Malgré l’accumulation de meetings et de discours les véritables enjeux de l’élection européenne ne sont guère évoqués.
Il y a une bonne raison pour cela : dans notre pays on a fait du 4 juin une confrontation nationale entre le Rassemblement National et la majorité présidentielle, voire même avec le Parti Socialiste ressuscité, avec en toile de fond les municipales et les présidentielles à suivre.
Tout se passe comme si l’histoire de l’Europe était maintenant bouclée et son avenir déjà scellé. Je crois pouvoir démontrer qu’il n’en est rien et je vous propose de rappeler le passé et l’avenir de l’Europe, cela me paraît instructif[1].
Le passé : pour le choix entre puissance et espace : c’est Delors qui a gagné
L’opposition entre Paris et Rome
Paris et la France c’est la CECA (Communauté Européenne Charbon Acier) c’est Jean Monnet et c’est le traité de Paris (1991) : une Europe supranationale gouvernée par un plan. Chargé de coordonner l’intendance des Alliés pendant les deux guerres mondiales, Jean Monnet avait affirmé qu’une économie européenne laissée aux caprices du marché serait désordonnée. Il n’a aucune peine à convaincre le Général De Gaulle, en admiration devant l’économie de plan qui fonctionnait si bien en URSS[2]. Après la CECA se créera l’Euratom, puis des projets de coordination en matière de transports et d’énergie. Pour De Gaulle, la supranationalité ne s’entend pas pour les missions régaliennes, et il fait capoter le projet de Communauté Européenne de Défense en Août 1954[3]. Jean Monnet démissionne et créera le Comité pour la Création des Etats Unis d’Europe.
Rome et le Vatican c’est le marché commun. Bien que leurs pays aient signé le traité de Paris, Alcide de Gasperi, Premier Ministre de la République Italienne et Konrad Adenauer, Président de la République Fédérale d’Allemagne ne croient pas que des organes européens soumis à une planification centralisée soient la meilleure façon de rapprocher des peuples qui se sont haïs depuis des siècles et se sont livrés deux guerres mondiales en moins de trente ans. Ils mettent en avant le principe de subsidiarité conforme à la Doctrine sociale de l’Eglise Catholique : ne recourir à des décisions européennes que si les questions ne trouvent pas de réponse satisfaisant au niveau des Etats Membres signataires du traité de Rome. Ils sont six (France, Allemagne, Italie, Benelux) et choisissent pour drapeau les douze étoiles de la couronne de la Vierge. Les promoteurs du Traité sont certains que c’est en faisant de l’Europe un espace de communication, de voyage et de commerce, que les gens apprendront à se connaître et à s’estimer – une forme de charité chrétienne[4]. Pour ce faire il faut décréter la libre circulation à l’intérieur de cette Europe des Six des personnes, des produits, des entreprises, des capitaux. C’est un « marché commun » qui se crée, sans aucune politique européenne. L’harmonie du commerce est rendue possible par le principe de la mutuelle reconnaissance des normes[5]. Très vite cette concurrence intra-européenne s’élargira au niveau mondial avec l’abaissement des frontières douanières (Tarif Extérieur Commun). Voilà donc une Europe de l’ouverture. Malheureusement demeure une politique européenne et une seule, obtenue par la France : la PAC, politique agricole commune, qui se proposait de garantir la survie des petites exploitations familiales mais qui enfin ruinera la paysannerie française.
A cela près c’est dans ces premières années et jusqu’en 1986 la victoire de Rome sur Paris, la victoire du marché ouvert sur le plan centralisé.
De Rome à Maastricht : l’Europe de Delors
La nature de l’Europe va changer sous la pression des Français. La CEE (Communauté Economique Européenne) née à Rome n’est pas sympathique aux syndicats parce qu’elle crée aussi une concurrence indirecte sur le marché du travail. La CEE n’est pas assez « sociale ». Syndicalistes et gouvernements de gauche proposent de donner à l’Europe une Constitution pour protéger la « justice sociale ». C’est le Président Giscard d’Estaing qui est chargé de rédiger cette constitution. Il refuse d’y faire figurer « les racines chrétiennes de l’Europe » (ce qui est à l’opposé de l’esprit du Traité de Rome).
