Puisqu’il est courant ces jours-ci de comparer France et Etats Unis, voyons comment fonctionne la démocratie américaine d’après sa constitution :
1°Les partis politiques ont le droit d’être financés par les citoyens, le montant de fonds recueillis est d’ailleurs un atout électoral majeur, un sondage en or.
2° Un candidat à la Présidence peut être élu même s’il est en prison
La législation française (Balladur et Bayrou) limite le soutien financier apporté à un parti politique. Compte tenu des frais actuels d’une campagne électorale plusieurs partis et plusieurs candidats sont suspectés de recueillir des financements discrets, secrets, illégaux. Eric Woerth, ancien ministre et président de la commission des Finances dans l’Assemblée Nationale élue en 2017, a été condamné à l’occasion du « scandale Bettencourt » : grâce à la riche héritière il aurait financé l’UMP quand il en était le trésorier. Il a été relaxé (pas de prison) mais bien condamné à reverser des sommes considérables. Cette affaire a le mérite de rappeler que les partis politiques ont du mal à vivre de ce que la République Française a prévu pour eux. L’affaire Bygmalion et plus grave l’affaire Khadafi (2005, 50 millions donnés par le gouvernement lybien) pour lesquelles Nicolas Sarkozy a été poursuivi vont être bientôt jugées.
C’est dire que Marine Le Pen n’a pas été une criminelle hors pair. Si elle a confondu les fonds du Parlement et ceux du parti Front National (à l’époque) elle n’a pas innové. D’ailleurs dès les premiers moments du procès qui lui est fait elle reconnaît les faits et se déclare prête à rembourser le Parlement des sommes qu’elle aurait détournées. Au demeurant certains arguments ont été avancés pour soutenir que le travail d’un attaché parlementaire européen ne l’empêchait pas de demeurer à Paris. Enfin il est certain qu’à aucun moment il y a eu enrichissement personnel de Marine Le Pen.
On pourrait en rester là, mais la dimension politique du procès commence avec les requêtes de la Procureure. Le réquisitoire a été particulièrement « sévère » (c’est la litote de Marine Le Pen) : non seulement peine de prison, même avec un sursis de 2 ans, inéligibilité pour 5 ans, mais aussi « exécution provisoire ». L’exécution provisoire est sans doute une erreur de la Procureuse, puisqu’elle ne doit être prononcée que pour prévenir une récidive du condamné. Y a-t-il quelque chance que Marine Le Pen récidive ? D’une part elle n’est pas députée européenne, d’autre part l’exécution provisoire lui interdirait de siéger à l’Assemblée ! Voici une première injustice.
La deuxième injustice tient à la rapidité de la procédure : fallait-il aller si vite alors que d’autres scandales politiques mettent des années à être jugés ? Cette hâte rappelle celle dont a été victime François Fillon ; il ne fait pas bon d’être éligible, surtout quand on a quelque chance de l’emporter. Evidemment on peut supposer que la Procureure ignore tout des intentions et des orientions de Marine Le Pen. Elle doit ignorer le raz-de-marée du parti dont elle dirige le groupe à l’Assemblée Nationale. Au minimum Marine Le Pen aurait droit à un respect voire à une indulgence compte tenu du nombre de Français qu’elle représente. Mais il semblerait que le Rassemblement National soit non seulement rejeté de « l’arc républicain » mais aussi rejeté de « l’arc judiciaire » : le droit commun ne peut lui être appliqué.
Il ne faut pas se leurrer : le regard jeté sur Marine Le Pen, et pas seulement le regard de la Procureure, est celui qu’on jette sur le Père (qui fut député européen) et sur ladite « extrême droite » qui menacerait la liberté et la paix sociale. S’il y a aujourd’hui des menaces elles sont du côté de LFI qui sème la haine, le racisme, le communautarisme. Il est vrai que Jean Luc Mélenchon tient maintenant des propos apaisants qui ne risquent pas de le mener devant un juge.
Le procès est donc politique. Ce n’est pas la première fois. A la veille d’être élu Georges Pompidou a été impliqué dans l’affaire Markovic : son épouse aurait été complice de la mort de ce mauvais garçon. Pompidou a eu la liste de tous ceux qui vaaient monté l’opération contre sa candidature. Giscard n’e pas été réélu à cause de l’affaire des diamants, alors qu’il s’agissait de pierres sans valeur. Quant à Mitterrand il a multiplié les écoutes élyséennes pour surveiller ses concurrents, et il a caché l’existence de sa double vie. « Selon que vous soyez puissants ou misérables, les jugements de cour… » La Fontaine s’est trompé, il ne connaissait pas notre République, car ce sont les puissants qui doivent se méfier des juges.
Les puissants, voilà les ennemis pour beaucoup de magistrats. Quelle est leur origine intellectuelle, quelle est leur idéologie, quelle est leur carrière ? Depuis des années les libéraux dénoncent avec force deux vices de la vie publique française. Le premier est la formation des juges dans une Ecole Nationale de la Magistrature qui formate les élèves en leur enseignant qu’il n’y a pas de criminels, il y a une société criminelle qui pousse au crime, et que la sanction et la prison sont des procédés inefficaces et humains, il faut user de la réhabilitation. Le deuxième vice est l’écrasement du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif, qui a aussi confisqué le pouvoir législatif.
Nous saurons dans quelques heures si la Procureure a réellement requis parce que « la relaxe lui ferait mal ». Heureusement il y a une défense, et un jugement : Marine Le Pen a-t-elle droit au droit ? La démocratie française peut-elle être sauvegardée ?