Londres a accueilli en ce lundi historique les chefs de la plupart des Etats libres (ou réputés tels). En dehors de ce qu’elles pouvaient traduire de sentiments de respect et d’amour pour cette extraordinaire Elizabeth, les obsèques se sont accompagnées de commentaires politiques opposés.
Pour les uns, ce sont le Commonwealth, la monarchie parlementaire, le Royaume Uni lui-même qui étaient enterrés : la mort de la reine marquait la fin d’un monde révolu, que l’on ne retrouvera jamais. Charles III lui-même symboliserait la rupture, ses engagements populistes et écologistes, ses premières passes d’armes avec Liz Truss, laissent présager d’un règne très « régnant ».
Pour les autres, c’est au contraire une résurrection de l’Occident : autour d’un Joe Biden qui surprend par ses positions diplomatiques, et qui reçoit l’approbation de toute la classe politique américaine (Républicains compris). La réunion de Londres ferait le poids face à la réunion de Salamanque quelques heures plus tôt, Poutine et Xi Jinping incarnant la puissance et le projet du communisme mondial. Au fond nous serions revenus à une sorte de guerre froide, à l’opposition entre capitalisme et communisme
Pékin : capitalisme d’Etat
Sur la volonté commune de Poutine et Xi Jinping d’écraser l’Occident, il y a peu de doutes. Ils sont d’ailleurs suivis par la Corée du Nord, le Venezuela, Cuba et quelques autres dictatures africaines et asiatiques. Cependant, les intérêts de la Russie et de la Chine sont très différents et même opposés : la Chine reconstruit la « route de la soie » qui la conduit jusqu’à l’Europe, mais qui exige l’alliance avec d’anciennes républiques soviétiques. Russie et Chine sont toujours en concurrence pour l’exploitation de l’extrême partie de la Sibérie et de la Mandchourie. Donc, l’idéologie communiste et la préférence pour la dictature sont bien les seuls ciments du couple sino-russe.
Encore faut-il tenir compte du fait que la Chine est réputée avoir choisi le capitalisme. Bien qu’en apparence la Chine soit l’un des moteurs du commerce mondial et par là-même de la croissance mondiale, et bien que la Chine recherche la rentabilité, les investissements étrangers, il manque sérieusement quelques caractéristiques du capitalisme : il n’y a pas de marché du travail, pas de respect de la propriété industrielle (le pillage des inventions et brevets du monde entier est systématique), pas de concurrence loyale (des prix souvent bradés, des normes protectionnistes, etc.). le capitalisme implique le respect d’un certain nombre de règles, et exclut l’intrusion permanente de l’Etat et de la politique dans l’économie.
La mondialisation actuelle : un cauchemar
Il est vrai qu’à ce compte les Occidentaux sont loin de respecter toutes les règles du capitalisme. La plupart des Etats ont transformé la mondialisation en cauchemar. Le protectionnisme, que l’on croyait enterré après la création de l’Organisation Mondiale du Commerce, n’a cessé de progresser., il a pris de nouvelles formes : les normes de toutes sortes : sociales pour lutter contre le travail forcé ou exploité (ce qui n’empêche pas de commercer avec la Chine !), médicales pour protéger l’hygiène et la santé des consommateurs, enfin et surtout maintenant écologiques pour décarboner la production et le transport. Une autre altération du capitalisme est la segmentation des marchés grâce à des accords continentaux ou transnationaux (par exemple ALENA, Mercosur, CETA). L’Union Européenne impose une « harmonisation » au prétexte de mettre fin à la « concurrence déloyale » et veut les mêmes impôts, les mêmes normes, le même droit du travail pour tous les pays membres. Elle n’y réussit pas, mais multiplie les pressions et s’ingère sans arrêt dans le commerce.
L’Occident en perdition
C’est dire que le libre échange et la libre entreprise, conditions essentielles du capitalisme, ne sont pas respectés par les dirigeants des Etats Occidentaux. Est-ce surprenant ? En réalité la plupart de ces pays ont choisi un « tiers système » : un peu de capitalisme et beaucoup de socialisme. La social-démocratie est majoritaire en Europe, et le couple franco-allemand a donné à l’Union Européenne son visage incertain et dirigiste. La situation s’est aggravée avec l’engagement de Bruxelles de participer activement à la transition énergétique.
Mais l’économie n’est pas le seul champ d’action de la classe politique occidentale. Du point de vue de la défense de la liberté et des droits individuels le laisser-aller a été suicidaire. On découvre aujourd’hui que les dictatures, tant russes que chinoises, ont pu se maintenir et même se renforcer en Russie, en Chine principalement, mais aussi dans d’autres pays latino-américains, africains ou asiatiques. Progressivement les liens militaires et diplomatiques entre pays occidentaux se sont relâchés, au point que le Président Macron avait diagnostiqué « la mort cérébrale de l’OTAN » (The Economist novembre 2019) : sans doute pour s’en désoler… Quant aux Etats Unis, leur classe politique s’est reconvertie à la doctrine de Monroe : isolationnisme, et liens incertains avec les autres pays occidentaux. Donald Trump a pensé que les Américains pourraient seuls tenir tête à la Chine : il voyait le problème de l’impérialisme chinois, mais il se trompait de solution.
De la sorte, l’invasion de l’Ukraine a permis, semble-t-il à cette heure, un réveil salutaire. L’Alliance a retrouvé les faveurs des pays européens, Finlandais et Suédois ont rejoint l’OTAN, et les « Occidentaux » du Pacifique (Japon, Novelle Zélande, Australie, Singapour, Taïwan) se sont alarmés et mobilisés. Mais il ne faut pas se leurrer sur la solidité de l’alliance occidentale, il y a beaucoup de résistances inspirées par le souverainisme (ou simplement par le protectionnisme national).
Valeurs morales et spirituelles ?
Pour être solide et durable l’alliance militaire et diplomatique doit reposer sur de communes valeurs morales et spirituelles. Or c’est bien là que se trouve l’étrange abandon de l’Occident. Pour des raisons diverses les références à la religion, à la famille, à la civilité se sont progressivement atténuées, et ont même disparu. Peut-être une croissance économique trop rapide n’a-telle pas été accompagnée par une égale croissance morale : l’Etat Providence est devenu la version laïque de la Providence. Si on ne croit plus en rien, au moins croit-on dans l’Etat. Nouveau Dieu il est à la fois imploré et détesté.
C’est ici que l’on comprend l’absolue nécessité d’une alternance libérale. Avec des personnes irresponsables, la liberté ne peut survivre, on retourne en effet à la loi de la jungle (critique généralement adressée au capitalisme !). En confisquant et en détruisant la propriété privée, on ne reconnaît plus le mérite, l’épargne, l’initiative, la réussite. En accentuant la présence et les privilèges du pouvoir, on s’expose à la corruption : « tout pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ».
Les libéraux sont donc persuadés que l’Occident ne peut se sauver que s’il retrouve les valeurs qui ont fait son succès : les valeurs de la civilisation, c’est-à-dire du respect de la vie, de la liberté et de la propriété. Valeurs qui se sont au cours de quelque vingt siècles frayé un chemin difficile. On les croyait ressuscitées en 1991 : « fin de l’histoire » disait Fukuyama. Peut-être vont-elles ressusciter à la mémoire d’Elisabeth II, à Londres.