Je me devais de lire avec attention et objectivité l’interview que Laurent Wauquiez a donnée au Point paru jeudi 11 mai. En dépit de sa longueur extrême (12 pages) le texte est agréable et se situe à mon sens à un excellent niveau. Cela ne veut pas dire que j’en approuve le contenu, on est la plupart du temps bien loin de la doctrine libérale, mais je trouve qu’il alterne analyses intéressantes et incohérences flagrantes.
La campagne 2027 commence
L’interview a pour premier mérite d’éclairer la vie politique française. Certes Eric Ciotti, président de LR, avait annoncé que son parti allait soutenir la candidature de Wauquiez, mais le candidat ne s’était pas déclaré personnellement ni clairement. Voilà qui est fait : la couverture du Point s’accompagne de la photo new look de Laurent Wauquiez avec pour sous-titre Wauquiez Moi Président. La longue « diète médiatique » est terminée, le commentaire de la journaliste du Point Nathalie Schuck est éclairant : « [après] un second mandat qui a déjà une allure de fin de règne Laurent Wauquiez n’aura pas à affronter Macron ». Aura-t-il à affronter Marine Le Pen ? Wauquiez la liquide d’un revers de main en trois lignes (p.37) « en termes de compétences elle mènerait le pays au chaos ».
« Ne pas défier Macron, mais lui succéder »
C’est ce que pense Nathalie Schuck : « Laurent Wauquiez se livre à une OPA assumée sur l’électorat macroniste, qui sera orphelin dans quatre ans. Jamais il n’attaque frontalement Emmanuel Macron ». La cible électorale n’est pas ceux qui ont voté en un moment Le Pen ou Zemmour, mais bien ceux qui ont voté Macron. Il est donc très indulgent pour le Président actuel : « il n’est pas responsable de cette décadence [de notre pays] Il est responsable de ne pas avoir su la corriger » Voici maintenant une incohérence apparente. Laurent Wauquiez énumère les dérapages depuis six ans parce que Macron a voulu s’occuper de tout « comme Jupiter » « A force de vouloir s’occuper de tout, il décide de rien » et de citer quelques exemples d’erreurs commises parce que Macron s’est trop occupé d’autres détails (comme les chèques de gouvernement) : la question énergétique, l’effondrement de l’Education Nationale, la menace géopolitique et la délitation de l’armée (p.35). Mais il accorde plus loin quelque crédit à Emmanuel Macron : « il y a eu des choses utiles : la baisse du chômage, le redressement de l’apprentissage, un discours probusiness pour éviter que ceux qui réussissent quittent la France. Je ne dirai pas que Macron c’est la catastrophe. Il a réussi des choses mais il n’a pas enrayé la décadence », par exemple il a « donné une impulsion au niveau européen » Et finalement, la conclusion sur ce chapitre est positive « Emmanuel Macron a réussi à incarner la France à l’international, […] il ne nous a pas fait honte, contrairement parfois à son prédécesseur. .Mais le poids de la France a continué à s’affaiblir ». Qu’en termes galants ces choses là sont dites (p.39) !
C’est surtout ce dernier passage qui a valu les plus vives critiques adressées à Laurent Wauquiez. Emmanuel Macron a fait honte à la France en faisant le tour des pays d’Afrique, et notamment au Maghreb et en particulier en Algérie, en faisant repentance pour les crimes contre l’humanité dont la France aurait été coupable à l’heure de la colonisation, mais aussi dans les guerres récentes, depuis l’Algérie jusqu’au Ruanda et au Congo. Emmanuel Macron a dit aussi tout le bien qu’il pensait de la culture française (elle n’existerait pas) Et il a discrédité la fonction présidentielle par ses écarts de langage et de comportement.
La crise de la démocratie : le referendum annuel
Laurent Wauquier estime que derrière la décadence et le déclassement de notre pays il y a une crise de la démocratie. Après avoir à juste titre rappelé que la démocratie ne se réduit pas à mettre un bulletin dans l’urne une fois tous les cinq ans, il nous propose une approche doublement originale.
D’une part il part en guerre contre « les autorités indépendantes », par exemple ARCES et ARCOM mais il en veut surtout à tous les hauts conseils, les « cours suprêmes » qui empêchent de faire respecter la loi. : Cour de Cassation, Conseil d’Etat, Cour Européenne des droits de l’homme, Cour de justice de l’Union Européenne (p.34). Seul le Conseil Constitutionnel trouve quelque minime grâce à ses yeux. Mais je ne comprends pas bien de quoi ces hauts conseils sont coupables. Qu’est-ce que la loi ? S’agit-il du droit positif ? Il est voté par le Parlement, dont Laurent Wauquiez ne dit pas que du bien (et il a raison). Et quid de la loi imposée par Bruxelles puisque la plupart de nos textes ne sont que copies conformes de ce que les savants juristes et politiques européens ont décrété. Laurent Wauquiez veut-il dire que les peines prévues par la loi ne sont pas appliquées par les magistrats à tous niveaux ? Mais précisément ce sont des dispositions prises par décrets et arrêtés en application de la loi votée qui interdisent à la police et à la justice de faire leur œuvre.
