Les Français semblent à nouveau animés par un civisme qu’on croyait définitivement enterrer. Le 30 juin deux Français sur trois ont rempli leur devoir (moral) de citoyens : bonne surprise, et merci au Président de la République d’avoir enfin rendu la parole au peuple.
Cependant les Français n’ont pas assez d’expérience pour saisir tous les concepts et tous les mots de la politique. Par exemple ils sont sollicités par un grand nombre de personnes qui leur demandent de veiller aux « valeurs de la République ». Ils comprennent malgré tout que ces valeurs permettent de classer les personnalités, les candidats, les partis en deux catégories, et deux seulement : ceux qui respectent les valeurs en question et ceux qui ne les respectent pas.
Mais quelle serait donc cette frontière infranchissable, cette ligne rouge à ne jamais franchir sous peine de perdre tout honneur, tout respect, tout accès au moindre pouvoir ?
Je me suis fait un devoir d’éclairer les débutants en civisme en leur expliquant ce que peuvent signifier les « valeurs de la République », et je suis content de les rassurer : ces vertus sont si difficiles à cerner qu’elles n’ont finalement aucun intérêt pour guider un choix, pour accompagner un vote.
RF : Vive la République, vive la France
Première approche desdites valeurs : en science politique on distingue, entre autres, des régimes républicains et des régimes monarchiques. Par exemple : la France, comme l’Allemagne, les Etats Unis et la plupart des pays européens, est une République. RF, Vive la République : conclusion de tous les discours – c’est donc sérieux. En revanche il y a des monarchies dans le monde entier : un roi, un monarque, dirige le pays. Il y a moins de rois aujourd’hui qu’aux siècles antérieurs au 20ème. Mais l’affaire se complique du fait qu’il existe aussi des monarchies dites « constitutionnelles », ou « parlementaires » et d’autres qui ne le sont pas. En Europe n’ont pas voulu de la République la Grande Bretagne, l’Espagne, les Pays Bas, le Danemark, la Norvège, la Belgique, le Luxembourg, mais tout autant le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, et même le Japon qui a un empereur. Mais survivent aussi des rois non constitutionnels, exerçant le pouvoir isolément, comme en Arabie Saoudite. Evidemment l’affaire se complique lorsque on dit d’Emmanuel Macron qu’il est un « monarque républicain ».
D’où la question : le Rassemblement National est-il monarchique, puisqu’il ne serait pas républicain ? Marine Le Pen rêve-elle de se faite couronner à Reims ou Notre Dame de Paris ?
République majoritaire
Visiblement, je me suis égaré. Alors j’explore une autre voie. Il est possible d’assortir les valeurs républicaines à celles qui habitent un pays démocratique. Mais qu’est-ce que la démocratie, système théoriquement très répandu, tenu par Churchill comme « le régime le plus mauvais du monde, à l’exception de tous les autres » ? Lincoln a proposé la définition « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Mais comment le peuple est-il gouverné et gouvernant en même temps, et que désire le peuple ? Le vote serait-il le critère de la démocratie ? Les élus sont-ils vraiment représentatifs des citoyens, par quelle magique loi électorale ? Les régimes les plus totalitaires aujourd’hui peuvent se permettre d’organiser des élections, en Russie, en Iran, en Chine, au Venezuela, à Cuba, au Zimbaoué. Benjamin Constant avait démontré qu’il y a deux formes de démocratie, à l’ancienne (celle d’Athènes, où une élite réduite de citoyens exerçait le pouvoir en recueillant la majorité des suffrages) et à l’époque moderne, où les droits de la minorité sont respectés, et en particulier les droits de la plus petite des minorités, l’individu.Le Rassemblement National priverait-il certains Français de droits individuels, de la propriété privée, du respect des biens et des personnes ?
Il s’agit bien sûr des droits naturels, conformes à la liberté et à la dignité de chaque être humain, et non pas de droits positifs, édictés arbitrairement par des législateurs du moment. D’ailleurs ces droits naturels sont-ils respectés aujourd’hui en France ? La démocratie est-ce le populisme, la loi de dirigeants sans foi ni loi, prétendant organiser la vie privée ? Comme Constant, Hayek a souligné les carences de la démocratie électorale, qui ouvrent la route de la servitude, il recommandait une « diarchie », l’existence d’une chambre non élue, gardienne de l’ordre spontané, c’est-à-dire des règles du jeu social fruits d’une évolution historique et permanente[1]. Il m’apparaît en tout cas que la majorité électorale ne légitime pas le pouvoir absolu, et cela quelle que soit la majorité. Montesquieu, notamment, dénonçait la confusion du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire : dans les vieilles monarchies le garde des Sceaux avait priorité sur le roi. Avec la 5ème République la magistrature[2] est sous la coupe de l’exécutif. Donc les « valeurs de la République » ne peuvent être assimilées aux projets et à l’action des vainqueurs du scrutin d’un jour.
