« Un désistement n’est pas un ralliement » : cette formule de Gabriel Attal nous projette dans un monde politique nouveau, imaginaire pour l’instant. Mais il fallait bien justifier le mariage de déraison entre « Ensemble pour la République » et le Nouveau Front Populaire.
Il est vrai que le nombre des déraisonnements fait écho au nombre de votants dimanche dernier. Nous écrivons à moins de trois heures de la limite des listes, et il y a 192 désistements, partagés entre 120 pour le NFP et 72 pour Ensemble, différence normale puisque le NFP avait bien plus de candidats qu’Ensemble.
Mais Gabriel Attal précise bien comment la France va être gouvernée après le 7 juillet, et pour un an au minimum. Il y aura une « assemblée plurielle », c’est-à-dire une collection de petits groupes de députés hors du gros contingent du RN, car la gauche va éclater. De la sorte il sera possible de « gouverner différemment » en concluant des alliances pour chaque texte soumis à l’Assemblée : « au cas par cas » dit l’actuel Premier Ministre. Voilà un sacré défi, surtout quand on sait que l’une des grandes échéances parlementaires est celle du budget ! A vrai dire, peu de commentateurs et sans doute très peu de Français peuvent comprendre ce qu’est cette « assemblée plurielle ». Elle n’a qu’un sens et un seul : nous pourrons gouverner nous aussi, il n’y a pas que le Rassemblement National en mesure de pouvoir gouverner. Car, suivant le vote de dimanche prochain, il n’est pas exclu que le nombre des élus NR augmente encore, ou que les LR « historiques » et apparentés aient encore progressé, ou les deux – ce qui permettrait à Jordan Bardella d’être à l’abri d’une motion de censure.
Pour montrer le réalisme de son rêve, Gabriel Attal n’hésite pas à aller jusqu’au mensonge. Il donne un exemple de ce que le défunt gouvernement macronien avait fait pour barrer la route au Front National de l’époque : il avait permis à Renaud Muselier de garder la présidence de la région PACA aux côtés de ses amis Falco et Estrosi, et à Xavier Bertrand la présidence du Nord. C’est évidemment oublier que c’est la gauche qui avait décidé de se retirer[1]… Mais le mensonge illustre cette vieille complicité entre le macronisme et la gauche [2].
Le rêve d’Attal est d’autant plus profond qu’au sein de la famille macronienne l’éclatement est déjà là. Gérald Darmanin va démissionner de son poste de Ministre et ne sera pas réélu à Tourcoing, Bruno Le Maire s’est refusé à une alliance avec la gauche, ce qui a amené Marine Tondelier au bord des larmes et en colère. Et, chez Ensemble pour la République il n’y a plus d’ensemble puisque Horizon d’Edouard Philippe ne se désistera pas pour un candidat LFI alors que Renaissance d’Attal se désistera.
Enfin et non le moindre, les désistements ont un résultat incertain. D’une part les accommodements venus de Paris et des partis ne sont pas très appréciés du corps électoral, d’autre part la personnalité des candidats locaux jouera toujours dans ce deuxième tour et beaucoup de candidats NR ont déjà obtenu près de 45 % des suffrages au premier tour, et il serait surprenant que ce capital s’amoindrisse.
Jordan Bardella a été adroit en rassurant les Français : il respectera le domaine réservé par la Constitution au Président de la République : les affaires étrangères et la diplomatie, même si le Premier Ministre demeure le « chef des armées ». Marine Le Pen, ce matin, craint « un coup d’Etat » d’Emmanuel Macron. Jordan Bardella fait confiance aux Français : pas de consigne de vote pour le deuxième tour. C’est ce qui lui vaudra sans doute une majorité absolue (à quelques voix près), les sondages des prochains jours sont très attendus.
[1] Déclaration de Renaud Muselier le 2 juillet 2021 au moment de sa réélection : « Je veux remercier pour son sens des responsabilités Jean-Laurent Felizia (candidat de l’Union de la gauche et des écologistes qui s’était retiré au lendemain du premier tour des régionales) et il a promis de l’ « associer au gouvernage (sic) de la région, j’en fais le serment solennel ».
[2] Cf. L’article de J. Garello : ” Macron Mélanchon : même combat” , les Français voudront-ils la victoire de la gauche, article du 1 juillet 2024.