Par la masse des participants, la puissance des armes et malheureusement le nombre de victimes la fusillade de Poitiers a sans doute eu un effet positif : mettre l’Etat devant ses responsabilités. Dans un remarquable article publié dans le Figaro de vendredi David Lisnard, maire de Cannes, président de l’Association des Maires de France et du parti Nouvelle Energie met en cause « nos dirigeants successifs depuis plus de quarante ans, qui ont choisi de détourner le regard et de relâcher les exigences de sécurité, en croyant acheter la paix sociale ». Reçu hier au soir par LCI Alain Bauer, professeur au CNAM et spécialiste de la criminalité, allait dans le même sens : quand la violence s’aggrave on assiste à trois réactions successives : la négation, la minimisation, l’inaction.
La situation
David Lisnard ne minimise pas ce qui se passe. Il décrit avec précision la situation actuelle : Les réseaux mafieux sèment la terreur et l’ultra violence, y compris en prison, peuvent interagir avec les réseaux islamistes aux visées totalitaires, pratiquent la corruption dans le milieu carcéral, pervertissent le rapport au travail et l’économie légale par le blanchiment, détruisent la santé de nos enfants, méprisent les autorités politiques, policières et judiciaires, alimentent un délitement régalien qui peut conduire soit à l’effondrement de la nation, soit à une réaction autoritaire liberticide.
L’Etat est responsable
David Lisnard tient l’Etat pour responsable de cette situation : Très clairement, l’État, dont c’est pourtant la mission principale et la raison d’être, a abandonné son rôle sécuritaire. Cet échec repose sur une triple faillite : la lâcheté, l’idéologie et le calcul politicien. La lâcheté a consisté à renoncer à limiter les flux migratoires et à imposer des critères clairs d’assimilation, elle a créé un climat de rupture au sein de la société. L’idéologie est la vision permissive de la délinquance : il n’y a pas de criminel, c’est la société et la pauvreté qui poussent au crime, donc on ne doit pas punir. Par calcul politique, nos dirigeants « ont préféré soit minimiser l’ampleur de la situation pour préserver une paix civile illusoire, soit rouler des mécaniques autoritaires sans agir en profondeur, ou plutôt sans agir tout court […] La justice est devenue le maillon faible de notre système, offrant aux délinquants la certitude de pouvoir agir sans craindre de réelles sanctions.
David Lisnard apprécie la détermination du ministre de l’intérieur Bruno Retailleau pour que la peur change de camp. La « mexicanisation » de la France affaiblit la cohésion nationale, dit-il, et il conclue son article avec humour : Les citoyens, s’ils ne veulent plus de discours, ne supportent plus l’impuissance publique. C’est à ce prix que la France pourra retrouver un avenir sûr, libre et digne à tous. Et que l’invocation du « respect des valeurs de la République » ne restera pas une incantation creuse.
Démanteler l’offre est inefficace
J’ai pratiqué depuis 1995 la lutte contre la drogue et je vais me permettre d’aller un peu plus loin que mon ami David Lisnard dans l’analyse des moyens d’en finir avec ce fléau. Je ne crois pas à la prohibition et aux sanctions qu’elle engendre. La raison est bien simple : on n’a pas éliminé un réseau de trafic et de vente qu’aussitôt la place est prise pour un autre réseau. La preuve en est d’ailleurs que les réseaux, comme à Poitiers ou Marseille, n’ont de cesse que de se fusiller. D’autre part la prohibition d’un produit conduit à des produits de substitution en général plus dangereux. Enfin en amont, les grands organisateurs du trafic ont une puissance hors de portée d’un Etat ordinaire : la filière faite de la production (Amérique du Sud), de la diffusion (Afrique et Europe) et de la consommation est totalement sous contrôle géopolitique, on dit que le Hezbollah contrôlerait 60 % du trafic mondial. Dans le combat livré à l’Occident la drogue est une arme redoutable, elle détruit l’humanité à San Francisco.
