Jeudi dernier 17 août, comme chaque année depuis 2017, Emmanuel Macron a pris la parole pour célébrer l’anniversaire du débarquement des forces alliées sur la côte varoise. Il était venu à Bormes les Mimosas en voisin et en vacancier, puisqu’il est actuellement au fort de Brégançon et ne revient à l’Elysée que mardi prochain.
Les commentaires ont été plutôt positifs : le Président prêche l’union nationale, il rappelle l’importance de la liberté, il compte sur la jeunesse pour prolonger la tradition républicaine.
Cependant et à juste titre il a été rappelé que les discours politiques sont prometteurs mais que les actes ne suivent pas toujours les promesses. Le macronisme fait bien mieux dans la communication que dans l’action.
Il y a une autre lecture du discours, qui le présente comme un lamentable monument d’erreurs mais aussi de scandaleux propos ; et je la fais mienne.
Les erreurs sont habituelles chez ceux qui pérorent sur la liberté. L’erreur de notre Président est de juxtaposer liberté individuelle et liberté collective. Les libéraux en restent à l’idée que la liberté est un droit naturel personnel, et que la liberté collective n’existe pas, il s’agit même d’un oxymore : comment suspendre la liberté à sa dilution dans un collectivisme, quel qu’il soit, et quel soit le nom qu’on lui donne : intérêt général, bien commun, bonheur national brut. Mais au passage l’erreur d’Emmanuel Macron atteste qu’il est bien socialiste, fondamentalement.
Les propos tenus sur la jeunesse sont à mon avis inadmissibles. Ils proposent de voir en un seul spectre des patriotes, des résistants, et des émeutiers. En résumé : les jeunes émeutiers de nos zones de non-droit sont dans le prolongement naturel des patriotes qui ont débarqué le 15 août 1944. Le président Macron mettra tout en œuvre pour les amener à assurer leur mission de témoins de la liberté.
Dans son discours, et en réponse aux propos du maire de Bormes les Mimosas, Emmanuel Macron dit son admiration pour « la bande de Kouba », ces onze jeunes pieds-noirs qui se sont engagés dès novembre 1942, tous originaires de Kouba (ville en banlieue d’Alger). Ils se sont engagés volontairement et Pierre Welsch, dernier survivant de la bande récemment décédé, a même triché sur son âge pour s’intégrer dans l’armée française présente au Maghreb. Cette armée accompagnera l’armée américaine qui va vaincre Rommel en Lybie, puis sera à l’avant-garde de l’héroïque campagne d’Italie, puis débarquera en Provence en ce fameux 16 août 1944, poursuivra son offensive en remontant la vallée du Rhône et avec la fameuse 2°DB fera flotter le drapeau tricolore sur la cathédrale de Strasbourg. Tous ces gens de Kouba ne savaient rien de la France « métropolitaine », mais ils étaient en effet patriotes, parce qu’à l’école ils avaient appris à aimer la France. Cela ne devait d’ailleurs faire aucun doute : l’Algérie c’était trois départements français. Curieux retour à la vérité dans le discours de notre Président : voilà ces criminels colonisateurs maintenant présentés comme de beaux jeunes Français.
