Le Président de la République a eu une idée surprenante en associant le traditionnel anniversaire de l’appel du 18 juin au Mont Valérien (où se trouve le mémorial de la France combattante) et l’annonce de l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian le 27 février 2024. Certes le communiqué officiel de l’Elysée donne une explication : “Missak Manouchian porte une part de notre grandeur”, il “incarne les valeurs universelles” de liberté, égalité, fraternité au nom desquelles il a “défendu la République” […] Le président rend aussi hommage, à travers lui, à tous ses compagnons d’armes étrangers, Espagnols, Italiens ou Juifs d’Europe centrale. “Le sang versé pour la France a la même couleur pour tous”.
Mais l’histoire du Parti Communiste et de sa résistance à Hitler permet de tempérer l’ode à Manouchian, d’abord parce que depuis son arrivée en France en 1925 le jeune arménien n’avait cessé d’être aux ordres du Komintern, « Troisième Internationale Communiste » et occupait de hautes fonctions à la tête d’une antenne du PCF appelée Mouvement des Ouvriers Immigrés (MOI), ensuite parce que le PCF a été aux côtés des Allemands depuis le début de la guerre en septembre 1939 jusqu’au 22 juin 1941, date de l’attaque de l’URSS par Hitler, et enfin parce que la « résistance » des communistes avec les FTPF n’avait pas pour objectif la libération de la France, mais la prise de pouvoir – une visée dramatique qui nous alerte encore aujourd’hui.
Je passe rapidement sur ce que le Komintern a représenté en Europe depuis sa création par Lénine en 1917. Il s’agit de diffuser le marxisme par la voie révolutionnaire en luttant contre les « démocraties occidentales » : cette Internationale Communiste (IC) est rupture avec l’Internationale Ouvrière plutôt réformiste qui inspire la plupart des socialistes dans l’Europe entière. Cela sera nettement prouvé lorsque la guerre va éclater en 1939 puisque les communistes français vont travailler en commun avec les antennes communistes en Belgique, en Hollande et en Suède. La République Française n’est en rien servie par l’IC, et dès 1939 les socialistes français, avec Blum à leur tête, ne cesseront de condamner totalement la position du Parti Communiste Français.
Le pacte germano-soviétique vanté par les communistes
Les communistes de tous les pays européens vont applaudir au « pacte de non-agression » passé le 23 août 1939 entre l’Allemagne nazie (qui a déjà remporté une première victoire à Munich en 1938 en annexant les Sudètes tchèques) et l’URSS. Il est signé à Moscou par Staline, Molotov et Ribbentrop, ministre des Affaires Etrangères du IIIème Reich (condamné à mort par le tribunal de Nuremberg et exécuté en 1946). La véritable signification du pacte est le partage de la Pologne, qui en effet va être envahie par les Allemands dès le 17 septembre et par les Soviétiques dix jours plus tard. La propagande commune attaque les Polonais parce que « ce sont des fascistes » qui oppriment les minorités ukrainiennes et russes-blancs. Cette propagande a été reprise par Poutine : complot nazi soutenu par l’Occident.
Dans ces conditions, les communistes français refusent de s’opposer à l’Allemagne. Leur plus haut dignitaire (ou indignitaire) Maurice Thorez se porte déserteur le 3 octobre 1939, il est condamné par le tribunal militaire d’Amiens à 6 ans de prison, et perd la nationalité française mais il aura fui vers la Belgique, puis finalement à Moscou où il va passer tout le temps de la guerre, continuant d’ailleurs à donner ses instructions aux camarades français résistants.
Pour l’instant ils résistent à la guerre : c’est un affrontement entre puissances capitalistes, le peuple n’est pas concerné. Dans un pays qui est dès le début 1940 directement attaqué par la Wehrmacht ils plaident « pour la paix ». Sous la direction de Jacques Duclos (déjà trop âgé pour être mobilisé) les trois composantes du Komintern à Paris (Jeunesses ouvrières, Groupes Ouvriers et Paysans et Main d’œuvre ouvrière immigrée) distribuent des tracts pour la paix et l’Humanité, quotidien du PCF, appelle à rester fidèle à l’URSS. C’en est au point que dès le 26 décembre 1939 le président du Conseil Edouard Daladier dissout le PCF et interdit la publication de la presse communiste, dont l’Humanité, organe officiel du PCF. Bien que la majorité des parlementaires communistes ait voté les crédits militaires d’urgence, plusieurs députés et sénateurs communistes vont être arrêtés[1]. Une date historique est importante : la première édition de l’Humanité clandestine sera distribuée le 6 octobre 1939. La première résistance des communistes ne s’exerce donc pas contre les Allemands, mais contre le gouvernement de la République Française.
