Naturellement je me suis précipité à la fin de l’ouvrage, il avait en effet pour titre « Les générations montantes dans la deuxième moitié des années 1960 ». J’étais donc sûr d’être cité, puisque je continuais à Aix en 1963 une carrière d’assistant commencé à Alger en 1957, et j’étais nommé professeur à Aix à titre personnel en 1968 après avoir été agrégé en 1966. J’ai évidemment retrouvé avec plaisir tous ces jeunes économistes, j’ai eu le plaisir et l’honneur de présider leurs thèses (et celle de Jean Yves Naudet en particulier).
Mon ego ayant été satisfait, j’ai pu enfin lire avec attention, puis avec passion, cette histoire qui est pleine de révélations surprenantes. Jean Yves Naudet nous permet tout d’abord de remonter jusqu’à l’origine de la Faculté d’Aix en 1409, à l’initiative du duc d’Anjou, père du fameux Roi René. Premier tourment propre au jacobinisme français : Henri IV se met en tête de créer un « Collège Bourbon » concurrent de la Faculté, sans avoir prévenu quiconque. Mais la Faculté effacera le collège et pour sept siècles s’installera en face de la cathédrale (en 1962 la nouvelle Faculté est créée avenue Schuman (mais des cours sont encore donnés face à la Cathédrale, on parle maintenant du bâtiment Peyresc)
La deuxième révélation est celle des précurseurs :
qui sont les premiers enseignants d’économie à Aix ? Essentiellement des membres de l’Académie d’Aix (nommée ainsi en 1829) qui s’intéressent à l’agriculture, à la médecine, au droit, mais finalement peu à l’économie. Il s’agit entre autres de Gustave Rambot et de Charles de Ribbe. Ce relatif silence sur l’économie est surprenant, alors même que ce sont les économistes français qui développent la science économique : avec Turgot dès 1780 (il dispute la paternité de la science économique avec Adam Smith), puis avec Jean Baptiste Say et Destutt de Tracy, qui enseigneront le reste de la planète à part l’Angleterre acquise aux (mauvaises) idées de Bentham et Ricardo, puis Charles Comte, Charles Dunoyer, enfin l’irremplaçable Frédéric Bastiat et les rédacteurs du « Journal des Economistes » ressuscité à Aix précise Jean Yves Naudet par les Garello et Jean Pierre Centi.
Jean Yves Naudet explique ainsi l’ignorance économique des Français : les Universités françaises n’accueilleront les professeurs d’économie qu’avec retard et parcimonie . L’origine de cette exclusion est la réglementation ministérielle : il faut être agrégé pour devenir professeur dans les universités, et il n’existe pas à l’époque d’agrégation en économie. C’est le « paradoxe français » nous dit Naudet (p.73) « il y a divorce entre la science économique et l’enseignement universitaire ». Il faut attendre un homme de qualité exceptionnelle, membre de l’Académie d’Aix, un grand juriste qui est aussi un très bon économiste Alfred Jourdan, pour enseigner des cours d’économie réellement scientifiques (pp.78-87).
Jean yves Naudet ne manque pas d’évoquer la fameuse rivalité entre Aix et Marseille. Les Marseillais ne eulent pas laisser l’enseignement du droit et de l’économie à Aix, ils veulent créer des Facultés libres. Ils n’y réussissent pas vraiment, même si à certains moments les universitaires aixois portent secours à leurs collègues juristes et économistes de Marseille. Il restera sans doute un grand nom de juriste marseillais : Francis Ripert, civiliste, maître incontesté du droit des obligations, d’ailleurs député des Bouches du Rhône jusqu’en 1949.
Vous prendrez un grand plaisir à lire l’ouvrage de Jean Yves Naudet, non seulement à cause de ce riche travail d’historien et d’économiste, mais aussi grâce à la clarté et l’élégance de son écriture. Jean Yves Naudet est un pédagogue exceptionnel. Après avoir enseigné les grands amphithéâtres de la Faculté de Droit, les cours d’éthique économique en doctorat d’analyse des institutions, après avoir organisé de somptueux séminaires annuels sur Ethique et Economie (dans le cadre du Centre de Recherches en Ethique Economique et des Affaires et Déontologie professionnelle qu’il a créé), après avoir animé la formation économique dans nombre d’entreprises industrielles françaises, Jean Yves Naudet nous fait partager sa passion pour la science économique, il a toujours marié savoir académique et valeurs morales et spirituelles.