Week End Libéral : onzième édition. Signe des temps : c’est la première fois depuis trois ans que les libéraux ont eu le plaisir de se retrouver en famille. Le Covid avait interrompu un succès croissant. Mais aussi le silence autour du libéralisme français était devenu pesant et intolérable. Ce onzième WEL marquait aussi une renaissance ; il était bon de définir une stratégie adaptée, une contre-offensive à l’ukrainienne. Kiev, c’était Saint Paul les Dax et le Président c’était Patrick de Casanove, fondateur du Cercle Frédéric Bastiat. Fort signe à nouveau : le libéralisme français c’est Bastiat, reconnu dans le monde entier comme l’un des piliers de la pensée libérale, celui qui a su lier la liberté à la nature même de l’être humain : un économiste philosophe, juriste, historien, engagé en politique [1], celui qui correspond le mieux aux analyses de ce qu’on appelle « l’école autrichienne », qui fait de la science sociale une étude du comportement des êtres humains.[2]
Comme à l’habitude le WEL a été organisé par Patrick de Casanove sans aucune bavure, avec un sens poussé de l’accueil, de la précision, du choix des sujets, des intervenants et des débats. J’insiste sur le fait que le WEL est une réunion de famille. La pensée libérale a besoin de diversité, d’écoute des autres, de fidélité et de dévouement. L’esprit de famille devra progressivement venir à bout de l’esprit de chapelle, né d’egos surdéveloppés et d’arrivismes malvenus. Les Cercles Bastiat, comme l’ALEPS, se font un devoir de rassembler[3].
Le thème de ce 11ème WEL était « Rendez-nous la liberté ». Commentaire de l’un d’entre nous : mais à quel moment de leur histoire les Français ont-ils été libres ? Pour être plus précis il faudrait poser la question : Quand allez-vous cesser de menacer, voire de détruire, nos libertés ? Pompidou disait plus crûment : « il faut cesser d’emmerder les Français », formule que Fillon avait reprise à son compte.
- Par quels moyens les Français sont-ils de plus en plus asservis ?
Par le progrès technique, qui nous vaut de la modélisation, de la macro-économie, de la macro-sociologie, au point que les choix individuels ne sont plus pris en compte. Mieux encore : le pouvoir politique va rendre les individus conformes aux modèles. (Thierry Foucart) Le progrès technique permet aussi aux Etats et aux banques centrales de garder le contrôle de la monnaie pour sauvegarder les bénéfices de leur seigneuriage, source de recettes et de pouvoirs. Voilà pourquoi des inventions comme le bitcoin doivent marquer une ligne de défense contre la « fiat money » : le bitcoin est, de ce point de vue, plus réaliste que l’étalon or, ou la concurrence entre monnaies privées (Yorik de Mombynes)
Le progrès technique c’est enfin l’apparition et l’empire du net. Il s’agit d’un progrès considérable de la liberté. Mais les réseaux sociaux ont été conquis par des gens (anonymes) qui véhiculent un populisme négatif, et font une surenchère démagogique. Comment lutter sur le net ? Quelques initiatives libérales y réussissent, comme Contrepoints, créé par l’association libéraux.org, dont la rédaction est assurée maintenant par Frédéric Mas et Alexandre Massaux (Pierre Schweizer).