Les choses vont changer quand les Allemands vont occuper Paris le 14 juin 1940, l’armistice va prévoir la « démarcation » de la France en une zone occupée et une zone réputée libre, ainsi que l’installation d’un gouvernement à Vichy présidé par le Maréchal Pétain.
Les communistes continuent à publier l’Humanité clandestine, mais ils vont faire durant plusieurs semaines une démarche auprès d’Otto Abetz, ambassadeur du IIIème Reich à Paris, pour lever la censure de leurs publications, et récupérer les ouvrages que le gouvernement français leur avait confisqués. De Moscou Maurice Thorez condamne toute entente avec Otto Abetz, mais à Paris les gens de l’Humanité veulent encore espérer. En tous cas l’Humanité clandestine existe toujours pour s’élever contre une guerre qui ne serait due qu’aux Anglais et aux Français, tandis que l’URSS défend le prolétariat et la liberté, par exemple en installant un nouveau gouvernement en Finlande (après l’avoir «libérée»).
L’activité des communistes en début de l’année 1940 ne se ramène pas à la presse clandestine et à la distribution de tracts, de nombreux actes de sabotage se sont succédés en visant la plupart du temps des entreprises qui travaillent pour l’effort de guerre décidé en 1939. Ce n’est donc pas la censure et la liberté d’expression qui sont en cause, mais bien une trahison authentique qui force l’admiration des intellectuels à la mode[2].
Ces bonnes relations avec l’occupant vont cesser le 22 juin 1942, car les communistes ont naturellement changé de camp et sont devenus anti-nazis quand les accords germano-soviétiques ont éclaté : Hitler attaque l’URSS, la guerre continuera jusqu’en mai 1945.
Résistance ou coup d’Etat ?
Même dans les communiqués de l’Elysée de la semaine dernière il est fait allusion à “l’unité des mémoires de la Résistance”, communiste et gaulliste, longtemps rivales. Faire l’unité des mémoires c’est trahir l’histoire, car ce qui s’est passé entre 1942 et 1944 n’a pas été seulement une rivalité entre communistes et gaullistes, mais aussi un engagement décisif de Français qui n’appartenaient à aucun de ces clans, et un sacrifice des troupes alliées qui gagneront les campagnes de Normandie, des Ardennes et d’Italie.
Les communistes ne démarreront pas très fort. Ils créent les Francs Tireurs Partisans (FTP) dont les effectifs ne dépassent pas au départ quelques centaines de résistants. Encore l’impact des communistes est-il plus fort dans certains entreprises grâce à la présence de la CGT, dissoute comme le PCF, mais toujours présente à la SNCF en particulier[3]. L’importance des FTP est grande dans le Sud Ouest de la France, non pas parce que les habitants se sont soudainement voués au marxisme-léninisme, mais parce que les commandos et maquis communistes y sont plus nombreux. La présence des FTP devient de plus en plus radicale, les communistes préparent « l’épuration » en identifiant les « traîtres, collabos et pillards » qui seront souvent jugés par des Comités de Résistance qui doivent être créés dès la prise de la ville ou de la région. Les mots d’ordre du Haut Quartier FTPF précisent que tous les résistants doivent être soumis à l’autorité du Conseil National de la Résistance dont la quasi-totalité des membres est communiste, le CNR va préparer le collectivisme planificateur, tout en reprenant l’idée de la Sécurité Sociale mise en œuvre par le régime de Vichy en 1941. La libération de Paris, dont les troupes allemandes se sont retirées, est une lutte d’influence entre les communistes et les FFI plus attirés par le gaullisme. Le Général De Gaulle fera semblant de flatter les résistants parisiens pour démontrer que toute la France est derrière lui. On oubliera simplement un détail historique : ce sont les chars du général Leclerc et les troupes alliées qui ont pu réussir la percée vers la capitale.
L’année 1944 sera marquée par deux drames majeurs : le gouvernement provisoire de la république française, présidée par De Gaulle, reprend toutes les recommandations du CNR, mais surtout d’après les travaux de Robert Aron l’épuration va produire la mort de quelque 450.000 personnes, en particulier dans les zones contrôlées par les FTPF. Les « résistants » ont réglé leurs comptes, souvent il s’agit de comptes avec les voisins, les gens en vue, les vieilles familles « bourgeoises ».[4]Quant au coup d’Etat il a été manqué à cause de la présence des troupes américaines sur notre territoire, mais les FTP les plus sûrs (et en particulier le groupe MOI) continuaient à prendre leurs ordres du Komintern, comme ils l’avaient fait depuis plus de vingt ans. Quant aux relations entre communistes et gaullistes elles n’ont pas été aussi tendues que prévu : la première visite à l’étranger du Général en décembre 1944 sera pour aller saluer Staline à Moscou. Un demi-siècle de gaullisme confirmera cette sympathie pour l’URSS, notamment à l’occasion de la décolonisation et de la guerre d’Algérie. Le gaullisme a aussi un autre point commun avec le communisme : il croit à la lutte des classes, mais au lieu de miser sur la victoire du travail sur le capital (version léniniste), il achète la paix sociale en partageant la valeur créée dans l’entreprise par le partage entre travail et capital : c’est la participation obligatoire de Michel Debré.