D’autre part Laurent Wauquiez fait une proposition surprenante : organiser chaque année un referendum pour savoir si les Français sont d’accord ou non avec ce qu’ont fait les dirigeants du pays. D’abord quels dirigeants ? L’exécutif ou le législatif ? Ensuite quelles mesures ou réformes vont-elles être soumises à la vindicte populaire ? Un referendum ne fait pas dans la dentelle : c’est oui ou non sur une question précise. Enfin et surtout je ne crois pas qu’une société puisse s’organiser à partir de l’opinion passagère de citoyens hétéroclites, elle ne peut s’organiser qu’à partir d’institutions perfectionnées au fil des siècles grâce à l’expérimentation sociale. C’est toute la différence entre ordre créé (celui auquel se réfère Wauquiez) et l’ordre spontané (celui dont Hayek nous démontre la supériorité). L’affaire du referendum se termine donc en plébiscite ou sondage d’opinion. Il y a mieux à faire, par exemple revenir au septennat, en tous cas à un calendrier électoral qui permette de contrôler un Président à mi-mandat – ce qui est le cas dans la plupart des démocraties parlementaires.
L’Etat et l’administration
C’est une autre idée-force de Laurent Wauquiez : l’Etat c’est bien, l’administration c’est mal, or l’administration a absorbé l’Etat. Assurément Laurent Wauquiez sait récupérer l’allergie des Français à la bureaucratie et aux privilèges dont jouissent les fonctionnaires. Il observe à juste titre que la fonction publique est source d’irresponsabilité : un fonctionnaire ne souffre pas de
ses erreurs au point de vue de son emploi et de sa carrière (p.34). Mais l’administration s’est tellement développée qu’elle s’est affranchie de tout contrôle, et a même colonisé l’Etat « Un Etat profond s’est constitué avec une administration qui s’est autonomisée du politique, voire politisée avec ses propres objectifs ». Le diagnostic me paraît exact jusque là.
Mais je ne comprends pas comment Laurent Wauquiez fait l’apologie de l’Etat français, qui serait si menacé par l’administration. Qu’il y ait de hauts fonctionnaires ayant une influence considérable sur les décisions des gouvernements c’est incontestable. Mais c’est précisément l’Etat qui est la calamité française. Ce n’est pas le point de vue de Laurent Wauquiez : « Le danger est de ne plus avoir d’Etat en France » (Wauquiez de citer Anatole France, en effet un grand libéral). Il pense au contraire que c’est l’Etat qui a fait la France, il cite aussi Bainville (très sollicité), et quelques précédents historiques. Naguère « la fierté française était portée par un Etat centralisé avec des ingénieurs ayant une culture de l’action ». Voilà un bon relent de saint-simonisme, mais précisément tel est bien le mal français1 : l’Etat aux mains d’une élite de sachant qui connaissent le plan d’une société parfaite. Bref comment dissocier l’Etat et l’administration ? Et comment prétendre que l’Etat centralisé ait rendu service à la nation, qu’il a domestiquée, jusqu’à la détruire ? Et Laurent Wauquiez de réciter le catéchisme des étatistes énarques : l’Etat voit loin, il est capable de « se concentrer sur les grandes stratégies ». Curieusement, il fait également référence à la « myopie des politiciens » et à la nécessité d’avoir des services publics efficaces (oxymore).
Les régions heureuses
L’apologie de l’Etat est d’autant plus déplacée chez Laurent Wauquiez qu’il ne cesse de se présenter en avocat d’une vraie décentralisation. C’est un terrain qui lui est favorable, puisque sans aucun doute son mandat de président de la région Auvergne Rhône Alpes a été bien mené. Il souhaiterait que les régions de France aient une véritable autonomie, comme les Länder allemands ou les cantons suisses. Vivent les « régions heureuses », une expression très heureuse. C’est sans doute l’aspect qui m’est le plus sympathique du discours. Les libéraux sont partisans de la subsidiarité et du fédéralisme, mais ils savent aussi que le pouvoir central, au prétexte d’aide aux pouvoirs locaux, finit par les domestiquer. Je trouve donc assez naïf que Laurent Wauquiez évoque un financement des régions pauvres pour respecter l’égalité qui est une vertu républicaine, à ce qu’on dit. « On peut corriger les inégalités en donnant plus de moyens aux régions plus pauvres » (p.37). Mais d’où vient l’argent ? des autres régions ? Les gens du Nord vont-ils secourir les gens d’Aquitaine ? Il y a une forte « solidarité » de notre pays en faveur de la Corse, mais d’une part ce sont les contribuables continentaux qui payent à travers l’Etat et d’autre part les Corses sont logiques : ils veulent plus d’indépendance (tout en gardant les subventions si possible). Et que Laurent Wauquiez ne saisit pas des bienfaits de l’autonomie régionale, c’est qu’elle n’a de valeur qu’à travers la concurrence, c’est-à-dire la possibilité pour les citoyens de se localiser ou de localiser leurs entreprises là où cela leur paraît meilleur, à des points de vue différents d’ailleurs (fiscalité, réglementation, climat, sécurité, langue, etc.) C’est ce qui a fait le succès de la Suisse et des Etats Unis, bien que le spectre du pouvoir fédéral rôde toujours (c’est le cas aux Etats Unis, en Allemagne).
