J’avais été alerté par un article dans le Figaro, qui étrillait sérieusement cette traduction en français de l’ouvrage de Francis Fukuyama Liberalism and its discontents. J’ai été encore surpris par le titre Libéralisme : vents contraires. Je pensais que l’auteur allait expliquer [1]pourquoi le libéralisme est aujourd’hui caricaturé, critiqué et exclu, tant en France qu’aux Etats Unis, puisque Fukuyama enseigne désormais à Stanford.
J’ai connu Fukuyama et son œuvre à la fin du XXème siècle, quand il a écrit un ouvrage dont j’ai été le propagandiste : « La fin de l’histoire ». A l’époque je partageais son diagnostic : après la chute de l’URSS (1991) les frontières économiques allaient disparaître, le commerce ferait régner sur le monde entier la paix et la prospérité. En revanche Samuel Huntington proposait une géopolitique agitée et sinistre, faite du « choc des civilisations ». Il se trouve que Fukuyama s’est malheureusement trompé mais à l’époque ses convictions libérales étaient très affirmées, au point que ce fonctionnaire de Washington a obtenu d’enseigner à l’Université George Mason, à Fairfax (Virginie) réputée le noyau dur du libéralisme et le foyer à la fois de l’économie autrichienne Peter Boetke, qui sera président de la Société du Mont pèlerin) et de l’école du public choice, Buchanan était là. A côté de George Mason, le think thank le plus autrichien qui soit IHS (Institute for Humane Studies) avec Leonard Liggio et John Burton.
Oui, mais le libéral dit aujourd’hui pis que pendre du libéralisme. Le procès qu’il lui fait est tout à fait bizarre. Le libéralisme était une bonne chose du 17ème au 20ème siècle, jusqu’à ce qu’un tandem arrive au pouvoir : Thatcher et Reagan. L’école de Chicago a commencé à déraper et à faire appel à l’Etat, qui a même osé mettre fin à la puissance syndicale et diminuer la progressivité de l’impôt. Ces mesures sont caractéristiques du mauvais libéralisme, elles ont dépassé toute mesure après l’attentat du 11 septembre 2001 et les relances faites pour soutenir une croissance menacée par la peur du terrorisme. Mais Fukuyama s’accommode très bien de la peur du réchauffement climatique, et le voici condamnant l’individualisme propre au libéralisme, en énumérant ce qu’en disent les opposants au libéralisme : pas d’égalité véritable, discrimination contre les races, démonisme ignoré, et tous vices que le lecteur va découvrir sous l plume de l’auteur, qui fait comme s(il les repérait à son tour ;
Je crois que les Français n’avaient pas besoin de ce livre pour haïr le libéralisme. D’ailleurs Fukuyama n’a pas eu le temps à George Mason d’écouter les cours d’histoire de la pensée de Léonard Liggio. Il y aurait appris qu’ont existé un certain nombre de philosophes, économistes, français du nom de Turgot, Say, Tocqueville, Charles Comte, Constant, Bastiat : aucun de ces nobles ancêtres ne lui semble connu, aucun français. De quoi confirmer que le libéralisme n’est pas fait pour la France, ni pour le monde actuel d’ailleurs !
[1] Francis Fukyama Libéralisme vents contraires, édi. Saint Simon Paris, 2023. Il fallait nien Saint Simon aussi !