Parmi les grandes réformes libérales à réaliser, il y a celle de la magistrature. La France est l’un des très rares pays dits libres où les magistrats sont sous la coupe du pouvoir. Ils sont fonctionnaires, nommés par le Président de la République ou le Ministre de la Justice. La Constitution de la 5ème République a longtemps stipulé que le Président de la République présidait aussi le Conseil National de la Magistrature, mais progressivement cette disposition a disparu. Même si la séparation des pouvoirs n’est pas une garantie absolue, mettre le judiciaire sous la coupe de l’exécutif est impensable. Dans le protocole de l’Ancien Régime le Garde des Sceaux avait priorité sur le monarque, et Montesquieu s’est révolté contre les « lits de justice » qui donnaient au Roi le pouvoir de contester les Parlements de province.
Mais la politique et la magistrature sont depuis des décennies unies par un lien encore plus explosif : la magistrature est politisée. Ici c’est la formation des magistrats qui est en cause. Nul ne peut accéder à la magistrature sans réussir à un concours public et sans être diplômé de l’Ecole Nationale de la Magistrature, créée en 1958 peu après l’Ecole Nationale d’Administration et dans le même esprit : que l’Etat puisse s’appuyer sur des hauts fonctionnaires de qualité. Evidemment l’énormité qui consiste à réduire les magistrats au rang de fonctionnaires peut déjà être condamnée, mais l’ENM s’est assez vite transformée en usine de formatage des jeunes fonctionnaires : ils doivent comprendre que la justice est rendue suivant une idéologie bien précise dont voici les quatre piliers :
1° Les individus sont coupables de délits et de crimes non pas pour des fautes personnelles, mais parce que la société les a aliénés
il faut éliminer la criminalité à sa vraie source : le système économique et social.
2° La criminalité en col blanc, dont les auteurs sont des gens enrichis par la corruption et la malhonnêteté, est jugée aussi grave (sinon plus) que les crimes de sang.
3° La carrière des magistrats dépend d’une instance centrale, donc il est important qu’elle soit également contrôlée par des syndicats, et les meilleurs syndicats sont ceux qui n’hésitent pas à chasser les puissants du système, le meilleur des meilleurs peut afficher un « mur des cons » dans les locaux d’un prétoire.
4° Emprisonner les coupables n’est pas une solution, car il manque de places dans les prisons existantes, et la prison détruit des personnalités pourtant très riches, simplement corrompues par le système.
Les résultats de l’ENM sont aujourd’hui dramatiques : face à l’insécurité, au fanatisme et au terrorisme, les juges se montrent souvent incapables de punir sévèrement. Quelques acquittements ont récemment fait scandale : être sous l’emprise de la drogue est-il facteur d’impunité ?
Ainsi Constitution et ENM se conjoignent-elles pour que règne la politique dans la magistrature.
Il est nécessaire et instructif de comparer ce résultat avec ce qui se passe dans les pays plus civilisés que le nôtre (oui, çà existe). Tout d’abord les magistrats ne sont pas de jeunes diplômés frais émoulus d’une école nationale. Ils ont une expérience de la vie sociale, professionnelle, familiale. Les uns sont élus, en général sur cette expérience passée, et rééligibles (ce qui les pousse à bien faire). C’est le cas dans beaucoup d’Etats aux USA, mais aussi dans plusieurs pays européens. Les autres sont des avocats et juristes ayant exercé des fonctions dans le cadre d’une profession libérale, et ils sont choisis par le seul jeu de la concurrence, ce qui signifie que les juges les plus recherchés sont ceux qui ont déjà démontré leurs compétences. Après tout c’est ce qui se passe quand on choisit l’arbitrage, or il s’avère que la plupart des grands conflits d’intérêts commerciaux, portant sur des millions de dollars ou d’euros, est tranché par des arbitres. Mais l’arbitrage est plus difficile à admettre dans les affaires pénales. Il y aussi un grand débat autour des juridictions pénales avec ou sans jury. Nombre de films ont été tournés sur les faiblesses des jurys, c’est le choix qui a été fait en France pour les crimes, mais les corruptions politiques politiques sont semble-t-il à part.
Le programme libéral « réformer pur libérer » évoque plus en détail comment régler la situation de la magistrature. Il est grand temps d’y venir, mais rien ne sera réellement entrepris tant que les réformes de fond ne seront pas réalisées :
- Limiter l’Etat à ses tâches régaliennes, ce qui aurait pour effet d’augmenter le budget consacré à la justice, la police et aux prisons puisque les sommes dépensées dans ces domaines sont ridicules aujourd’hui (moins de 6% du total des dépenses publiques). Les magistrats arguent très souvent de la pénurie de prisons pour ne pas condamner ou abréger la sévérité et la durée des peines[1].
- Créer le nombre de prisons nécessaire, en faisant appel à l’initiative privée (y compris pour la sécurité) et mettre en place des établissements spécialisés pour les jeunes
- Former les nouveaux juges sur les lieux de leur affectation, ils comprendront mieux le climat social et moral autour d’eux
Il va de soi qu’une meilleure connaissance de l’exercice de la magistrature à l’étranger nous serait utile. Mais sans juger quant au fond (nous ne sommes ni juges ni jurés) nous souhaitons qu’il soit mis fin à l’ambiguïté des relations entre politique et magistrature.
[1] S’agissant des prisons, Tocqueville avait été chargé d’étudier le succès des prisons américaines au début du 19ème siècle. Pas de secret : les prisonniers ne sont en prison que la nuit, dans la journée ils travaillent et paient leur prison.