Liberté Egalité Fraternité
Voilà sans doute des valeurs de la République que beaucoup de Français connaissent, ; elles sont d’ailleurs inscrites dans la Constitution depuis 1848 (2ème République) et figurent aux frontons de nos bâtiments publics. Originellement, la liberté signifiait la jouissance des droits individuels (tels que définis par la déclaration des Droits de l’Homme de 1789)[3]. John Locke a caractérisé la situation de l’homme libre (freedom) comme celle d’un individu disposant du droit à la vie, à la liberté et à la propriété.
L’égalité s’entendait de l’égalité en droits, tout être humain naissant en dispose, il ne peut y avoir de droits différents d’une personne à l’autre. Elle ne signifie en rien l’égalité en revenus, en patrimoines, en beauté ou en santé. Elle ne peut donc s’assimiler à l’égalitarisme. L’égalité est le fruit de la liberté, elle reflète l’identité de chacun, la diversité des personnes. Elle inclut l’état de droit : pas de règles ni de juridictions différentes pour certains membres de la population.[4]
Quant à la solidarité, elle est devenue valeur publique sous l’influence des idées dominantes en cette fin du 18ème siècle, et notamment de Jean Jacques Rousseau : l’homme est naturellement bon et solidaire, c’est la société qui l’a corrompu, donc la société doit inscrire la solidarité dans le devoir du citoyen, et l’Etat doit y veiller. La collectivisation de la solidarité a entraîné l’Etat Providence et la redistribution, l’idéologie du partage commun. Comme disait Bastiat « « La fraternité ? Les avantages pour moi, les charges pour les autres ». La solidarité publique a tué la solidarité volontaire pour deux raisons : la première c’est qu’à travers la fiscalité elle a réduit les moyens d’aider les autres, la deuxième c’est que la solidarité transformée en droit social rend les gens insensibles aux besoins de leurs proches si bien couverts par l’Etat…
Finalement, une réflexion élémentaire sur la trilogie républicaine ne nous apporte aucune certitude, aucune clarté, sur ce que sont les valeurs républicaines.
La laïcité valeur républicaine majeure ?
Dans le débat public et dans les communiqués des partis, la laïcité passe pour la valeur républicaine majeure. Elle est rejet de la religion, et elle met au pilori les candidats et les élus qui par exemple se réfèrent aux méfaits de l’islamisme. Il n’échappera à personne que le Rassemblement National est visé.
L’importance de la laïcité n’est pas chose nouvelle dans la vie politique française. Elle a dominé le parti radical-socialiste de Combes et Clémenceau et les loges du Grand Orient entre 1880 et 1914. La loi dite de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905, accompagnée par la destruction d’édifices religieux, illustre comment « la République » aurait libéré les Français du totalitarisme religieux. Il est curieux de constater qu’aujourd’hui la laïcité est mise en avant pour dénoncer « l’extrême droite » qui s’attaquerait à la religion musulmane. Le Président Macron a été sur ce point exemplaire : aucun signe de croix, aucune prière – voilà qui tranche avec les « God blesses » de conclusion des discours anglo-saxons.
En réalité beaucoup de Français, et pas seulement les membres et candidats du Rassemblement National sont ulcérés par l’islamisme radical affiché et vécu dans certaines villes et certaines circonscriptions. Le communautarisme coupe des gens habitant en France de la République française. Nier cette réalité au nom de la laïcité est donc un vain prétexte, une accusation gratuite. Il y a d’ailleurs beaucoup à dire sur les liens entre religions et liberté : aux yeux de nombreux philosophes et historiens la chrétienté a été et demeure la religion laissant aux êtres humains le libre arbitre5. Si elle était valeur républicaine, la laïcité devrait s’entendre et être respectée comme la liberté personnelle de choisir et pratiquer la religion de son choix, et aussi bien de rejeter toute religion. L’extrême droite serait-elle par principe anti-laïque, donc anti-républicaine ?
Etre républicain : c’est quoi, c’est qui ?
