Les militants du parti ont fait le choix d’Eric Ciotti. Ce choix a-t-il une connotation libérale ? Au lendemain de la joute télévisée entre les trois candidats (le 2I novembre sur LCI) la rédaction du site www.nouvelle-lettre.com faisait un constat plutôt pessimiste : il n’y a pas eu de quoi stimuler des électeurs libéraux […] les candidats sont loin de la position libérale (du moins dans la ligne de celle que nous diffusons).
Toutefois, deux positions semblaient positives pour des libéraux : d’une part Eric Ciottti avançait un programme de réduction massive des impôts, d’autre part Bruno Retailleau souhaitait que le parti se donne enfin une doctrine claire. Mais sur ces deux points il y avait antinomie : Bruno Retailleau préférait une baisse des dépenses plutôt qu’un allègement des prélèvements obligatoires, et Eric Ciotti se réclamait de la famille gaulliste, dont la doctrine est de ne pas en avoir (comme disait Michel Debré, à juste titre).
Moins d’Etat ou mieux d’Etat ?
La victoire d’Eric Ciotti (très discrètement commentée à cause des matches de foot au Qatar) ne manque pas d’interroger les libéraux, et je me pose comme tant d’autres la question impertinente : où va-t-il mener le parti ? Sa toute première déclaration a été pour se féliciter du retour à la famille gaulliste, mais il a aussi laissé entendre qu’il faut réformer pour libérer, et son plaidoyer pour la flat tax et l’effet Laffer, jadis pièces maîtresses de la « reaganomics », a de quoi séduire les libéraux. Le gaullisme, c’est plus d’Etat, Le libéralisme c’est moins d’Etat. Nous voici donc confrontés au paradoxe très français : peut-on libérer les Français en restaurant l’autorité de l’Etat français ?
Il est vrai que, dans l’opinion publique, les deux approches correspondent à un besoin profond : le déclin et le désordre règnent actuellement grâce au macronisme insaisissable et impuissant, et le poids des impôts, des taxes et des règlementations devient intolérable.
Il est donc tentant de se demander si le parti LR sera celui de l’ordre (capable de reconstruire l’électorat de droite voire de l’extrême droite) ou celui de la liberté (capable de répondre à l’attente d’un électorat libéral aujourd’hui exclu du débat public)[1]. Vieille affaire : la droite française a-t-elle été un jour libérale, comme elle l’est dans la plupart des pays libres ? J’enfonce donc une porte ouverte.
Mais je crois précisément que l’opposition entre ordre et liberté est mal comprise, et je me fais un devoir de répondre à ceux qui s’interrogent sur sa nature. Je n’ai aucun mérite à relever le défi, puisque tout revient à l’opposition qu’Hayek a marquée entre ordre créé et ordre spontané[2].
Ordre créé ou ordre spontané ?
L’exception française, bien repérée par Jean Philippe Feldman[3], est celle de l’ordre créé : c’est le pouvoir politique en place qui décrète ce que les gens doivent faire. Il n’y a aucune limite à cette ingérence de l’Etat, on va même jusqu’à considérer la constitution comme une déclaration solennelle des droits individuels. Le pamphlet de Bastiat sur « La Loi »[4] dénonce l’erreur (de Rousseau) sur la « volonté du peuple » : le législateur élu peut tout régenter. C’est un excellent chemin vers la dictature et la servitude volontaire.
Par contraste l’ordre spontané est le fruit de la liberté, et le garant de la liberté. Fruit de la liberté, parce que les institutions, règles du jeu social, évoluent naturellement à travers un processus d’essais et d’erreurs. Garant de la liberté, parce que les règles du jeu ont pour mérite d’anticiper le comportement prévisible des autres individus et rend possible l’harmonie sociale née de la « catallaxie », qui transforme des intérêts contraires en accords réciproques. Il y a donc, comme Mises le soulignait[5], une praxéologie, un pari sur le comportement des êtres humains. Bien qu’Hayek n’ait pas voulu (pour diverses raisons) se référer au droit naturel, il y a bien quelque chose dans la nature de l’être humain qui le pousse à préférer la liberté, la responsabilité, la propriété et la dignité[6]. Sans doute cette nature est-elle encouragée par l’éducation, par l’expérience, capables d’épanouir la personnalité. Voilà pourquoi le parti LR, sous la houlette d’Eric Ciotti, devrait donner priorité à l’école, à la famille, au contrat, là où existent actuellement tous les foyers de haine, de discorde, animés par les tenants de la lutte des classes, des races, des sexes.
Voilà l’ordre libéral. Puisse-t-il enfin devenir une vraie doctrine pour un vrai parti libéral.
[1] Cf. mon récent ouvrage Jacques Garello Vaccin Libéral éd. JDH, Paris janvier 2022
[2] Fr.Hayek Droit Législation et Liberté tome 1 Règles et Ordre, éd. PUF Coll.Libre Echange, Paris 1980
[3] Jean Philippe Feldman L’exception française : histoire d’une société bloquée de l’Ancien régime à Emmanuel Macron , éd.Odile Jacob, Paris 2021
[4] « La loi » cf. Frédéric Bastiat Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, 3ème éd.Romillat Paris, janvier 2004 p.140
[5] Ludwig von Mises L’action humaine Traité d’Economie Politique, éd.PUF coll.Libre échange,Paris 1987
[6] Jean Paul II (Karol Wojtila) Paroles et Actes, rééd. Parole et Silence coll.des Bernardins 2011