Il traduit surtout l’ignorance économique des commentateurs, et peut-être aussi la volonté de masquer la vérité sur le dirigisme européen.
Inflation alimentaire : plus grave que l’inflation
Ces derniers jours nous avons entendu se multiplier les références à « l’inflation alimentaire ». L’avantage de la formule est de pouvoir diffuser un climat de peur dans la population : le chiffre retenu est souvent de 14 à 18 % pour l’ensemble des prix des fruits, légumes, pains et pâtes, et on a aussi la chance d’avoir quelques prix doublés, voire triplés. C’est donc une information plus frappante que celle qui d’habitude concerne la moyenne des prix à la consommation, qui englobe aussi le logement, le transport, l’énergie, les loisirs, etc. Bien que nous ayons toujours critiqué cette manie de calculer le taux d’inflation comme la moyenne des prix de produits nommément choisis pour le calcul, au prétexte qu’un indice officiel (calcul par l’INSEE) doit représenter « le panier de la ménagère » il y a loin de l’évolution de l’indice INSEE et du chiffre de « l’inflation alimentaire ». L’alimentation est un poste qui dans tous les pays développés n’a cessé de décroître. Le seuil qui a mis la consommation alimentaire à moins de 50 % du total a été franchi en…1963. A l’heure présente (indice INSEE 2021) l’alimentation représente de l’ordre de 14,7 % (INSEE pour 2022) des dépenses du consommateur français. Les chiffres alarmistes ne concernent donc pas tous les ménages français, mais c’est bien comme cela que les commentateurs présentent « l’inflation alimentaire ». Cela leur permet aussi d’insister sur l’injustice sociale : ce sont les plus pauvres qui ont du mal à se nourrir.
Inflation ou variation des prix relatifs ?
Du point de vue de ce qu’il est convenu chez les (vrais) économistes, il est nécessaire de distinguer les variations du niveau général des prix et les variations des prix relatifs. La hausse des prix a surtout frappé les produits de première nécessité, et comparativement d’autres postes du budget ont été forcément réduits. C’est ce qu’on enseignait jadis avec l’expression « élasticité prix des produits ». Il est évident que les biens et services dont on ne peut se passer ont une élasticité très faible. Comparativement on observera que les Français ont considérablement réduit leurs dépenses de loisirs (jusqu’à une période récente) mais aussi la part de leur revenu épargnée, puisque l’épargne est bien une façon d’utiliser son argent.
Des prix politiques
Au tout début de la guerre d’Ukraine, on a beaucoup évoqué le blocage des exportations de blé par la voie maritime de la Mer Noire. On a aussi souligné la hausse du prix des carburants « fossiles », mais d’une part les importations de blé ukrainien ne représentent qu’une faible partie de notre production nationale, et d’autre part la hausse des produits énergétiques a été en effet le résultat du refus des producteurs mondiaux cartellisés dans le cadre de l’OPEP, et du blocage russe des livraisons de gaz. Il en résulte que les variations des prix relatifs ont tenu davantage aux décisions politiques qu’à la loi de l’offre et de la demande. Nous assistons depuis des années à la rupture avec le monde marchand. Les prix sont davantage influencés par les décrets des cartels gouvernementaux que par les pénuries. Qui peut prétendre que le monde entier manque de pétrole, de gaz ? Il a fallu que plusieurs pays africains soient grassement subventionnés (c’est en fait une promesse) pour les compenser du dommage subi par l’interdiction des écologistes. Au sein des pays de l’Union Européenne, le prix de l’énergie a été fixé de façon tout à fait arbitraire, il doit être le même pour tous les pays, au prétexte de ne pas fausser la concurrence, comme si la concurrence signifiait l’égalité de tous les producteurs, de tous les consommateurs, alors qu’elle veut dire compétition, concours, entre toutes les entreprises installées au sein d’un « marché commun » : on a retenu le commun et oublié le marché. Avec le prix européen de l’énergie on a retrouvé la stupide innovation des prix agricoles, qui se fixent à Bruxelles, et sous la menace de paysans manifestant pour leur pouvoir d’achat. Quand le traité de Rome a voulu installer un marché commun, cela constituait un progrès par rapport au protectionnisme national, la libre circulation des produits devenait possible au sein de l’Europe, mais ce marché commun était aussi un moyen de se protéger contre le reste du monde (et notamment contre les concurrents américains). Fort heureusement la mondialisation s’est réalisée pour les produits industriels et les services, de sorte que les population européennes ont pu bénéficier de prix marchands, les « tarifs extérieurs communs » (TEC) ont très vite disparu. Ce progrès n’a pas été définitif. Peu à peu les Etats membres de l’Union Européenne, et les autres, ont repris le chemin facile et électoraliste de la protection, en inventant des normes nationales pour défendre la santé des consommateurs et surtout, depuis le début de ce siècle, la protection de la nature. Les nomes ont amené à Bruxelles les experts des lobbies, et la collusion entre politiciens et grandes entreprises est devenue elle aussi une norme : pas étonnant que certains peuples (et notamment les Français) soient hostiles à la mondialisation, régie par le « capitalisme de connivence », qui évidemment n’a plus rien à voir avec le capitalisme, la concurrence et le marché, mais amène les gouvernements à passer des accords commerciaux, où les accords se font sans référence aux lois du libre commerce mondial.