Il y a quelques aspects assez drôles dans le débat public. Par exemple Eric Ciotti ne serait pas respectueux des valeurs républicaines alors qu’il préside un parti appelé « Les Républicains ». Et quid des membres des « Républicains historiques », comme les sénateurs derrière leur président, comme Laurent Wauquiez que la gauche ne veut pas soutenir, comme François Xavier Bellamy, président actuel de ce qu’il reste du LR sans Ciotti ?
Par comparaison, les membres du FIL, à commencer par Jean Luc Mélenchon lui-même, sont-ils « républicains » quand ils vantent les mérites du Venezuela de Chavez, du Brésil de Lulla, quand ils exaltent le Hamas et les terroristes palestiniens, quand ils s’inscrivent dans la coalition islamo-communiste animée par Poutine, Erdogan, Ali Khamenei. Kim Jong-un et Xi Jing Pin.
Quelle République ?
Je pense encore qu’il n’y a pas seulement confusion sur ce qu’est un Républicain, mais aussi sur la République à laquelle on se réfère. Est-ce la République de 1787 ou celle de 1793 ? Est-ce celle de la liberté et la fin du despotisme, fût-il éclairé, ou la République de la Terreur ? Est-elle celle de Mirabeau et Dumoulin ou celle de Robespierre ? Est-elle celle des Girondins ou celle des Jacobins ? Jean Luc-Mélanchon fait volontiers référence à Robespierre. C’est la République de la Terreur, celle de Fouquier-Tinville : arrêtés en général sur dénonciation pour crimes contre la république, très souvent pour infraction à la loi des maximums (prix fixés par le gouvernement), jugés deux jours plus tard par Fouquier-Tinville, le coupable est guillotiné le jour suivant sous le regard des tricoteuses. Est-ce la république du génocide des Chouans et des crimes de Fouché ?
Est-ce la République de 1848, celle des socialistes utopiques avec Blanqui, Lamartine et les Saint-Simoniens qui porteront Louis Napoléon Bonaparte au deuxième Empire ? Est-ce la République de 1870, avec la Commune, les barricades, la guerre civile ? Est-ce la troisième république des radicaux socialistes, puis du front populaire, république de la démission de Munich et de l’admiration de Lénine puis Staline (comme Edouard Herriot admirateur de l’URSS qu’il a visitée) ?
A travers cette histoire il est réellement difficile de repérer des valeurs républicaines. Républicaines peut-être mais quelle est leur valeur ?
La valeur-utilité
La valeur des valeurs républicaines est qu’elles sont utiles pour éliminer l’adversaire politique, pour le discréditer au nom d’une morale et d’une justice sociale bien sûr incontestables, puisqu’il suffit de répéter le couplet à la fin de chaque verset. Quand on n’a rien de décisif à dire pour attirer le chaland, on en appelle aux valeurs républicaines, devenues le cache-misère et le ciment friable des combinaisons électorales.
Les valeurs républicaines sont utiles pour discréditer l’adversaire, pour culpabiliser les électeurs tentés par l’infâme propagande de l’extrême droite. Reste à savoir si les Français seront décidés à voter pour Emmanuel Macron ou pour le Nouveau Front Populaire au seul prétexte qu’ils respectent les valeurs de la République que piétine le Rassemblement National.
[1] A ne pas confondre avec « l’ordo-libéralisme » (Wilhelm Roëpke) qui donne à l’Etat un pouvoir de police élevé dans beaucoup de domaines, alliance contre nature entre la liberté économique et le despotisme politique.
[2] Les magistrats des juridictions civiles et administratives sont des fonctionnaires, généralement formés par une Ecole Nationale de la Magistrature qui est un haut lieu de la pensée marxiste. Le « Syndicat Autonome » méprise la société libre et a dessiné « le mur des cons ».
[3] Eux-mêmes transposés de la Déclaration des Droits de l’homme adoptée par les Etats Unis en 1776, elle-même inspirée par le Bill of Rights anglais de 1689, et on peut remonter jusqu’en 1215 avec la Magna Carta imposée à Jean Sans terre par les barons anglais (en particulier habeas corpus, pas de condamnation sans jugement)
[4] En fait les juridictions d’exception se sont multipliées en France, avec le Conseil d’Etat les pouvoirs publics échappent au droit commun. Le concept de « service public » inventé par l’école de Bordeaux permet à l’administration de se justifier à bon compte, les gouvernants en profitent pour interpréter ou changer la loi à leur gré. En Grande Bretagne (par exemple) un procès concernant le roi est soumis au juge de droit commun.
[5] Cf. le remarquable ouvrage de Jean Philippe Delsol Civilisation et libre Arbitre, Desclée de Brouwer éd. 2022