Mais c’est l’accession au pouvoir de François Mitterrand en 1981 qui va faire basculer l’Europe dans la supranationalité. Il ne faut pas oublier qu’en 1979 Margaret Thatcher était arrivée au pouvoir, et l’Angleterre était devenue membre de l’Union Européenne installée par la Constitution (c’est l’Europe des Douze[6]). Elle prononce son fameux discours de Bruges pour éliminer toute idée d’un pouvoir européen centralisé à Bruxelles. Mais quand Mitterrand est élu, Jacques Delors devient Ministre de l’Economie du gouvernement Mauroy. Il échoue lamentablement avec trois dévaluations du Franc en deux ans, mais il se retrouve à la tête de la Commission Européenne grâce au soutien du chancelier allemand Edmund Kohl, ami de Mitterrand. Chargé de préparer l’Acte unique Européen Jacques Delors va tenter de réussir au niveau européen ce qu’il n’a pas réussi à faire au niveau français : créer un Etat socialiste et rejeter à la fois une Europe du marché unique (Rome) et une Zone de libre échange européenne (Bruges) pour consacrer une Europe de la troisième voie[7] : il est question de convergence des politiques étatiques, mais surtout d’une présentation curieuse de la subsidiarité : c’est l’Europe qui décide de ce qui est de la compétence européenne, et de ce qui peut être assumé par les Etats et les communautés régionales ! Evidemment il faut choisir aussi une monnaie européenne. Ces dispositions se retrouvent dans le traité de Maastricht, soumis à l’approbation des peuples européens. En France le traité est rejeté par referendum[8] mais c’est le Parlement qui le validera : belle illustration de démocratie libérale !
Le traité de Maastricht sera suivi d’autres traités qui ne cesseront de renforcer la centralisation et le dirigisme (Amsterdam, Nice, Lisbonne). L’enjeu des prochaines élections européennes est simple : peut-on en finir avec la dérive supranationale et revenir à la logique de Rome ?
L’avenir de l’Europe
Comment se répartissent les compétences entre Europe et Etats suivant le choix effectué ? On peut présenter aux Français les quatre options possibles :
a) Europe des Patries (Thatcher) ou encore Europe des Libertés
Au niveau européen les abandons de souverainetés sont très limités l’Europe a peu de compétences et elles peuvent être remises en cause : il n’y a qu’un traité, et pas d’institution européenne du tout. Au niveau des Etats les abandons de souverainetés concernent ce qui est convenu par traité, qui peuvent être révisés ou révoqués.
b) Confédération
Au niveau européen il existe des compétences déléguées et des institutions permanentes (représentatives des Etats) C’est la règle de l’unanimité qui s’impose. Au niveau des Etats il n’y a aucun changement en dehors des compétences déléguées, il y a droit de sécession.
c) Fédération
Au niveau européen il y a des compétences partagées. Les institutions sont représentatives des Etats et des citoyens, la règle de la majorité s’impose, Il existe une Cour Constitutionnelle. Au niveau des Etats il y a perte de souveraineté dans les domaines européens. Les Parlements nationaux et locaux subsistent.
d) Europe Unitaire
Au niveau européen l’Europe a toutes les compétences. La règle de la majorité s’impose. Les institutions sont représentatives des citoyens (et éventuellement des Etats). Au niveau des Etats éventuellement quelques compétences peuvent être retenues, les Parlements Nationaux et Locaux n’ont aucune justification.
Nous sommes actuellement dans la logique unitaire. C’est une logique de politisation croissante : le marché est de plus en plus réduit. Il y aura de plus en plus d’institutions et de normes européennes, de moins en moins de libertés : plus d’impôts, plus de bureaucratie, moins de pouvoir d’achat et d’emplois.
Les libéraux demandent la réduction de l’Etat, davantage de libre entreprise et de libre échange, l’harmonisation par la concurrence entre Etats. On se libère de l’eurosclérose, c’est la renaissance européenne.
[1] Cet article est une synthèse de l’article publié dans le dernier Journal des Libertés (Printemps 2024) Le lien est Journaldeslibertes.fr
[2] Premier voyage du général, président du Gouvernement Provisoire : à Moscou en décembre 1944
[3] L’Assemblée Nationale rejette le projet (déjà ratifié par les autres partenaires européens) par 319 voix contre 264 le 30 août 1954. Il est vrai que la CED devait être intégrée dans l’OTAN dont le Président des USA devait nommer le chef
[4] La référence au Vatican s’impose, puisque les projets ont été élaborés dans les locaux du Vatican et parce que les promoteurs étaient catholiques fervents et fermes résistants contre Hitler et Mussolini. Le troisième homme, Robert Shuman, était ministre des affaires Etrangères de la France, mais adhérait au principe de subsidiarité (voir sur ce point l’article de d’Anne Lancel L’Europe en formation nº 370 Hiver 2013 –
[5] Pour cette notion cf. mon article Fondamentaux du 13 Février 2024 La mutuelle reconnaissance des normes : un instrument précieux de concurrence institutionnelle
[6] Danemark, Espagne, Grèce, Irlande, Portugal Royaume Uni,
[7] Voici comment Jacques Delors s’exprime dans la présentation de l’Acte unique : « un véritable espace économique conscient, solidaire, et par là même susceptible de déclencher la synergie nécessaire pour faire converger nos politiques économiques, pour mener vers l’union européenne. La troisième voie est la seule qui soit dans l’esprit de l’Acte unique, elle est la seule qui soit digne de ce que l’on attend de nous, c’est notre enjeu »
[8] Les politiciens « de droite », y compris Alain Madelin, demandent de voter oui. Le débat que j’ai mené avec lui a été assez animé, mais j’ai été davantage applaudi que lui.