Préparer La Faillite en 2023 ? Privations pour Les Français en 2023 ? Rien de tout cela, il s’agit bien sûr du Projet de Loi de Finances pour 2023, c’est-à-dire du budget qui a été préparé par le Conseil des Ministres lundi et qui est soumis aux parlementaires au cours de la prochaine session d’Octobre. Les mauvais jeux de mots suggérés ici sont de nature à laisser croire que ce projet ne va pas dans la bonne direction, et nous prépare à une crise économique qui va sûrement imposer de lourds sacrifices aux Français. Tout au contraire Bruno Lemaire, ministre de l’Economie, a su rétablir la vérité : « Ce n’est pas un budget de rigueur, ni un budget de facilité ». D’autres commentateurs ont dit que c’est « un budget protecteur et dépensier ». On voit bien que ce n’est pas facile, il faut épargner les deniers publics, mais en même temps il faut rassurer les Français puisqu’ils garderont leur pouvoir d’achat malgré l’inflation et la crise de l’énergie.
Certes deux questions sont dans les esprits à la veille du travail parlementaire qui commence en commissions :
- le gouvernement va-t-il recourir au fameux 49.3 et imposer à l’Assemblée un vote bloqué si les débats et les amendements ne vont pas dans le sens voulu ?
- le gouvernement va-t-il imposer sa réforme des retraites en faisant introduire un amendement au PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité Sociale ») petit frère du PLF mais débattu en même temps ? Cette deuxième question est toujours en l’air, bien qu’il n’y ait pas de majorité possible compte tenu des défections de tous partis, y compris même au sein du parti macronien.
Le débat politique est donc très ouvert, mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici. L’important est de relever les incohérences et les mensonges qui accompagnent le texte du PLF dans sa version présente.
Les mesures prévues ont été énumérées dans la presse : Bouclier fiscal pour l’énergie maintenu, engagement pour la transition énergétique, recrutement de 11.000 fonctionnaires, baisse des impôts de production CVAE et subventions énergie aux entreprises, création d’hébergements d’urgence pour immigrés et demandeurs d’asile, et enfin une « enveloppe de secours » de 2 milliards : sait-on jamais …
Combien çà coûte ? 480 milliards d’euros. Combien de recettes ? 320 milliards d’euros. Donc le déficit est de 160 milliards d’euros. Evidemment ce déficit budgétaire est lourd, il est de 5 % du PIB alors que la « règle d’or » que la France devrait respecter au vu de ses engagements européens est de ne pas dépasser 3 %. Cela n’empêche pas Bruno Le Maire d’affirmer : « c’est la hausse des dépenses la plus faible depuis 25 ans ». Comment couvrir le déficit ? Bien évidemment en empruntant, ce qui ferait passer la dette publique à 111,2 % du PIB (la règle d’or européenne avait prévu un plafond de 60 % du PIB, mais il faut dire que l’Italie fait mieux que nous). Le problème de l’emprunt c’est que le taux à payer, pratiquement nul au cours des dernières années, a subitement monté depuis quelques mois, et s’est élevé pour la France, ce qui rend le service de la dette (les seuls intérêts) très onéreux : pour la première fois l’Agence Française du Trésor (organe spécialisé) a dû lever 275 milliards d’euros, un record à ce jour. Mais cela n’empêche pas Bruno Le Maire de prétendre : « La France est à l’euro près ».
L’autosatisfaction du ministre est d’autant plus surprenante que ce budget, en dépit de son habillage fort élégant, est présenté de façon malhonnête, avec des chiffres trafiqués.
Pour l’habillage, voyons d’abord comment des dépenses publiques sentent bon. Leur nom est souvent évocateur. Le bouclier tarifaire exprime la solidité, la sécurité : les Français sont rassurés. La transition énergétique nous vaut un Plan Vélo, un Fonds Vert, Maprimerénov’ et le « verdissement » du parc automobile. Les entreprises seront gâtées avec la baisse de la CVAE (vous connaissez ?). Il n’est donc pas interdit de marier budget et poésie. Appelons aussi « habillage » les dépenses qui vont plaire à certaines catégories de salariés, en particulier ceux du secteur public. Est-ce pour appliquer les nouvelles pédagogies ou pour attirer des enseignants de qualité ? Le budget de l’Education Nationale (qui passe de 56,5 milliards d’euros à 60,2 milliards) prévoit l’embauche en début de carrière à 2.000 euros nets par mois, mais le point d’indice des enseignants avait été déjà augmenté en juillet dernier. De façon générale, les services publics sont particulièrement choyés par le PLF 2023. Un peu d’électoralisme n’est pas interdit.
Il devrait en revanche être interdit de truquer les chiffres. Tout d’abord, d’illustres organismes peu suspects de libéralisme militant ont fait remarquer que la prétention du gouvernement d’avoir limité le déficit à 5 % du PIB est une sous-évaluation. Le Haut Conseil de la Dépense Publique, émanation de la Cour des Comptes, l’a clairement indiqué. La Banque de France et l’OCDE ont contesté le mode de calcul des dépenses. Il est remarquable que le PLF a donné des chiffres à partir d’hypothèses tout à fait avantageuses :
Un taux d’inflation estimé à 4,3 % en 2023 alors qu’il est déjà à 6 % et sera sans doute autour de 8 % à l’hiver prochain : voilà pourquoi Bercy calcule des évolutions « en volume » qui évidemment sont moindres puisque le taux d’inflation est sous-estimé ! Quand Bercy donne une baisse des dépenses de 1,5 % en volume, la Haute Autorité des Dépenses Publiques donne une hausse de 0,6 % en volume.
Un taux de croissance estimé à 1%, alors qu’il sera (pour la Banque de France et l’OCDE) de l’ordre de 0,5 ou de 0,6 % au mieux. : les recettes fiscales sont donc surévaluées.
En conclusion, ce Projet de loi est de la poudre aux yeux. Le gouvernement de Madame Borne et les partisans de la « majorité » ont eu de la chance en ce lundi : on a pu parler d’autre chose que des incohérences et des mensonges du PLF 2023. On a beaucoup parlé des élections italiennes, pour s’en lamenter, et de la chute de la livre sterling, pour critiquer Liz Turss, nouvelle hôte de Dawning Street, comme si l’orientation politique de la nouvelle dame de fer avait déjà produit une catastrophe millénaire.
Vous voudrez bien aussi nous excuser d’avoir fait du journalisme économique, alors que le jugement libéral sur ce budget est tout simple : la sphère de l’Etat s’est une fois de plus distendue, davantage de services publics et de fonctionnaires, davantage de dépenses et de déficits, des mesures démagogiques d’Etat providence, une réglementation qui tient compte du kilométrage parcouru, du métier exercé, du revenu déclaré, de la maison habitée. Avec des prix bloqués et des « super-profits » confisqués, le marché et la concurrence n’ont plus aucun sens. La faillite sera au rendez-vous et les Français subiront privations et rationnements. Ce sera sans doute de la faute de Poutine, ou des Anglais, ou des Italiens.