Le Président en vient maintenant à la jeunesse résistante. Les forces armées alliées débarquées le 15 Août auraient donc progressé grâce à la résistance, qui va permettre la libération du pays. Certes les maquis du Vercors et les résistants qui ont préparé et accompagné le débarquement en Normandie ont été héroïques et efficaces, comme la bande de Kouba. Certes la plupart des Français ont haï les nazis antisémites et ont fait ce qu’ils ont pu pour sauver des milliers de Juifs de la fatale déportation. Mais l’avancée si rapide des forces armées débarquées en Provence ne doit pas grand-chose aux résistants locaux : yune génération spontanée de FFI va apparaître après, et après seulement, la la libération de la région e,t que l’on sache, les résistants communistes des FTPF (Franc Tireurs et Partisans Français) se sont surtout illustrés dans les opérations « d’épuration », leur objectif étant de prendre le pouvoir en France. Pour respecter l’histoire de la résistance française, on doit savoir que dès le 14 novembre 1942, moins d’une semaine après l’arrivée des Américains à Alger, l’amiral Darlan, au nom du Maréchal Pétain et en qualité de chef des armées françaises, déclarait la guerre à l’Allemagne qui venait d’envahir la « zone libre » et trahissait ainsi le traité d’armistice signé en 1940 avec la 3èmeRépublique Française. Après l’assassinat de Darlan (sur ordre explicite de De Gaulle), c’est le général Giraud, soutenu par les Américains, qui devient chef de l’armée française de libération, et pendant quelques mois Giraud et De Gaulle co-président le Comité Français de Libération Nationale (CFLN). Mais De Gaulle préfère mener la politique dans le cadre du Comité National de la Résistance, progressivement contrôlé par les communistes[1].. En conclusion, Emmanuel Macron n’est pas autorisé à réduire la résistance à De Gaulle et ses alliés, la France a bien été libérée par des dizaines de milliers de patriotes qui ne devaient rien à l’appel du 18 juin (et surtout pas Manouchian qui va reposer au Panthéon par l’infaillible volonté présidentielle[2], et qui est cité dans le discours de Bormes.
Reste enfin l’appel à la jeunesse actuelle. Il lui donne des leçons de liberté, et leur donne pour exemples patriotes et résistants. Il ne doute pas de leur désir de liberté, égalité et fraternité, valeurs de la République depuis 1789 soient attachés à leur esprit et à leur cœur. Je me demande ici quelle est la part d’inconscience et quelle est la part de théâte. Il faut être inconscient pour voir dans les jeunes émeutiers qui ont mis le pays à feu et à sang des patriotes ou des résistants. Ils n’aiment pas la France, ils ne la reconnaissent pas pour leur patrie (quelques-uns sont fiers de se dire Algériens, mais ils sont rares. Ils n’ont aucun désir d’être assimilés, et même d’être intégrés. Je ne discute pas ici de l’origine de ce comportement, je constate simplement la préférence pour le communautarisme, mais plus encore pour une société sans ordre et sans droit. Et s’ils sont résistants c’est à l’Etat qui incarne théoriquement le pouvoir légitime. Ils ne résistent certes pas à l’Etat Providence, et perçoivent sans scrupule les allocations qui leur sont offertes, parfois même au prix d’une fraude innocente. Mais ils résistent à l’Etat gendarme, ils vont même bien au-delà de la résistance, ils provoquent et attaquent – en toute impunité bien sûr, ce qui fait de leurs émeutes, de leurs incendies, de leurs tirs des actes d’héroïsme et des preuves de leur pouvoir.
Alors, pourquoi donc Emmanuel Macron leur donne-t-il des leçons de liberté, et déclame-t-il son espoir dans cette belle jeunesse ? Je crois que c’est la part de théâtre. Notre Président nous joue une comédie dramatique, il connaît bien ses phrases, il choisit bien ses mots, ceux qui résonnent aux oreilles d’un peuple qu’il croit flatter mais qu’il fatigue à la longue et sans doute qu’il méprise :n’est-il pas l’arbitre de la guerre en Ukraine, de la paix au Niger, de la transition énergétique, de la réindustrialisation, de la culture ? Malheur à tous ces Français qui ne saisissent pas la chance d’avoir un tel personnage à la tête de la nation. Macron existe : je l’ai entendu.
[1] Il ne faut pas oublier qu’Emmanuel Macron admire ce comité au point d’avoir volontairement baptisé la prestigieuse instance de sa démocratie « délibérative » CNR, Conseil National de la Reconstruction
[2] Cf mon article « Marik Manouchian pouvait-il entendre l’appel du 18 juin ? Catégorie Actualité 20 juin 2023