Je sais qu’on donne souvent les Pays Bas ou la Belgique comme exemples de pays où l’on pratique la médicalisation des drogués. Mais la médicalisation est aussi une forme d’impunité, et la drogue en vente surveillée circule bien vite hors des frontières. Mettre un policier derrière chaque client a été réalisé avec succès au San Salvador, mais il a fallu 80.000 policiers dans ce petit pays. Quand on sait ce qu’est le budget de la police, de la justice en France on en conclue que la méthode est hors de nos moyens.
Arrêter la demande : une vraie révolution[1]
En 1995 j’ai contribué à mettre en place en France le programme Quest, dispensé dans le monde entier par le Lions International. Comme d’autres amis j’avais assisté à la fille d’un docteur morte à la suite d’une overdose. Ce docteur a fait le tour de tout le Sud Est pour faire connaître ce programme. Le recteur d’Aix-Marseille (et Nice à l’époque) a tout de suite lancé une campagne dans les écoles de son Académie. En moins d’un an le programme a été diffusé dans six Académies de France. Mais une campagne de presse lancée par Le Monde et Le Canard Enchaîné a mis fin à l’expérience Quest. Bien que personnellement convaincu des bienfaits de Quest Lionel Jospin, premier ministre a cédé à la pression de syndicats d’enseignants opposés à ce que des « étrangers » se mêlent d’éduquer les enfants (alors même que Quest forme les enseignants).
Le programme Quest a été mis au point par des neurologues et des psychologues, il est actuellement la propriété du Lions International, et il a été diffusé à 10 millions d’écoliers à ce jour. Dans des pays comme l’Australie la drogue des jeunes a disparu. Ce n’est pas un miracle : il s’agit de faire comprendre aux enfants qu’ils ont une personnalité, qu’ils n’ont pas à copier les autres (les addictions viennent du mimétisme), qu’ils n’ont pas à accepter des « chefs », casser l’esprit de bande et développer l’esprit d’équipe, réaliser qu’on peut faire de la peine ou du mal aux autres, apprendre à respecter les parents et les personnes âgées.
Tout cela semble naturel, ce n’est pas un miracle mais c’est une révolution dans notre système scolaire. L’Education Nationale a fait le choix du collectivisme et de l’égalitarisme : plus de note, plus de classement. Elle a fait le choix de l’illusoire vie commune et ne transmet plus le savoir. D’ailleurs il y a du mal à trouver des enseignants, et surtout des enseignants de vocation et de qualité.
Une nécessaire convergence
Je voudrais conclure en énumérant les points que j’ai sûrement en commun avec David Lisnard et Bruno Retailleau.
1.La nécessaire punition et des dealers et des consommateurs mineurs ou adolescents
2.La création d’établissements spécialisés et médicalisés pour les accueillir
3.La réforme de la justice française, et la fin des magistrats politisés et adversaires des peines, je demande même la fermeture de l’école de la Magistrature de Bordeaux
(deux propositions de lois jadis de Novelli et Fourgous, toujours rejetées)
4.La réforme de l’éducation nationale pour revenir aux notes et classements
5.L’annulation des directives de la rue de Grenelles concernant les programmes, les manuels scolaires, et le passage à l’autonomie des chefs d’établissements
6.La responsabilité des parents dans l’éducation de leurs enfants, à condition qu’on les mette en mesure de faire jouer la concurrence entre établissements (suppression de la carte scolaire, chèques éducation)
7.La revalorisation du budget de la police et de la justice financée par le retrait de l’Etat d’activités qui relèvent du secteur marchand ou communautaire
Enfin j’aimerais avoir les commentaires de ces deux leaders dont la cote ne cessera de monter puisque les deux tiers des Français souhaitent « autre chose »
[1]. J’ai publié sur ce thème un article dans le Figaro Vox le 28 mars 2024 : ” Trafic de drogue : ” attaquons-nous à la demande plustôt qu’à l’offre” et deux autres articles dans la Nouvelle Lettre en 2024 autour de l’opération ” Net XXL” à Marseille. Analyse Economique de la drogue : La solution n’est pas du côté de l’offre mais de la demande. Et le Président en guerre contre les trafiquants de drogue, sa visite surprise à Marseille nous a tout à fait rassurés.