Coauteur d’un rapport révolutionnaire avec Jacques Rueff son grand père Louis Armand l’a peut-être inspiré : notre ministre vire au libéralisme !
Interviewé hier matin sur le débat budgétaire par CV News Antoine Armand n’a pas maché ses mots : les députés s’enlisent dans des amendements ridicules, il serait temps d’en venir à des réformes structurelles, c’est-à-dire à réduire la sphère de l’Etat.
Il évoque notamment deux réformes explosives : sur les retraites, sur le statut de la fonction publique. Et il conclue sur la nécessité de travailler davantage !
En finir avec les retraites par répartition
L’Assemblée a abordé le PLFSS : Projet de loi sur le Financement de la Sécurité Sociale. C’est en fait le gros gâteau des dépenses publiques, à l’origine de 52% du déficit global. En outre l’articulation n’est pas claire entre le PLFSS et le PLF (projet de Loi de Finances qui ne concerne en principe que l’Etat), il y a des manipulations de comptes incessantes, qui vont toujours dans le même sens : masquer le vrai déficit de la très chère Sécu[1].
Que ce soit en Commission ou au cours des débats dans l’hémicycle, il n’est question que de réduire l’âge de la retraite du régime général, NFP et RN font de la surenchère, les autres font de la résistance. C’est oublier que ce type de réforme n’a aucune signification financière, on se contente de modifier les paramètres du système actuel. Or, c’est ce système qu’il faut changer, et Antoine Armand n’hésite pas à dire la vérité : c’est la retraite par répartition qu’il faut abandonner, puisqu’il y aura de moins en moins de cotisants pour de plus en plus de retraités[2].
Modifier le statut de la fonction publique
Réforme encore plus explosive, qui annonce conflits et manifestations. Il n’en demeure pas moins qu’être fonctionnaire en France est un privilège sans doute unique dans les pays libres[3]. Ce privilège est tel que le rêve français est de devenir fonctionnaire de l’Etat, des collectivités locales ou des hôpitaux publics. De plus les salariés des entreprises publiques (SNCF, EDF, France Télévisions, etc ) bénéficient également de privilèges par rapport aux salariés des entreprises privées.
Le premier privilège est le statut : l’emploi est assuré à vie, dans un pays où le chômage donne aussi un record européen et où l’emploi est très précaire.
Le deuxième avantage concerne les retraites : elle est calculée sur la base du dernier salaire reçu alors que la « réforme Balladur » a fixé la durée des cotisations à 40 ans,et le calcul du salaire moyen sur les 25 dernières années. D’autre part les fonctionnaires se voient offrir les avantages de la capitalisation avec la Préfon (Caisse Nationale d’Assurance de la Fonction Publique) bien plus avantageuse que ce que peuvent proposer les formules de comptes épargne retraite prévus par la loi PACTE.
Le troisième avantage est la générosité de l’Etat pour ses salariés. Peut-être y a-t-il quelque habileté à augmenter les émoluments à la veille des échéances électorales. Toujours est-il que Madame Borne a décidé d’augmenter les émoluments de 10 %, ce qui a grevé le budget de l’Etat de 6 milliards d’euros au moment même où son Ministre des Finances Bruno Le Maire déclarait qu’il n’y avait plus d’argent dans les caisses de l’Etat.
Le quatrième avantage est moins connu et rarement évoqué : les hausses de salaires, quand elles ne sont pas politiques, sont-elles en relation avec une hausse de la productivité de la fonction publique ? Les services publics ont-ils amélioré leurs prestations ? Cette question n’a justement aucun sens puisque la valeur ajoutée d’un fonctionnaire se mesure au salaire qu’il touche ! C’est toute la différence entre le PIB (agrégat mesurant le Produit Intérieur Brut) et le PIB marchand pour lequel la valeur ajoutée a été payée par les consommateurs de biens et services vendus par des entreprises privées . Ainsi embaucher et payer un fonctionnaire c’est augmenter le PIB. Cette ambiguïté justifie un slogan syndical et médiatique : « Les fonctionnaires sont mal payés », slogan accompagné de considérations inévitables sur la pénibilité du travail des infirmières des hôpitaux publics et des enseignants de l’Education Nationale, pénibilitéqui justifierait un taux d’absentéisme élevé.
Or, Antoine Armand peut faire scandale en déclarant que l’on pourrait transférer nombre de fonctionnaires du public au privé en privatisant certaines branches de l’administration. C’est d’ailleurs ce qu’a fait au Canada le gouvernement Chrétien (pourtant de gauche). Les privatisations peuvent être l’occasion de remplacer des routines par des initiatives, de développer la créativité personnelle en supprimant la gestion bureaucratique des piles de dossiers. Le résultat est davantage de valeur ajoutée réelle, donc de croissance : moins de dépense publique et plus de recettes fiscales.
Travailler davantage
Mais précisément le Ministre de l’Economie va faire scandale encore plus honteux en constatant que la France est le pays où l’on travaille le moins avec tous les méfaits qui s’ensuivent. Age d’entrée dans la vie active de plus en plus tardif, départs à la retraite de plus en plus précoces, nombre de jours fériés et de ponts au plus haut possible, réglementation du temps de travail, et finalement arbitrage de plus en plus significatif entre travail et loisirs.
La fiscalité contribue à ce fléau : la progressivité frappe les gens qui ont le malheur de travailler davantage, d’épargner pour investir, d’entreprendre pour innover et réussir. En sens inverse libérer des énergies nouvelles c’est assurer une croissance (aujourd’hui morbide) donc élargir l’assiette de l’impôt et accroître les recettes fiscales. Le Ministre n’a pas fait référence à l’effet Laffer mais il a lié à juste titre la croissance et la diminution des déficits publics. Voilà en quoi il est libéral : l’Etat doit se retirer de la vie économique, il doit exercer un pouvoir minimal en se concentrant sur ses missions régaliennes, en particulier en assurant la sécurité des Français. Quand on lui a demandé s’il s’entendait bien avec Bruno Retailleau, il a répondu que tous deux n’étaient pas du même bord, précisant qu’il s’agit d’un « gouvernement de coalition ». Ici Antoine Armand commettait une erreur : l’heure n’est plus à opposer la gauche et la droite, mais l’étatisme socialiste et la renaissance libérale.
[1] La Nouvelle Lettre (4 septembre 2024 actualité) a repris un article de Jean Pierre Robin dans le Figaro qui rapporte les propos incroyables de Jean Pascal Beaufret, ancien Inspecteur des Finances et directeur du Trésor Enfin la vérité sur les déficits publics, Jean Pierre Robin : plus de la moitié vient des retraites par répartition
[2] Faut-il rappeler aux lecteurs de la Nouvelle Lettre que la répartition signifie que les cotisations payées par les personnes en activité sont immédiatement versées aux personnes retraitées? D’autre part le régime général ne doit pas faire oublier tous les privilèges dont bénéficient des personnes à régimes spéciaux (dont notamment les fonctionnaires)
[3]5.200.000 en France pour 4.900.000 en Allemagne, Rapportée à la population, la France est dans le peloton de tête des pays européens, et de beaucoup (double du Royaume Uni et de l’Espagne)