes populistes. Ou despotiques.
Au début du 20ème siècle Bergson disait que « l’Europe a besoin d’un supplément d’âme ». Ce besoin n’a guère été satisfait, avec deux guerres et nombre de dictatures inhumaines. En revanche les Européens, et les Français en particulier, ont eu droit à l’expansion de l’Etat, à un supplément de politique.