Sensation : mardi dernier deux prisonniers de Fleury-Mérogis se sont échappés au cours d’une promenade dans la forêt de Fontainebleau. Quelques semaines auparavant un prisonnier avait quitté la prison dans la nacelle d’un tracteur. C’est à croire que cette prison est inhospitalière. Et c’est la vérité : le taux d’occupation y est de 129 %. Les prisonniers s’entassent dans les cellules, il n’y a pas assez de place au réfectoire, les toilettes ne sont jamais disponibles ni propres. La France a été condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’homme (CEDH)
Cette situation n’a rien d’exceptionnel. Une statistique a circulé : il y aurait 72.000 prisonniers
en France pour 57.000 places. Si notre pays devait avoir la même proportion de places que dans la moyenne de l’Europe, il faudrait offrir 30.000 places de plus.
Surpopulation carcérale : pourquoi ?
Néanmoins le chiffre de 30.000 places n’a aucun sens, parce qu’il faudrait y ajouter tous les prisonniers putatifs que les magistrats ne condamnent pas à de la prison…faute de places.
Mais voilà une évidence qui fait débat : certains estiment que la surpopulation carcérale n’est pas due à un manque de places mais à un excès de condamnations.
C’est le point de vue des magistrats inscrits au Syndicat de la Magistrature puisqu’à leurs yeux les vrais coupables ne sont pas ceux qu’on leur demande de condamner, mais les membres de la société capitaliste qui les ont poussés aux crimes et délits[1]. C’est aussi ce que l’on apprend à l’Ecole Nationale de la Magistrature de Bordeaux où l’on émet beaucoup de doutes sur l’efficacité de la punition :il vaudrait mieux rééduquer que punir. Mais évidemment on n’a pas d’idée précise sur cette salutaire rééducation. C’est enfin l’objet de la campagne menée par la
Section française de l’Observatoire International des Prisons (OIP) contre l’extension du nombre de places et la construction de nouvelles prisons : « « En effet, si les chiffres de la délinquance sont toujours difficiles à manipuler, les organismes qui étudient la question […] s’accordent autour du fait que, ce qui augmente, ce n’est pas l’insécurité mais le « sentiment d’insécurité », particulièrement perméable aux faits divers, à la médiatisation et aux discours politiques ».
« Plus on construit, plus on enferme », dit encore l’OIT [2]: ainsi la surpopulation carcérale serait-elle due à l’excès de condamnations par les tribunaux, qui seraient en quelque sorte obligés de condamner pour justifier la construction de nouvelles prisons.
Il est d’ailleurs remarquable que l’actuel Ministre de la Justice ait fait en 2022 une déclaration pour dénoncer la stupidité de construire des prisons[3].
Cette approche très « progressiste » n’est pas très convaincante ; d’une part l’insécurité dans les quartiers de non-droit (de plus en plus nombreux dans de plus en plus de villes) n’est pas un « sentiment » mais une réalité, d’autre part l’impunité encourage les jeunes à provoquer la police et à s’imposer contre tout ordre social et moral.
L’affaire prend un tour dramatique quand les prévenus sont des mineurs ou de jeunes adolescents. Cette tranche d’âge bat aujourd’hui tous les records de criminalité. Il a été dit qu’à Marseille les trafiquants de drogue armés ont une moyenne d’âge de 16 ans ! Il est certain qu’il n’y a actuellement que très peu d’établissements capables de les accueillir et de leur donner précisément l’éducation qui leur permettrait d’avoir une deuxième chance dans la vie. Les rassembler dans des maisons spécialisées n’importe comment débouche actuellement sur un surcroît de criminalité par mimétisme.
Quel budget pour les prisons ?
Le budget consacré aux prisons et à la politique carcérale représente actuellement une somme qualifiée de « pharamineuse » par l’OIP. Vous pouvez juger : le plus gros poste de ce budget prévu pour 2023 est la construction de nouvelles prisons et représente 681 millions d’euros. Bien entendu l’OIT estime que c’est déjà beaucoup trop.
Il est vrai que la comparaison de quelques millions avec le programme de 4 milliards pour le Grand Marseille a de quoi étonner.