Inflation de services publics
Il est vrai que certains services, voire même certains produits, échappent par nature aux lois du commerce : ce sont les services publics dont « bénéficient » les résidents sur le territoire national, et les entreprises publiques « bénéficiant » de monopoles, privilèges et subventions. Dans un pays étatiste comme la France les entreprises privées elles-mêmes sont tributaires des avantages que leur confèrent les pouvoirs publics nationaux, régionaux ou locaux.
Nous pouvons ramener l’ensemble de ces pratiques au concept « d’inflation de services publics » puisqu’elles ont toutes une source commune : les dépenses publiques. Cette inflation ait à son tour la différence entre les « pays frugaux » qui cherchent à ne pas trop dépenser et n’aiment pas des finances publiques déficitaires, et les pays structurellement débiteurs. Ceux-ci doivent naturellement et durablement accroître la dette publique. Bien entendu, l’Union Européenne avait cherché au départ à limiter cette dichotomie en imposant les « règles d’or »: limite du déficit des budgets publics à 3 % du PIB, et de la dette publique à 60 % du PIB. Voilà bien longtemps que la règle d’or est devenue vil plomb, les « pays du Sud » ont fait ce qu’ils voulaient. Ces derniers mois, l’épidémie a été le prétexte du « quoi qu’il en coûte », aujourd’hui c’est le prix de l’énergie (lui-même artificiel), et l’inflation elle-même : un comble !
« L’inflation est toujours et partout d’origine monétaire »
Cette formule de Friedman a convaincu la plupart des (vrais) économistes. Et ce qui se passe en Europe actuellement en est une illustration éclatante. Car il y a eu création de la zone euro et de la Banque Centrale Européenne ; l’habileté de Jacques Delors a été d’introduire cette innovation dans le traité de Maastricht (dont les électeurs français ne voulaient pas). Comme tous les socialistes égarés par le keynésianisme, la BCE pourrait être le moyen de soutenir la croissance par des injections monétaires, de nature à compenser les rigueurs de la loi de l’offre et de la demande, et à maintenir le plein emploi sur l’ensemble de l’euroland en stimulant la demande grâce aux dépenses publiques. Dans les premières années la BCE, sous la houlette de Jean-Claude Trichet, a été plutôt rigoureuse. D’ailleurs les statuts de la Banque lui interdisaient de refinancer les dettes des Etats membres. Un magicien de la finance, Mario Draghi, déjà bien connu pour ses « montages » financiers a rapidement trouvé la parade aux statuts, et les Etats en position de débiteurs structurels, comme la France, ont encouragé le magicien. Il faut dire que la crise financière américaine puis mondiale (provoquée comme par hasard par l’initiative des « subprimes » prise par Washington) a autorisé la plupart des pays occidentaux à se lancer dans une politique de relance immodérée. Naturellement ce sont les pays les plus endettés qui ont été les plus engagés dans « l’assouplissement » des pratiques de la Banque Centrale. Donc il a été collectivement accepté que la BCE ne ferait pas de prêts directs aux Etats, mais pourrait racheter des titres détenus par des créanciers des Etats : pas vu, pas pris ! De plus, ces rachats se feraient à des taux de refinancement de plus en plus faibles, allant jusqu’à devenir négatifs : le quantitative easing (politique d’aisance monétaire) imaginé par la FED à Washington pour soulager la dette publique américaine devenue pléthorique, a légitimé la nouvelle politique de la BCE. Monsieur Bernanke, son inventeur, a reçu cette année le prix Nobel d’Economie.
