On pouvait craindre le pire : des avions pour Zelinski, la remise en cause de la Sécurité Sociale, la libération des prix et des salaires, la suppression des grèves, la capitalisation. Nous voilà rassurés après la prestation d’Emmanuel Macron au cours du Journal télévisé de la 1ère chaîne ce lundi à 20 heures : rien de tout cela. Pourtant Gilles Bouleau avait annoncé qu’on allait voir ce qu’on allait voir : les impôts allaient baisser pour les classes moyennes. D’ailleurs, tout au long de cette interview le pilier du JT a eu le courage de harceler le Président avec quelques-uns des fleurons de la pensée unique : l’inégalité entre les assistés et les autres, l’inflation alimentaire, les profits des grandes surfaces, les milliards des sociétés du CAC 40, et autres thèmes qui alimentent les réseaux sociaux mais aussi la plupart des médias.
Ce qui ne change pas, c’est la position de la France vis-à-vis de l’Ukraine : on a donné des AMX, des César, on va donner des missiles, de la formation aux pilotes, mais pas d’avion. On aide les Ukrainiens à se défendre pour déboucher sur une paix conforme aux intérêts de Kiev, mais on ne fait pas la guerre aux Russes, donc interdiction de pénétrer sur le territoire russe (évidemment le Donbass et la Crimée). : « toujours la même ligne » dit le Président.
Ce qui ne change pas, c’est la politique économique et sociale menée avec succès depuis 6 ans : diminution du chômage, attrait des investissements étrangers et relations plus étroites avec les grands patrons du monde entier reçus sous les ors de Versailles (dont Elon Musk, patron de Tesla, premier fabricant de voitures électriques au monde). « Choose France » puisqu’il n’y a plus de grève chez nous (dans le secteur privé s’entend), et il ne faut pas tenir compte des excès d’une minorité : l’ordre règne en France. On se demande bien comment la France a pu être déclassée : nous sommes dans la bonne voie et la fin de la désindustrialisation est proche, « même si nous ne créons que 33 emplois » en moyenne dans les établissements créés par les investissements étrangers (la faute bien sur à ce que nous sommes partis de très bas, et que nous avons subi Covid et guerre).
Ce qui ne change pas, c’est l’Etat providence. Ici se place le couplet émouvant sur les assistés et les autres. La définition de la classe moyenne que le Président a fait prévaloir est remarquable : ce sont des Français qui touchent entre 1.500 et 2.500 € nets par mois. Jusqu’à 1.500 € on relève de la Sécurité Sociale à travers les RSA, les APL, les chèques énergie, etc. mais au-delà on n’a plus droit à rien. Voilà donc une Sécurité Sociale qui crée des inégalités alors qu’elle a un objectif inverse. Et le Président fait écho aux complaintes du journaliste en évoquant les mères célibataires : quand on ne vit pas en ménage on ne peut cumuler deux revenus, alors même que l’inflation diminue le pouvoir d’achat. Alors que faire ? L’Etat va multiplier les crèches et les logements, et il va donner l’exemple en diminuer les cotisations salariales mais aussi encourager les entreprises en réduisant les impôts sur leurs profits et leurs capitaux. Il va aussi demander aux entreprises de mieux répartir la valeur, en clair en augmentant les salaires. Emmanuel Macron est confiant sur le comportement des patrons, d’abord parce qu’il croit à la participation et à l’intéressement (dans la ligne gaulliste et sociale-démocrate) ; ensuite parce qu’il ne manque pas de patrons généreux en France, ils accepteront les hausses de salaires, et les primes données aux salariés seront un pactole pour eux.
Ce qui ne change pas, c’est justement l’administration des prix et des salaires par l’Etat. L’Etat se doit de limiter les marges des distributeurs, qui eux-mêmes accusent les industriels de l’alimentation, donc les hausses de prix sont contrôlées ainsi que la fraude fiscale et sociale. Il est inutile d’évoquer la loi de l’offre et de la demande, qui peut croire que libre marché serait capable d’améliorer le niveau de vie par le seul effet de la concurrence et le jeu des signaux des prix et profits libres ? Les décrets du pouvoir visent assurément à l’équilibre et à la justice. D’ailleurs, concernant les salaires, Emmanuel Macron estime que c’est aussi et surtout le rôle des « partenaires sociaux » de les négocier. Tant pis s’ils ne sont pas assez élevés, mais l’Etat a augmenté le SMIC (mais en termes réels ce n’est pas tout à fait exact). Pour régler les salaires, la solution est donc « de se mettre autour de la table » : c’est bien la potion magique, elle a déjà fait ses preuves.
Ce qui ne change pas, c’est le blocage total du marché du travail, puisque la main d’œuvre manque dans beaucoup de secteurs (BTP et restauration). L’Etat va y remédier en relançant la formation professionnelle. Cela doit suffire, bien que le million et demi de jeunes en formation (autant de chômeurs A en moins) n’est pas porté vers les offres d’emplois proposées. Le salaire demeure établi par les négociations collectives, ajustées par les primes que l’Etat va exonérer d’impôts.
Ce qui ne change pas, c’est la nécessité de relever l’âge de la retraite, il faut que les Français travaillent plus longtemps pour équilibrer le système par répartition, nous ne pouvons pas sacrifier les jeunes générations, mais nous pouvons demander aux seniors de travailler plus longtemps, comme à l’étranger. D’ailleurs pourquoi certains députés appartenant à un parti qui avait choisi la retraite à 65 ans ont-ils refusé de voter la retraite à 64 ans ? Emmanuel Macron, un instant politicien, rappelle que le 49/ 3 a été utilisé sans cesse pour des réformes importantes et qu’il n’a pas empêché le Parlement de voter puisque la question de confiance a été posée.
Finalement « dans ce quinquennat » la politique sociale du gouvernement (de Madame Borne sans doute) sera claire :
Plein emploi + hausse des salaires + Primes + Intéressement + Dialogue Social Tout cela relève d’une innovation saisissante, c’est ce qui va assurer la justice sociale, même au prix d’un sacrifice fiscal de 4 milliards pour l’Etat, qui ne peut pas en donner davantage car il est en train de réduire le déficit et de rembourser la dette, comme nous le savons tous.
La pertinence de cet immobilisme, légitimé par l’autosatisfaction massive et l’incohérence globale, a été cependant présentée avec sérénité et sans mépris. En effet Gilles Bouleau a demandé au Président ce qu’il pensait de tous ceux qui le jugent « méprisant ». Le Président a répondu que « le vrai mépris c’est de mentir » : les menteurs sont les gens de l’opposition. Et Emmanuel Macron de rappeler qu’il n’a de cesse de rencontrer les Français. Il ne les méprise pas, il ne ment pas.
Certes, mais il ne change pas.