L’asservissement des Français se fait par la législation, la règlementation, et la fiscalité. Que reste-t-il par exemple du droit de légitime défense ? Apparue dans les constitutions modernes aux Etats Unis la liberté de se défendre, armes en mains, contre ceux qui portent atteinte non seulement à la personne, mais aussi à ses biens, est pratiquement effacée du droit positif aujourd’hui. A l’origine une simple irruption dans un domicile justifiait que l’occupant se fasse lui-même justice, aujourd’hui certains magistrats français n’hésitent pas à innocenter l’agresseur et à estimer la riposte disproportionnée. Mais où et comment sont formés nos juges, et la magistrature a-t-elle l’indépendance dont elle a besoin ? (Pierre Marie Sève)
La réglementation a permis de supprimer pratiquement « la liberté du commerce et de l’industrie ». Le décret d’Allarde avait voulu mettre fin aux rigidités nées des corporations. institutions caractéristiques de l’Ancien Régime. Mais, à la suite de plusieurs faillites d’entreprises, Napoléon estimera nécessaire de mettre en place le Code de Commerce, qui place la liberté d’entreprendre sous la protection bienveillante de l’Etat. Voici d’ailleurs une loi infaillible : chaque fois que le pouvoir en place veut faire passer une réforme, il va arguer de l’urgence de réformer. [4]Le résultat est que dans le classement mondial du « doing job » la France est dans le plus bas du classement, quel que soit le critère (Pierre Garello). Les chefs d’entreprises (et notamment de PME) se rendent bien compte de l’arbitraire de la réglementation, et du poids qu’elle représente dans la compétition internationale. Aujourd’hui l’Etat se présente comme le protecteur des entreprises (au point qu’on reproche à Macron d’être un adepte de « l’économie de l’offre ») mais il protège des gens qu’il a mis en danger. Les sacs à dos des entrepreneurs sont remplis de 60 kilos de charges, d’impôts, de normes, et on leur demande de courir aussi vite que les autres compétiteurs ; l’Etat intervient alors pour leur enlever 10 kilos : merci ! (Claude Goudron).
Evidemment, tout autant que la réglementation, la fiscalité est intolérable en France : rendez-nous notre argent ! Avec l’impôt sans limite et redistributif l’Etat se rend coupable d’une véritable spoliation, Bastiat avait déjà dénoncé l’atteinte à la propriété et finalement à la liberté. Mais Bastiat se mettait aussi du côté des consommateurs : la fiscalité fausse les prix et impose des dépenses inutiles sans relation avec les choix personnels. La liberté d’acheter est donc ignorée. En revanche, l’Etat oblige les citoyens à acheter des services publics qui n’ont aucune autre utilité que de multiplier les serviteurs et les clients du pouvoir en place. Comme pour la règlementation, la fiscalité française nous classe parmi les plus mauvais élèves, et la dette s’accroît sans cesse. Cela nous permet de critiquer les pays européens « frugaux » (François Facchini)
On peut justement se demander pour quelles raisons la France s’est finalement dégradée non seulement dans ses performances économiques, mais aussi dans son système social et politique. Les démocraties européennes ont fortement évolué vers le libéralisme, surtout après la seconde guerre mondiale et la chute du mur de Berlin. Pourquoi l’exception française ? Sans doute la Constitution de la 5ème République y est-elle pour quelque chose, elle instaure un pouvoir centralisé et despotique. Ce régime autoritaire est également obsédé par le faux concept de justice sociale, il a plus de sympathie pour le plan que pour le marché, il y a comme toujours une rémanence de la lutte des classes (Philippe Fabry) .
Toute mesure a été dépassée avec le terrorisme écologique qui s’est maintenant installé, au point que la « transition écologique » est l’objectif privilégié des gouvernements, mais aussi du peuple presqu’entier, apeuré par le réchauffement climatique. On n’a même pas la liberté de douter de l’imminence d’un danger mortel pour la planète. Malheur aux climato-sceptiques : le droit au scepticisme climatique n’existe pas : douter de ce que l’on trouve dans les rapports du GIEC et parler scientifiquement de l’évolution climatique vous valent l’opprobre générale et vous n’aurez plus la parole. Pourtant il y a des évidences : les changements climatiques sont aussi anciens que la planète, ce n’est pas le CO2 qui réchauffe, mais le réchauffement qui libère du CO2, au demeurant le CO2 est vital pour la planète. Il est ridicule de concevoir des mesures très coûteuses qui dans le meilleur cas pourraient diminuer la température de quelques millionièmes de degrés. 1.360 scientifiques spécialistes du climat ont signé un texte clair : « il n’y a aucune urgence climatique ». Bien évidemment l’arrière-plan idéologique n’est pas à rappeler : nous voici ramenés au Club de Rome, voire même à la doctrine de l’impérialisme capitaliste (François Gervais)
- Par quels moyens les Français vont-ils se libérer ?