Abusés par leur stupide sentiment d’insécurité, les Français semblent stupidement applaudir la politique de « fermeté » et d’«autorité » qui inspire maintenant les discours des gouvernants : ne pas laisser ce terrain à « l’extrême droite » !
Le fond du problème c’est que non seulement le budget du service public carcéral est ridicule, mais qu’il est le reflet dramatique des choix budgétaires faits depuis des décennies, et de l’abandon total par l’Etat de ses missions régaliennes. Elles ne représentent aujourd’hui que 6 %du budget, à comparer avec les 32 % des dépenses de redistribution. On pourrait dire ; peu importe le budget du régalien, quoi qu’il en coûte, il en coûte toujours moins. Entre l’Etat Gendarme et l’Etat Providence, la classe politique a choisi.
Quelques principes libéraux à rappeler.
Voltaire passe parfois pour libéral parce qu’il s’est élevé contre les abus de la justice de son temps. Cela ne l’a pas empêché de courtiser les « despotes éclairés » de son temps. En revanche Tocqueville sera le premier à cerner concrètement le problème carcéral. En 1831 ce jeune magistrat sera envoyé par le ministère de la justice aux Etats Unis pour étudier le système pénitentiaire américain, et il en déduit deux principes que l’on peut qualifier de vraiment libéraux :
- Les missions régaliennes de l’Etat peuvent être assumées grâce au concours du secteur privé : dans certains Etats les prisons sont privées
- Les prisonniers paient leur séjour en prison en travaillant à l’intérieur de la prison, mais aussi à l’extérieur dans la journée.
Evidemment ces principes sont difficiles à comprendre dans un pays où l’Etat règle toutes choses, y compris celles qui ne le regardent pas. Mais c’est aussi un pays où l’Etat est incapable de régler le problème des prisons.
Je crois utile de rappeler quelques passages de mon ouvrage Vaccin Libéral sur la justice et la police[4] : « Le système carcéral français ne peut-il être amélioré ? D’une part il est scandaleux dans un pays qui s’est doté d’une administration planificatrice de n’avoir jamais planifié un nombre de prisons compatible avec la démographie criminelle. D’autre part pourquoi ne pas faire appel au secteur privé, qui est capable d’investir dans le système carcéral (y compris pour la surveillance) moyennant les redevances de l’Etat mais aussi le paiement par les condamnés du coût de leur séjour ? Dans son rapport sur la justice américaine Tocqueville avait remarqué que les prisonniers étaient libres d’aller travailler pendant la journée, et leur salaire permettait de payer leur dû, mais aussi de trouver un emploi et de se réinsérer une fois leur peine purgée, mais les syndicats ont réussi à mettre fin à cette concurrence « déloyale ». Lorsque le gouvernement annonce la construction en Bretagne d’une prison en…2025 c’est réellement confirmer le mépris dans lequel on tient la justice dans notre pays, depuis des décennies […] Evidemment le sort de la police est lié à celui de la justice. Si les magistrats ne font pas justice, les policiers ont le sentiment que leur mission est impossible. .Certes cela ne les autorise pas pas à se faire justice, mais on peut comprendre leur désarroi de se voir tantôt soutenus, tantôt agressés ».
Je termine par un détail amusant, ou dramatique, comme on veut : l’escapade dans la forêt de Fontainebleau a pour dénomination administrative « sortie pour réinsertion » pour des « coupables exemplaires », et elle a été réellement une réinsertion pour sortir de braves coupables de leur prison exemplaire.
[1] On apprend sans surprise que le Syndicat participe à la fête de l’Humanité pour mettre en cause la police.
[2] Bulletin de l’OIP 3 juillet 2023
[3] Dupont Moretti « Prétendre qu’il faudrait plus d’incarcération relève d’une imposture » (le Monde 3 avril 2017)
Emmanuel Macron lui avait répondu en disant qu’il ne fallait pas ramener ce problème à une simple affaire immobilière.
[4] Jacques Garello Vaccin Libéral Contre le despotisme contre le populisme éd.JDH janvier 2022 pp.81-82