Je vous propose une analyse complète de la crise actuelle. Elle n’est pas nouvelle, elle a été faite par les libéraux depuis fort longtemps, et surtout à partir de 1958, date du traité de Rome qui a créé la Politique Agricole Commune (PAC). Elle est pourtant très actuelle non seulement à cause de l’escalade des manifestations mais aussi parce que les élections européennes sont là et donnent une occasion de remettre en cause le pouvoir de Bruxelles, directement concerné par la crise.
Je commencerai en résumant ce qui se dit aujourd’hui, il y a du vrai, il y a du faux. Je continuerai en énumérant tout ce qui n’est pas dit, et pour quelles raisons. Je rappellerai l’histoire des erreurs et des échecs du système agricole européen. Je terminerai en énumérant les réformes libérales qui s’imposent.
Ce qui se dit aujourd’hui
1° Les normes imposées aux paysans français non seulement par la réglementation européenne mais aussi par la sur-règlementation française les mettent dans l’impossibilité de s’aligner sur les concurrents étrangers, y compris européens. On importe en France des produits qui ne sont pas soumis à ces normes.
C’est un constat indubitable.
2° L’Etat a promis de nombreuses aides financières aux paysans, mais elles ne sont pas arrivées à la plupart de leurs destinataires, Bercy freine les paiements parce que les liquidités manquent cruellement. C’est également un constat, mais il n’y a pas qu’aux paysans que l’on a fait des promesses qui ne sont pas tenues.
3° Les revenus des paysans sont ridicules, leur travail n’est pas rémunéré, l’agriculture n’est plus un métier. Ici il faut fortement nuancer en fonction des « paysans » : les grandes entreprises céréalières sont très rentables et reçoivent bien les milliards qui leur viennent de Bercy, qui à son tour reçoit la plus grande partie des 56 milliards de l’aide européenne à l’agriculture (et représente un tiers du budget européen)
4° Les prix des produits agricoles français payés par les consommateurs français sont élevés alors que les producteurs ne sont pas rémunérés pour leur travail. Ce sont les intermédiaires qui sont en cause, leurs marges ne cessent d’augmenter. Mais les intermédiaires n’interviennent pas pour tous les produits, ni sur tous les marchés. Contrôler les marges c’est pénaliser ceux qui innovent aussi bien que ceux qui spéculent. Les négociations organisées chaque mois par l’Etat n’ont jamais diminué réellement le prix payé par le consommateur final.
5° La législation européenne impose la mise en jachère des terres pour éviter les excédents agricoles.
Voilà une innovation imaginée par les écologistes, et traduite en obligation par l’Union. Elle s’inscrit dans le cadre de la transition énergétique, de la modération de la croissance et n’a aucune raison d’être. Seul un marché libre et concurrentiel peut déceler des excédents ou des pénuries.
6° Le gouvernement envisage de supprimer le gazole agricole, dont le prix est inférieur, ce qui est coûteux en période de hausse des prix. Ce « cadeau » fait aux agriculteurs n’a jamais été légitimé autrement que par démagogie électorale, et le prix du gazole est en train de baisser.
7° L’agriculture est une activité vitale pour les Français, des familles meurent de faim, des enfants sont dans la rue. L’agriculture n’est pas vitale, elle occupe moins de 3% de la population active, les dépenses alimentaires représentent moins de 12 % du budget moyen des ménages (elles étaient plus de 50 % en 1964). Faire jouer la corde sensible des inégalités et de la paupérisation est un artifice habituel, qui engendre la jalousie, la violence et la haine
Ce qui est ignoré, oublié, ou caché
1° Au sein des pays de l’OCDE réputés libres, l’agriculture française est la plus administrée et la plus réglementée. En France il y a beaucoup plus de fonctionnaires et de personnel administratif et comptable que de paysans. Les instances qui « aident » l’agriculture sont légion : maisons d’agriculture, syndicats eux-mêmes organisés par produits, par régions, MSA (gestion de la Sécurité Sociale des paysans), les SAFER (Sociétés d’Aménagement Foncier et d’Etablissement rural)
2° Les terres françaises échappent à la logique du marché. La législation (et notamment la loi du 13 octobre 2014) donne aux SAFER un droit de préemption sur toutes les transactions qui ne concernent pas les transmissions familiales, et sur toutes les cessions de parts.