A mon sens, le mérite du Congrès a été d’aller au-delà de la réflexion pour engager les libéraux à agir. J’ai présenté la synthèse d’une « Lettre ouverte aux Libéraux » écrite au 1er janvier 1976, année d’un sursaut libéral qui s’est concrétisé avec la candidature de François Fillon[5].
J’ai mis en garde les libéraux contre certains pièges qui nous éloignent de notre but actuel : convaincre nos proches qu’il est grand temps d’administrer un vaccin libéral à un pays atteint par le virus du despotisme et le virus du populisme. Il y a des approches contre-productives : le piège de l’anti-socialisme car à parler des vices évidents du socialisme on oublie de parler des bienfaits du libéralisme, le piège de la droite et de la gauche car le libéralisme ne se laisse pas enfermer dans des étiquettes au demeurant mensongères, le piège des réformes ponctuelles car c’est une rupture globale qui permet de se libérer durablement, le piège statistique car les chiffres sont toujours contestables par tout le monde.
Par contraste, il y a trois arguments à faire valoir :
- l’argument utilitaire : le libéralisme, çà marche. Les pays qui ont fait le choix ont réussi, j’ai d’ailleurs demandé récemment à plusieurs libéraux de communiquer sur les réformes réalisées dans divers pays et sur divers thèmes (retraites, chômage, éducation, santé, logement, justice, immigration). Mais on peut aller plus loin que l’argument utilitaire ; pourquoi çà a marché ?
- l’argument humaniste : çà marche parce que c’est conforme à ce que sont les êtres humains. Bastiat a excellé dans cette démonstration. L’homme libre est un homme responsable, il répond de ses actes, et ses actes sont identifiés par la propriété privée (« l’homme naît propriétaire ») alors que le collectivisme ne tient aucun compte de la personnalité qui a agi, et n’incite pas à développer les capacités personnelles, et il en va de la dignité de l’homme de pouvoir affirmer et développer sa personnalité.
- « Le socialisme est une erreur sur la nature de l’homme » (Léon XIII, admirateur de Bastiat) Le libéralisme a une dimension anthropologique.
- L’argument ontologique : c’est un argument que beaucoup de libéraux se refusent à utiliser, estimant que la liberté suffit. Quand on fait référence à la dignité de la personne (Jean Paul II : « liberté des actes, dignité des personnes ») on tient compte du fait que chaque homme essaie de donner un sens à sa vie, et s’interroge sur ce que peut signifier son existence. Les philosophes post-modernes campent le portrait d’un homme s’auto-détruisant, promis au néant. Le refus de la vie, la négation du genre, la destruction de la famille, la perte du respect : le libéralisme se reconnaîtrait-il à de telles décadences? En ces temps de doute et de peur, il faut oser le libéralisme. C’est d’ailleurs la conclusion de mon discours : portons l’espoir, allons vers les autres pour les convaincre.
Allons vers les autres pour les convaincre des bienfaits de la liberté : mais par quelle voie ? Un grand débat s’est instauré en cette fin de matinée de dimanche.
Première question : les libéraux engagés doivent-ils se présenter en hommes de science et se tenir à l’écart des débats quotidiens, ou en entrepreneurs de la croisade libérale ? Cette question, soulevée par François Facchini, est en effet pertinente : de mon point de vue, même si « les idées mènent le monde », on ne peut pas les garder pour soi ou à seul usage d’une élite intellectuelle.
