Valeurs actuelles a proposé cette semaine un numéro principalement consacré à « l’après Crépol » et sur la couverture du magazine est annoncée « la lettre ouverte de Thibault de Montbrial à Emmanuel Macron pour réclamer une choc d’autorité » Valeurs actuelles a tout à fait raison de mettre en évidence qu’il doit y avoir un après Crépol, non seulement à cause de la barbarie du meurtre de Thomas mais aussi parce que quelque chose semble bouger dans l’opinion publique française, ce qui avait d’ailleurs été perceptible après Arras[1]
Thibaut de Montbrial est avocat pénaliste, il a mené depuis des années une campagne pour la légitime défense dans le cadre de son Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI). Il s’est illustré dans nombre de grands procès où il a pris la défense des victimes de terroristes, mais plus généralement de ceux qui détiennent le pouvoir d’opprimer les autres[2]. Parmi les mesures qu’il a préconisées figure la liberté de porter des armes. De ce point de vue on pourrait le classer parmi les libertariens.
Mais la lettre ouverte parue dans Valeurs Actuelle est d’une autre tonalité. Peut-être à cause de sa solennité, relevée par la plupart des commentateurs : c’est personnellement au Président de la République qu’elle s’adresse. Ce faisant, elle participe d’un choix politique décisif : c’est d’Emmanuel Macron, de ses ministres et de ses administrations que viendra le salut. Et le message de l’avocat est dans le même registre que celui qu’on entend depuis quelques semaines : tapez plus fort, accélérez la justice, équipez la police. Voilà ce qui me semble incohérent : la politique de « fermeté » attendue par des millions de Français revient à attendre de ceux qui ont montré leur impuissance qu’ils continuent dans la même voie. Les députés de la majorité présidentielle mettent en avant des chiffres : le budget de la justice a atteint des sommets, le nombre de policiers a augmenté (moins que prévu cependant), et des prisons seront construites d’ici 2027. A la limite il serait malséant de dire que le gouvernement Borne n’a rien fait, que Monsieur Darmanin n’a pas poussé les préfets, que Monsieur Le Maire a rogné sur les dépenses.
Ils sont nombreux ceux qui rêvent d’un bon coup d’Etat pour en finir avec le chaos, et l’histoire de France leur donne à première vue raison[3] : L’Ancien Régime était considéré comme incapable d’apporter aux Français la richesse attendue depuis Henri IV au moins : la Révolution va tout régler, et met en place des années de dictature, de totalitarisme et de corruption. Pour la Seconde République, le scénario est le même, il sera encore identique avec le Front Populaire en 1936 et la Révolution Nationale de Vichy, et la République se renouvellera à nouveau avec les plans du Conseil National de la Résistance : nationalisations, planification , centralisation. Emmanuel Macron a eu la même ambition : prévoir une société nouvelle unie autour du Président, ensemble et en même temps, avec en arrière-plan une Europe elle aussi étatisée.
C’est précisément ce qui oppose tous les Macroniens aux libéraux. Car les libéraux estiment qu’il ne suffit pas d’encourager l’Etat à aller plus loin, plus fermement : comment trouvera-t-il les moyens d’imposer à l’Algérie un accord sur l’immigration, qui va nettoyer les zones de non droit, qui neutralisera l’islamisme (à juste titre considéré comme hostile aux lois et mœurs françaises) ? Bien sûr il est fait référence à l’éducation et à la culture qui manquent à une jeunesse désorientée. Mais tant que la liberté scolaire ne sera pas mise en place, tant que les jeunes ignoreront le travail, le respect des autres et la responsabilité, il n’y aura aucun changement. C’est bien la place de l’Etat dans la société française qu’il faut réduire : école, santé, retraites, logement, transport, urbanisme. De nombreux pays proches du nôtre, comme le Portugal, l’Italie, les Scandinaves, ont rompu avec le tout-Etat et, pire encore l’Etat Providence. Pourquoi pas la France ? Où sont les partis et les leaders capables de réformer pour libérer ? Certes Javier Meili y va avec la tronçonneuse, mais Madame Borne y va avec la boule à repriser.
C’est là où Thibaut de Montbrial a raison de dire que le couvercle est sur le point de sauter. Mais veut-il, comme il y paraît, que l’Etat régalien calme le jeu en renforçant ses moyens (y compris juridiques et financiers) ? Je comprends bien que sa profession et ses initiatives le poussent dans ce sens. Mais oserait-il miser sur la fin du monopole de l’Education Nationale, la fin de la gestion calamiteuse des hôpitaux publics, la fin des subventions à la SNCF et aux producteurs d’énergie, la fin des HLM et de la loi SRU ? Hélas je lis en conclusion de son article « il nous faut procéder à des opérations de police vigoureuses, avec bouclage de zones suivis de ratissage. L’Etat doit assumer sa force légitime bien sûr, et après toutes ces années de faiblesse les délinquants vont s’opposer[4] »
Ce qui me semble plus stimulant, c’est ce qu’écrit le professeur Olivier Babeau (Institut Sapiens) quelques pages plus haut[5]. Dans son article « Argentine : l’expérience interdite » il cite Meili[6] : il faut « vouloir sortir le socialisme de l’esprit des gens », il dénonce « un Etat mis au service d’une caste corrompue », il veut « manger tout cru les affairistes de prébende, syndicalistes qui trahissent le peuple, médias qui maintiennent la domination.» Des paroles on passe aux actes : Meili supprime les ministères de la Culture, de l’Education, des Transports et de la Santé pour ne garder que cinq ministères aux missions régaliennes. Peut-on imaginer une telle expérience en France ? La position d’Olivier Babeau est claire : « La France a d’autant plus d’intérêt à observer avec attention ce qui se passe en Argentine que sa situation s’en rapproche. Certes, pas d’hyperinflation, mais la même dette folle, la même croissance incontrôlée d’une sphère publique qui semble dégrader la qualité de ses services à mesure que les prélèvements augmentent, le même Etat qui perd tout contrôle à mesure qu’il prétend tout contrôler ».
S’il y a un sursaut il ne viendra pas des hommes de l‘Etat mais de la société civile : elle en est au stade de la découverte et de l’espérance, il lui reste à s’organiser en jouant sur la subsidiarité et à s’exprimer dans les votes successifs. Telle est la nouvelle offre politique : le libéralisme.
[1] Cf. mon article dans la Nouvelle Lettre Un peuple retrouve son âme, l’espérance renaît 21 octobre 2023
[2] Par exemple il a tenu à défendre la femme de chambre agressée par Dominique Strauss Khan à New York
[3]Cf.l’ouvrage de Jean Philippe Feldamn ; H0
[4] Valeurs Actuelles p.19
[5] Valeurs Actuelles pp.12-13
[6] J’ai consacré deux longs articles à Meili, avant que les médias le découvrent (pour le caricaturer, voire pire) Un président économiste ultralibéral d’extrême droite 20 août 2023 et Javier Meili Président de la République Argentine 20 Novembre 2023