Cela représente plus de la moitié des surfaces vendues chaque année. Les SAFER ont été les instruments de la collectivisation des terres.
3° La PAC a été « nationalisée » depuis 2020 : c’est une initiative de l’Union Européenne dont les motifs sont très incertains mais qui a une conséquence concrète importante : désormais ce n’est plus Bruxelles qui gère la PAC, c’est Paris. Donc les agriculteurs mécontents ne vont plus manifester à Bruxelles, mais à Paris (ils y seront peut-être bientôt). Pourquoi seraient-ils mécontents ? Parce que les subventions de la PAC (toujours venues de l’Union) sont surtout affectées aux grandes sociétés agricoles céréalières, et les petits paysans sont totalement oubliés.
Le poids de l’histoire
La « construction européenne » a commencé dès 1946 avec Jean Monnet, elle a fait le choix explicite de la planification, d’une Europe intégrée à partir d’organisations supranationales :
CECA, Euratom, etc. Ce choix a été contesté par des Européens convaincus, persuadés que retrouver l’harmonie et l’amitié entre des peuples qui se sont haïs et combattus depuis un siècle serait plus facile grâce au « doux commerce ». Ils ont donc avancé l’idée du marché commun et de la libre circulation des personnes, des entreprises, des capitaux et des produits.
Cependant cette ouverture n’a pas été retenue pour l’agriculture. Les Français ont proposé un arrangement : la France laissait à l’Allemagne le soin de reconstruire et développer son industrie, mais l’Allemagne laissait la France organiser l’agriculture en mettant en place la PAC. L’arrangement a été habillé par une conception particulière de l’agriculture : elle devait être une exploitation familiale, de taille raisonnable, assurant aux familles un revenu décent grâce à des prix fixés au niveau européen.
La conséquence immédiate de ces prix européens inspirés par la justice sociale, et sans doute supérieurs aux coûts réels de la production, a été de transformer en paysans des dizaines de milliers d’Allemands, de Hollandais, de Danois, dont la production va désormais concurrencer les Français que l’on voulait au départ protéger. Dans le domaine industriel le
libre échange mondial a vite été mis en œuvre : suppression des licences d’importation, disparition rapide du TEC (Tarif extérieur commun), donc suppression des droits de douanes.
L’Europe de l’industrie renonçait au protectionnisme. Par contraste l’Europe agricole fermait la porte aux poulets et aux céréales venus du reste du monde. Ainsi le « marché unique » a-t-il été boiteux pendant plusieurs années.
Deux évènements ont conduit à la résurrection d’un protectionnisme mondial. Le premier est la crise de 1974 consécutive au choc pétrolier provoqué par l’OPEP pour des raisons politiques (contre Israël), elle entraîne inflation (crise du dollar) et chômage dans la plupart des pays européens, il faudra attendre Thatcher et Reagan pour ressusciter le libre-échange. Le deuxième est la poussée de l’écologisme à partir des années 2010 avec la peur panique de la disparition de la planète sous le coup du réchauffement climatique, lui-même attribué (sans raison) à la croissance économique et au capitalisme. C’est donc le grand projet de transition énergétique (fin des énergies fossiles au profit des énergies renouvelables), qui va enfermer l’agriculture dans une série de normes sans cesse plus coercitives et plus nocives. La lutte contre l’exploitation des terres par les paysans prend en France un sommet avec Sainte Soline : les paysans ne sont pas aimés.
Réformer l’agriculture
Ce ne sont pas les manifestations, fussent-elles spectaculaires comme le blocage de Paris, qui peuvent remettre en ordre et en œuvre l’agriculture française. Sans doute, grâce à la Coopération Rurale, dirigée par la CGT, y aura-t-il une tentative de « convergence » avec tous les mécontents de France : les pêcheurs, les taxis, les salariés des entreprises tuées par les charges, les impôts, l’inflation et tous autres méfaits de l’Etat.
