Il fallait y penser : pour lutter contre l’inflation il suffit de faire baisser les prix.
Cette innovation française marque un tournant qui a l’air historique, mais qui est au contraire dans la grande tradition française : sous l’Ancien Régime avec Philipe le Bel et les rois faux monnayeurs[1], et dès la première République avec Robespierre qui fixe les prix « minimum ».
Bruno Le Maire débloque. En effet les prix français avaient une qualité utile en cas d’inflation : ils ne pouvaient pas facilement baisser. Donc il fallait débloquer les prix et autoriser leur baisse, fût-elle de nature à permettre au producteur de vendre à perte. Bruno Le Maire a mis ce matin les choses à l’heure de l’inflation : les carburants pourront, à partir du 1er décembre et pendant six mois, être vendus à perte. Tous les vrais et braves économistes français savent d’une part que la concurrence est parfaite quand personne n’a le droit d’être différent des autres d’autre part que les prix ne peuvent être fixés par le marché, qui est aveugle et injuste : la myopie du marché tranche avec la vue à long terme de la classe politique (« gouverner c’est prévoir »).
Une autre disposition est également prévue, mais cette fois pour le prix de l’électricité. Ici le ministre contredit ouvertement Madame Wargon, présidente de la Commission de Régulation de l’Energie (CRE)[2]: non le prix de l’électricité n’augmentera pas de plus de 10 %, et il est confirmé que le « bouclier tarifaire » est bien maintenu en 2024, même s’il en a coûté entre 31 et 35 milliards d’euros au budget de l’Etat pendant l’hiver 2023, et même s’il est question de le réduire progressivement à partir de l’an prochain.
Enfin, mais ce n’est pas nouveau, 5.000 produits alimentaires voient leurs prix bloqués actuellement. Cela a été imposé aux grandes surfaces, mais aussi après une rencontre imposée par l’Etat entre producteurs et distributeurs pour limiter les marges des uns et des autres. De plus, il est prévu que des contrôles et des informations seront généralisés pour vérifier que le respect de la réglementation des prix de ces produits ne soit pas accompagné de baisse dans le poids ou la qualité des produits concernés.
Bruno Le Maire a d’ailleurs conclu son interview par une allusion à la disparition des superprofits réalisés non seulement par les grandes compagnies pétrolières mais aussi par tous ceux qui ont tiré avantage de l’inflation. Les entreprises privées, les commerçants et artisans doivent « faire un effort de solidarité » et participer à la défense du pouvoir d’achat des Français. Voilà bien de la justice sociale, enfin.
Malheureusement il se trouve toujours quelques corporations qui ne se plient pas aux impératifs de l’intérêt général. Robert Gantois, président de l’UFIP (Union Française des Industries Pétrolières) réfute la réputation de grosses marges faites par les distributeurs de pétrole : au maximum 1 centime sur le litre de carburant. Mais, dans la même veine, Francis Pousse, président de la branche distributeurs de carburants du syndicat Mobilians, estime que la vente à perte est intolérable pour les petites stations service,dont la marge est déjà très proche de 1 euro, et qui seraient délaissées au profit des grandes surfaces qui peuvent se permettre de perdre sur le carburant en se rattrapant sur les achats des automobilistes : les faillites de petites stations, surtout en campagne, seraient massives. Il demande donc à l’Etat de compenser par des aides les dégâts économiques de la vente à perte. La boucle est bouclée ; l’Etat tue les entreprises, puis fait tout pour les sauver.
Ne serait-il pas opportun, dans ces conditions, de donner une leçon d’économie à Madame Borne et Monsieur Le Maire, mais aussi aux pseudo-économistes qui forgent actuellement la pensée unique française ? Voici quelques acquits incontestables de la vraie science économique[3] :
- L’inflation est, toujours et partout, un phénomène monétaire. Les banques centrales, entre les mains des Etats, fabriquent en permanence de la fausse monnaie
- La fausse monnaie, distribuée notamment à travers les dépenses publiques, a pour effets de distribuer des faux droits (Jacques Rueff) puisque des gens qui ne produisent rien vivent de subventions et allocations, de financer des investissements non rentables et de renchérir artificiellement le coût du crédit (Hayek) ; et de fausser les prix et profits relatifs, informations indispensables au marché (Mises).
- La concurrence « parfaite » n’est pas l’égalité entre producteurs, mais au contraire la diversité des offres : on devra s’aligner sur ceux qui font la meilleure offre parce qu’ils auront compris les besoins à satisfaire le mieux possible.
- Le marché est parfaitement capable de régler l’énergie, sous forme de carburant, électricité ou autre. Mais le marché est faussé par le cartel des Etats pétroliers (OPEP), la réglementation européenne, et les impôts prélevés au moment de la vente finale de l’énergie.
- Quand l’inflation gonfle tous les prix, les impôts sur la consommation de tous produits sont automatiquement augmentés : c’est ce qu’on appelle « l’impôt d’inflation ». Ainsi en est-il pour la TIPP et la TVA. Les plus atteints, en fonction de leurs revenus, sont les ménages les plus démunis (et pour le carburant les gens qui roulent le plus – pour leur plaisir sans doute !)
[1] A l’époque il y a une monnaie de compte (le denier, la livre, etc.) et une monnaie de paiement (une pièce métallique : un écu ou un louis) Il suffit au roi de dire qu’un écu qui permettait auparavant de se payer une livre de farine vaut désormais deux fois plus, de sorte que le prix de la farine est divisé par deux. Plus tard on, appellera cela une dévaluation !
[2] Ancienne ministre elle a été battue aux élections législatives, mais on a pu lui trouver très vite un poste à la hauteur de sa compétence Cette énarque est la fille de Lionel Stoléru. Son père avait fini par critiquer la planification française et à se rapprocher des industriels libéraux.
[3] On pourra ici se référer aux deux articles de Jacques Garello parus le 13 septembre 2023 dans la catégorie Fondamentaux L’ignorance économique des Français ; pourquoi ? L’enseignement économique : qui et comment ? Cf. aussi l ’article de Jean Yves Naudet Grand retour de l’inflation : rappel élémentaire à l’usage des politiciens. Contrepoints 22 septembre 2022