Parce que je suis économiste je fais un parallèle entre l’école et la fiscalité. Nous faisons couramment la différence entre les paradis et les enfers fiscaux. Mais quels sont les pays à incriminer : l’Irlande qui a les impôts les plus légers ou la France qui croule sous les prélèvements obligatoires ? Les politiciens français et européens voudraient que les paradis fiscaux disparaissent et rejettent toute idée de concurrence. A leurs yeux l’harmonisation doit se faire en s’alignant sur les plus mauvais plutôt qu’en se hissant au niveau des meilleurs, les « frugaux ». Je crois que l’école privée (ou dite telle) est devenue un paradis parce que l’école publique est devenue un enfer scolaire. Je n’incrimine personne : c’est le système qui est cause, et pas les gens qui sont concernés – enseignants, parents, administrateurs.
En 1984 deux millions de manifestants venus de la France entière ont défilé dans les rues de Paris pour défendre l’école privée. Le projet de loi Savary (ministre de l’Education Nationale du gouvernement Mauroy) entendait mettre fin au financement des établissements scolaires privés prévu par la loi Debré de 1959. Je ne suis pas sûr qu’il y aurait autant de manifestants aujourd’hui, la déchristianisation de la France s’est amorcée et accélérée depuis quarante ans. Mais depuis quarante ans les adversaires de l’enseignement privé n’ont pas disparu, leur initiative politique actuelle demeure fidèle au programme commun des socialistes et communistes de 1974.
Car l’initiative est politique : elle a pour argument essentiel les « dérives » qui se seraient produites dans ce Stanislas et qui auraient été consignées dans un rapport remis à l’Education Nationale en août dernier (Gabriel Attal étant ministre). Ce fameux rapport a été révélé par Médiapart dès l’arrivée au pouvoir du Ministre actuel, et il est remarquable que la presse de gauche se réfère explicitement aux allégations de Médiapart qui seraient «accablantes » (adjectif le plus fréquent). Sur la base de ce fameux rapport la mairie de Paris a suspendu ses subventions à Stanislas, « à titre conservatoire » mais en toute illégalité puisque les communes sont redevables de ces subventions, qui sont financées par tous les contribuables de la commune et inscrites au budget communal. Maintenant, il est sûr qu’on peut contester la loi Debré, et ce serait une grande victoire pour les inconditionnels de la laïcité radicale. Médiapart récidive samedi (hier) en accusant Stanislas de tricher pour les demandes de Parcours Sup.
Mais je me demande si en l’an 2024, et à la différence de 1984, le choix de l’école privée n’est pas dû à l’enfer scolaire de l’école publique, de sorte que les parents qui ont pu faire inscrire leurs enfants dans l’école privée sont devenus des privilégiés.
On pourrait donc détruire l’école privée parce qu’elle est réservée à des privilégiés. L’argument est d’ailleurs courant : seuls les riches ont accès au privé, donc ils peuvent payer. Ayant présidé pendant quarante ans des OGEC (Organismes de Gestion de l’Enseignement Catholique) je peux facilement réfuter l’argument de ceux qui n’aiment pas les riches. Tout d’abord les gens qui font le choix du privé sont des parents qui se veulent responsables et qui, à tort ou à raison, pensent que leurs enfants seraient mieux instruits, ou plus proches de la maison, ou plus près de leurs cousins ou de leurs copains. Or, il est incontestable que les établissements privés rejettent une masse de familles candidates à l’inscription. Ce sont les chefs d’établissement qui ont à charge de sélectionner les candidatures. Comment procèdent-ils ? Ils reçoivent les familles, c’est-à-dire ils s’assurent que les parents s’occupent de l’éducation de leurs enfants. Ce n’est pas le coût des scolarités qui fait barrage à l’entrée, c’est le manque de place, et il en est ainsi parce que les accords Lang Cloupet (1993) obligent le privé à ne pas dépasser un nombre d’élèves supérieur au quart des effectifs du public. De la sorte, quand le public ferme une classe, le privé est également obligé de réduire ses effectifs !
Quant au coût du privé, ce n’est pas un argument très solide. D’une part dans le public les parents sont obligés d’engager de lourds frais à la rentrée – et ils font souvent de lourds sacrifices. D’autre part l’enseignement catholique a été précurseur au 19ème siècle en ouvrant des classes (gratuites) dans les quartiers pauvres1. Enfin la plupart des établissements privés modulent les scolarités en fonction des situations et des revenus des familles, allant souvent jusqu’à la totale gratuité.
Evidemment les gens de Médiapart et leurs alliés me diront que les catholiques font tout pour convertir les enfants à leur religion, et ils vont les gaver de catéchisme. C’est le pire et le plus honteux des mensonges parce qu’à Stanislas, comme ailleurs, le catéchisme n’a jamais été obligatoire, cela faisait d’ailleurs partie de la loi Debré et des accords de 1993.
Ma conclusion est donc évidente : le montage politique contre l’école privée masque l’échec de l’école publique, devenue enfer scolaire. Il est urgent de faire du public un paradis scolaire, il suffit d’en venir à la vraie liberté scolaire : fin du monopole de l’Education Nationale, et aide aux familles qui veulent faire le choix de leur école et n’en ont pas toujours les moyens2.
1 Les frères salésiens, les Frères des Ecoles Chrétiennes, ‘Œuvre de Timon David, etc.
2 Les exemples puisés à l’étranger ne manquent pas : bons scolaires, exemptions fiscales, chartes passées avec l’Etat, bourses, écoles à domicile etc. Le principe est toujours : le choix appartient aux parents.