Sans doute l’idée d’une « souveraineté alimentaire », commune à Emmanuel Macron, au Rassemblement National et au Parti Communiste, va-t-elle refleurir dans les discours, mais comment y parvenir dans un pays qui n’a pas la capacité de nourrir en fruits et légumes sa population ? Aujourd’hui les paysans qui en ont les moyens investissent à l’étranger pour réexpédier leur production en France !
Il existe une meilleure méthode pour satisfaire et les paysans et les consommateurs. Réformer l’agriculture c’est
1° supprimer immédiatement les normes inspirées par les peurs écologiques aujourd’hui savamment distillées ;
2° supprimer les SAFER et libérer le foncier, jusqu’à revoir également le Code des baux ruraux
3° supprimer la Sécurité sociale, qui est un pur gaspillage puisque le recours à des techniques assurantielles et de capitalisation diminuerait de moitié les coûts de la santé et de la retraite.
4° supprimer le financement aux syndicats, associations et autres instances « paysannes » qui ne produisent que de la bureaucratie paralysante.
5° considérer les paysans comme des entrepreneurs, soucieux de leurs coûts mais aussi respectueux des signaux du marché et de l’intérêt des consommateurs.
Vous me direz que je propose ici mon éternel programme libéral[1], et que je « supprime » beaucoup. Mais c’est précisément la réforme systémique qui est importante : s’’en remettre simplement au libre-échange, à la libre entreprise et à la concurrence – et avec un Etat minimal. L’Etat a tué les paysans, les paysans peuvent dégraisser l’Etat, qu’il soit celui de Paris ou de Bruxelles.
[1] Cf : mon ouvrage « le vaccin libéral – contre le despotisme contre le populisme » IDH, Ed 2022. Voir aussi dans la Nouvelle Lettre : Vaccin Libéral, Les vrai principes libéraux et les réformes qui s’en inspirent du 30 Septembre dans la rubrique Fondamentaux 2022 de Jacques Garello.
Bravo ! Je suis entièrement d’accord.
il y a 40 ans, le bâtonnier Raymond de Sylguy ( décédé en 1998 ) regrettait les choix des gouvernants, notamment la PAC.
Les SAFER sont un non sens ( nonsense diraient les Anglais ) ; on pourrait reprendre à ce sujet la célèbre formule de Michel PONIATOWSKI ” les copains et les coquins”. Les paysans qui partent en retraite se plaignent du faible prix des terres, mais ils ne s’en plaignaient pas lorsqu’ils achetaient des terres.
Des terres sont en friche à cause du statut du fermage.
La mutualité sociale agricole a un coût exorbitant, ce qui encourage le travail au noir
Personne n’est capable de comprendre et d’expliquer comment sont calculées les cotisations.
En outre des cotisations sont calculées sur le revenu + sur la CSG non déductible
On fait donc payer des cotisations sur des charges ; c’est ahurissant !
Tout cela est à réformer, mais qui le fera ?
Petite remarque : les taxes sur les carburants sont justifiées par le besoin de faire payer à ceux qui roulent sur les routes le coût du réseau routier. Ce n’est en fait qu’en péage généralisé. (Loi de 1928 sur la TIPP).
Ceux qui ne roulent pas sur les routes, les avions et les agriculteurs, n’ont donc pas à la payer. Ce n’est nullement un privilège : une taxe est attachée à un service, si vous n’utilisez pas ce service vous n’avez pas à la payer. Les agriculteurs c’est facile : les tracteurs ne roulent pas sur les routes et autoroutes au très peu.
Pour les avions c’est encore plus évident : eux payent les “taxe routière” par les redevance de route aérienne, facturées par la DGAC. Ne pas leur faire payer de taxes routières intérieurs terrestre n’est que normal.
Je complète mon précédent commentaire.
Il faut aussi mettre fin à l’autorisation d’exploiter, décidée par le Préfet
Un bail conclu sans l’autorisation du PREFET d’exploiter des terres est nul et non avenu.
Le préfet a ainsi le pouvoir de refuser l’autorisation d’exploiter à l’agriculteur choisi par le propriétaire
( j’ai connu ce cas ; le préfet voulait imposer un agriculteur dont le propriétaire ne voulait pas, pour d’excellentes raisons ).