Deuxième question : Faut-il « mettre la main dans le cambouis » ? Question posée par Pierre Bentata qui se demande si les libéraux ne doivent pas chercher à s’exprimer à la télévision, dans les grands magazines, dans les grandes réunions publiques, quitte à s’intégrer dans un milieu politique et médiatique globalement hostile au libéralisme. J’ai donné mon opinion sur ce point. D’une part pour manger avec le diable il faut une longue cuillère, nombreux sont ceux qui veulent faire de l’entrisme mais finissent par être absorbés. Actuellement le macronisme est un miroir aux alouettes et la séduction de façade cache le désordre de la pensée, voire même le rejet de toute doctrine. D’autre part, les gens de la classe politique et médiatique sont intégrés dans la sphère « d’en haut » alors que nous devrions par priorité aller vers la société civile, vers les gens du bas. Le défaut français – qui écarte le pays du libéralisme – est d’attendre le salut du sommet, alors que tout progrès doit partir de la base. La subsidiarité est le pilier du libéralisme. Trop de personnes sensibles aux graves atteintes actuelles à la liberté en concluent que pour en finir avec l’Etat il faut un coup d’Etat. Voilà bien, une fois de plus, l’exception française. [6]
C’est d’ailleurs bien le message que devait délivrer Patrick de Casanove pour clore le Week end libéral : donner la préférence au contact de proximité, au présentiel plutôt qu’au distanciel, parler de ce qui concerne nos proches, nos voisins, nos copains, nos cousins. Quand on entend le docteur et maire Patrick de Casanove parler de la santé publique et des dégâts de la Sécurité Sociale et des monopole publics, on ne peut être que surpris et convaincu des réformes qu’appelle le libéralisme, réformes à base de subsidiarité, de concurrence, de rigueur et de valeurs morales et spirituelles, loin des « valeurs de la République » si souvent citées par des leaders sans foi ni loi.
J’insiste enfin sur ce qu’apporte régulièrement le WEL ; une foire aux livres, avec un bel étalage d’ouvrages qui donnent des arguments pour convaincre. On ne dira jamais assez que les libéraux sont riches d’une masse de documents, de revues, de vidéos, de slogans, qui permettent de donner crédit à la belle entreprise qui consiste à libérer les Français de leur servitude (hélas trop souvent volontaire).
Je vous ai donné ma relation et mes impressions de ce 11ème WEL. Il va de soi que le Cercle Frédéric Bastiat va très bientôt vous proposer les vidéos de toutes les conférences prononcées. (https://www.bastiat.org)
[1] Cf mon ouvrage « Aimez-vous Bastiat ? » (Romillat, éd.) publié en 2001 à l’occasion du bicentenaire de la naissance du Landais, et dans le cadre de l’Université d’Eté de la 23ème Nouvelle Economie, à Aix en Provence
[2] Le promoteur de l’école autrichienne a été Carl Menger et l’auteur le plus estimé en a été Ludwig von Mises (1881-1973) pour qui l’économie est une branche de la « praxéologie », science du comportement.
[3] J’ai été à l’origine de la création du « Collectif Libéral » qui a soutenu avec efficacité François Fillon en 2016, et de la « Confédération Libérale » qui rassemble aujourd’hui ALEPS, Cercles Frédéric Bastiat, Euro 92, EPLF, IRDEME, IREF, UNPI » et a permis de diffuser manifestes et tribunes au cours des campagnes électorales de 2022.
[4] C’est évidemment un prétexte fallacieux dit Pierre Garello : une société évolue avec lenteur, le processus de marché ne débouche pas sur des résultats immédiats, la loi de l’offre et de la demande n’est qu’un instantané d’une évolution, l’ordre spontané (et le marché en est un élément) s’établit sur un long terme alors que l’ordre créé est court-termiste : un décret venu d’en haut prétend résoudre tous les problèmes, il est en fait conçu comme une intervention providentielle de l’Etat.
[5] Cette Lettre figure en son entier dans la catégorie « Diffusion » du site nouvelle-lettre.com
[6] Je ne peux m’empêcher de faire référence à l’ouvrage de Jean Philippe Feldman, actuel vice-président de l’ALEPS : L’Exception française, Histoire d’une société bloquée de l’Ancien régime à Macron (Odile Jacob, 2021)