En réalité la BCE interdite de financement direct aux Etats, est passée par d’autres canaux, dont le plus important a été celui des comptes que les banques de l’euroland ont chez elle. Les créances qui figurent à l’actif de ces comptes, et les liquidités qui les accompagnent, sont rachetées à vil prix par la BCE qui émet en contrepartie…des euros. Voilà donc la masse monétaire suffisante pour encourager les Etats à négliger une dette publique dont plus personne ne pense qu’il faudra un jour la rembourser. Il existe même une « théorie monétaire moderne » qui justifie que l’on puisse émettre autant de monnaie banque centrale qu’on désire.
Les rapports officiels du gouvernement français (prudemment retirés de la circulation) posaient la question : « les émissions de monnaie par la BCE sont-elles un moyen de financer la dette publique ? ». Et la réponse était évidemment : non. Mais aujourd’hui, face à l’emballement de la dette, ordre est donnée à la BCE d’abandonner l’aisance monétaire (QE), de relever hâtivement et considérablement les taus d’intérêt, bref d’arrêter le mensonge. Voilà bien une preuve que la création monétaire de la BCE s’est faite sans contre-partie réelle que la promesse des Etats de rembourser.
L’inflation : de l’artificiel au réel
Une monnaie sans contrepartie réelle, n’ayant pour actif dans les comptes de la banque centrale que des créances douteuses, est une monnaie de singe. Et, comme elle n’a plus de valeur, il en faut davantage pour payer toutes les transactions. Ce sont donc tous les prix de toutes les transactions qui sont en hausse ; Il n’y a pas d’inflation alimentaire, parce qu’il y a une inflation généralisée, tant que les contrats sont passés en monnaie officielle, l’euro.
Mais le pire est inéluctable : en effet si les prix (et par nature les profits, appelés « marges » car le profit est haïssable, on le sait) ne reflètent plus l’état réel de l’offre et de la demande, si les signaux du marché qui détectent les pénuries et les excédents ne fonctionnent plus, n’importe qui fait n’importe quoi, et l’économie fonctionne sans boussole.
Il y a cependant un nord : c’est l’extension de tout ce qui est parasitaire dans l’économie du pays. Tout d’abord, loin d’être maîtrisées, les dépenses publiques continuent à augmenter : toujours plus de subventions, de chèques, de promesses. L’éventuelle sanction politique qui consisterait à renverser des gouvernements démagogiques et dispendieux n’existe pas en France (à la différence de ce qui semble s’être passé au Portugal et en Espagne) : le 49-3 impose les choix du gouvernement au parlement qui vote le budget de l’Etat et de la Sécurité Sociale.
Il y a ensuite tous les investissements spéculatifs : emprunter à bon compte et vendre plus cher est possible pour quantité d’entreprises. C’est le « mal investissement » dénoncé par Hayek. L’argent va là où il n’y a pas de débouchés durables et de création de valeurs réelles (appréciées par les clients) il manque là où les pénuries devraient être comblées. L’inflation est un mensonge, il détruit progressivement les sociétés privées de tout ordre économique. Gaspillages, corruption, rébellion, empoisonnent les relations sociales. C’est dans l’’inflation que sont mortes des civilisations entières (Rome, l’Ancien régime, la Révolution Française) et que sont nées les dictatures (communistes et nazies).
Et détourner l’attention du peuple en parlant sans cesse du prix du kilo de pâtes empêche les citoyens de comprendre l’inflation, ses vrais responsables, et l’urgence de revenir à la logique et aux exigences du marché. La stabilité monétaire est un gage de croissance et d’harmonie sociale. Il faut réformer pour libérer.