Assistanat ou Etat Providence ?
A mes yeux, c’est la même chose, mais ce n’est pas la position de Laurent Wauquiez. Il fait à l’assistanat tous les légitimes reproches qu’il mérite : le travail n’est pas reconnu, il y a ceux qui profitent du système et ceux qui travaillent dur. S’il faut réduire les dépenses publiques c’est par les dépenses d’assistanat qu’il faut commencer : « moins de dépenses d’assistanat, plus de reconnaissance du travail » : excellente formule (p.36).
Le problème c’est que Laurent Wauquiez a de l’admiration pour le système social mis en place en 1945 et, dit-il, reconstruit par De Gaulle en 1966 « en 1945 notre pays était un modèle, il avait inventé un système social qui a fait la fierté française » (p.33). A ma connaissance ce système est bien celui de la Sécurité Sociale, avec les retraites par répartition, la santé publique, l’indemnisation du chômage (apparue plus tard il est vrai). Mais Laurent Wauquier constate tout de même que « ce modèle doit être repensé ». Il ne fait aucune allusion à un système de libre choix, de concurrence et de gestion privée. Certes il évoque la capitalisation pour les retraites, mais à titre accessoire et sans sortir de la gestion publique et centralisée. Certes il dit que l’Education Nationale est moribonde, manque d’enseignants, mais il envisage davantage de subventionner les bons écoliers et ne fait aucune allusion à la liberté scolaire qui existe dans la plupart des pays dits libres. Bref, l’Etat demeure la Providence et je ne vois pas comment diminuer la dépense publique sans diminuer l’Etat, et notamment l’Etat Providence.
Souveraineté et Protectionnisme
Sur le chapitre de la souveraineté Laurent Wauquiez est très fidèle à la pensée unique. Bien qu’il ne cible pas particulièrement l’électorat de Marine Le Pen, il se doit aussi de parler immigration et immigrés. Il fait allusion à la lutte qu’il a menée contre les maires de Lyon et de Grenoble à propos du burkini, puisque ces élus locaux font la promotion d’« un instrument d’oppression des femmes tout en prétendant se battre pour les droits de la femme » (p.33) Laurent Wauquiez est conservateur, et supporte mal les menaces qui pèsent sur la souveraineté culturelle française. Mais le problème est qu’il entend aussi la souveraineté dans sa dimension économique et, conformément à la pensée unique, il pense que le protectionnisme est une nécessité. Il fait remarquer que les Etats Unis de Joe Biden ne se privent pas de protéger leurs entreprises de la concurrence mondiale et il préconise en retour un protectionnisme au niveau européen, ce que pensent conjointement Emmanuel Macron et Ursula von der Leyen. Sans doute pouvons-nous faire un effort chez nous « Nous devons trouver un système alternatif qui permette à la France de défendre ses intérêts dans cette compétition en reconstruisant son tissu économique, en relocalisant la production là où sont les talents : dans nos territoires. Construisons une France des régions heureuses ». Ici nous versons dans le truisme : nous serons concurrentiels là et quand nous serons compétitifs !
Le miracle du verbe n’a aucun effet face à la réalité : les échanges mondiaux ne peuvent être ni suspendus ni entre les mains des Etats ou des instances continentales ou mondiales. Le miracle allemand a été bien expliqué par Friedman : les Allemands jouissant de la liberté d’entreprendre dans leur pays avaient compris que leurs productions pouvaient atteindre un niveau de qualité et de pris tel qu’en dépit du protectionnisme les autres pays finiraient par les importer. C’est aussi ce qui a permis aux Chinois d’exporter (à cela près que leur
compétitivité vient du vol de la propriété intellectuelle et de l’esclavage d’une partie de leur main d’œuvre). Mais Laurent Wauquiez ne croit pas au commerce mondial, il va plus loin en disant qu’il est « dangereux de dépendre des autres ». C’est dire son ignorance de la notion même d’économie : l’économie est fondée sur le fait que nous sommes tous différents, et que nous échangeons parce que nous avons des besoins et des capacités qui nous sont propres, de sorte que nous ne pouvons survivre qu’en échangeant avec les autres. La dépendance n’est pas une servitude, elle est un service mutuel. Mais il est vrai qu’en France l’ignorance de l’économie frappe l’élite comme le peuple.
Je ne doute pas qu’après quelques leçons Laurent Wauquiez en vienne à une réflexion libérale. Il peut même s’adresser à son Président Ciotti, dont le programme économique parle de choses curieuses comme la capitalisation, la flat tax et le salaire unique. Laurent Wauquiez cite bien à point Georges Pompidou et il en retient une belle devise : « Donnons de la souplesse au pays, offrons lui cette respiration ! De la Liberté ! » Que Laurent Wauquiez fasse une nouvelle offre politique : celle de la liberté.
1 On peut évidemment lire Jean Philippe Feldman : L’exception française : de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron, Odile Jacob éd. Janvier 2022