Cependant je ne soutiens pas que l’histoire de la France s’est résumée dans ces périodes par les relations entre communisme et gaullisme. On ne peut en effet oublier que la nation française, sans doute déchirée, a réuni des millions de patriotes de tous bords, de toutes origines, de toutes religions. Ce qui a été fait par exemple pour sauver les Juifs -et particulièrement les enfants juifs) a été remarquable et stimulant.
Il y a eu aussi une masse de Français qui ont préparé la victoire en prenant contact avec les Américains, entrés dans la guerre après Pearl Harbour. Le 2 novembre 1942 les troupes US entraient dans Alger, le gouvernement provisoire de la République Française se constituait alors, le général Giraud en prenait la responsabilité militaire et pouvait remettre en ordre l’armée française présente en Afrique (les fameux « tirailleurs » dont quelques films infâmes ont laissé penser que ces Marocains, ces Algériens, ces Sénégalais, etc. avaient été enrôlés de force). Les pourparlers avec le pouvoir en place à Vichy (mais bien sûr pas avec Laval) ont été menés par l’amiral Darlan, dont De Gaulle a commandé l’assassinat par Bonnier de la Chapelle en 1942[5].
Il n’est pas décent que les Français soient ainsi invités à ignorer l’histoire des communistes[6]. Tous les mensonges accumulés à l’occasion de ces anniversaires donnent l’impression que les chefs communistes ont travaillé un jour au bonheur et à la paix des Français. Aujourd’hui comme toujours, comme dans les années 1939-1944, il s’agit de travailler à la destruction de la liberté et à la promotion d’une société collectiviste, dirigiste, matérialiste. Le chemin vers cette société est tracé dans la haine, dans la violence, dans le mensonge. Il donne des êtres humains une triste image, d’ailleurs c’est la base de l’entente au sein de la NUPES : l’humanité s’est déshonorée parce qu’elle a été égarée par le capitalisme, par le libéralisme, donc changer le système c’est sauver la planète, c’est construire la justice et légalité.
Mais en conclusion ne soyons pas trop naïfs : il y a des gens qui ont intérêt à flatter un électorat qu’ils manipulent en réécrivant l’histoire, en prônant l’union autour du grand chef. Nous avons un petit chef qui s’emploie beaucoup, nous nous en contenterons encore quelques mois.
1 Ils seront jugés du 20 mars au 2 avril 1940, condamnés à cinq ans de prison et destitués de leurs droits civiques.
2 Parmi lesquels inévitablement Sartre, Aragon.
3 Il s’est même dit que la SNCF a souvent collaboré, les trains qui transportaient les déportés en Allemagne n’ont jamais déraillé.
4 Mon oncle boulanger a été arrêté en août 1944 parce qu’en sa qualité d’ancien combattant 14-18 il s’était occupé du colis des prisonniers, activité de collabo. Enfermé à la prison de Draguignan pendant un mois il a bénéficié d’un spectacle ahurissant : tous les matins une liste de noms était annoncée, c’était la liste des gens fusillés le jour même, sans aucun jugement. Le hasard est que l’un de mes grands oncles est mort en déportation.
5 J’ai consacré un article à cet épisode dans un article publié dans la nouvelle-letre.com du 8 mai 2023 8 mai : mémoriel, politique ou idéologique 8 Mai : Cette année le choix du Président pour l’anniversaire a prêté à confusion. La liberté y trouve-t-elle son compte ?
6 Voici ce qu’écrit Le Monde (17 juin 2023) Son itinéraire de rescapé du génocide des Arméniens, immigré débarqué à Marseille en 1925, ouvrier, poète, engagé volontaire dans l’armée française en 1939, devenu l’un des chefs des Francs-tireurs et partisans de la main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), réseau de résistance communiste composé d’étrangers, symbolise tout à la fois l’extraordinaire attraction des idées universalistes portées par la France, l’internationalisme dans la lutte contre le nazisme, le rôle du PCF dans la Résistance mais aussi, en raison des zones d’ombre sur la fin tragique du réseau, les ambiguïtés de ce dernier à l’égard des étrangers.