Laissez moi vous narrer un petit morceau d’histoire, au demeurant très personnel, en nous transportant en l’année 1973.
La Présidence de Georges Pompidou a été marquée du sceau de la rupture avec les mauvaises habitudes prises sous les 4ème et 5ème Républiques : centralisation, bureaucratie, désordres. Il était temps de « cesser d’emmerder les Français ». Il n’allait pas dans le sens du socialisme et il avait cherché (en vain) à dissuader Chaban Delmas de lancer l’idée de la « nouvelle société ».
L’enseignant savait que l’Université était mal en point après la loi Edgar Faure, prise au lendemain des barricades de 1968 : des universités avaient été créées dans des villes sans tradition ni personnel, immédiatement récupérées par des intellectuels de gauche. Les grandes universités elles-mêmes avaient gravement souffert du système autogestionnaire introduit par la loi. Les Conseils de Faculté étaient devenus des soviets, les grèves d’étudiants se multipliaient, les tags et la drogue faisaient leur apparition. D’ailleurs l’Université a pris une importance qu’elle n’avait pas auparavant, les Facultés perdaient leur autonomie, elles devaient se fondre dans des corps d’enseignement supérieur artificiels, hétéroclites et politisés.
La situation était devenue explosive dans les universités d’Aix Marseille. Lorsque la nouvelle carte universitaire a été dessinée, un partage politique avait été imaginé : une université rouge laissée à la gauche (Lettres+Sciences) et une université blanche abandonnée à la droite (Médecine+Droit). Mais il s’est trouvé d’une part que tous les enseignants de l’Université 1 n’étaient pas de gauche, d’autre part que le Président de U2 le professeur Gastaud (au demeurant brillant neurologue, l’un des inventeurs de l’Electroencephalogramme) doyen de la Faculté de Médecine n’a pas voulu laisser (comme prévu) la présidence d’U2 au doyen de la Faculté de Droit Charles Debbasch et a préféré mettre à la tête de « son » université le vice-doyen, directeur d’une toute petite unité à Luminy (quartier de Marseille) dont les opinions et les initiatives le classaient à l’extrême gauche (les professeurs de médecine n’avaient cure de l‘université, ils ne s’intéressaient qu’à leurs hôpitaux et à leur propre faculté de médecine, récemment grossie en 1968 d’une faculté de pharmacie et d’une faculté d’odontologie).
Professeur d’Economie (agrégé en 1966) j’ai organisé avec quelques collègues un syndicat autonome composé de tous les mécontents des deux universités, multipliant les manifestations, les articles dans la presse locale, et allant même jusqu’à l’occupation du rectorat en octobre 1973. Naturellement Charles Debbasch était à nos côtés, et il était déjà célèbre (plus jeune agrégé de droit public de tous les temps).
Mais c’est bien au cabinet de Georges Pompidou que l’on commencera à songer à la création d’U3. Le nouveau conseiller du Président pour l’Université était Mr Léoutre, venu récemment d’Auch où il dirigeait le lycée (le plus jeune proviseur de France). Enfin une dernier carte en faveur d’U3 était le Marseillais Joseph Comiti, alors ministre et porte-parole du gouvernement Messmer. On n’oubliera pas non plus que Georges Pompidou avait été professeur à Marseille au lycée Saint Charles de 1935 à 1938…
Il ne fait pas de doute que la création d’U3 a été facilitée par l’unanimité des enseignants juristes, économistes (U2 Aix), historiens et littéraires (U1 Aix), Scientifiques (U2 Marseille St Jérôme) mais aussi par le total engagement des jeunes assistants et des étudiants. A Aix en 1968 la Faculté de Droit n’avait pas connu de révolution ni de grève et les examens s’étaient passés sans aucun changement par rapport aux années précédentes. En poste provisoire de professeur à Nice en 1968, j’avais pu témoigner de la différence, le doyen Trottabas, fondateur de l’Université ami de Chagall, mis en minorité par ses honteux collègues joints aux étudiants « conseillers » de l’Université, et les examens supprimés ou caricaturés.
Néanmoins, le Président Pompidou hésitait dans la décision à prendre. D’un côté il était désireux de donner satisfaction aux enseignants et étudiants « réfractaires », mais d’un autre côté il craignait le désordre d’une révision généralisée dans les jeunes universités créées en 1970, d’autant que l’opposition de gauche était naturellement en faveur de la révolution permanente. Par bonheur il s’est trouvé que le scénario Aix-Marseille s’est reproduit à Lyon, de sorte que l’Elysée a pu décider en même temps les deux créations : U3 et Lyon 3.
La création de U3 aura un grand écho politique. La gauche est en train de se réunir, le Programme Commun socialiste et communiste est déjà envisagé. La Marseillaise titre « Une Université musclée au service du Patronat », les étudiants de la Faculté des Lettres tentent d’envahir U3, mais sans y réussir, la barrière créée en 1968 par Michel-Henry Fabre tient bon.
L’élan de U3 ne se démentira jamais jusqu’en 2012. En économie la création d’U3 divisera les enseignants entre ceux (de gauche) de la Faculté de Sciences Economiques et ceux qui vont créer la Faculté d’Economie Appliquée qui va très vite prévaloir sur la précédente et devenir un centre mondial du libéralisme classique avec son Université d’Eté : bienfait de la concurrence, puisque les étudiants avaient le droit de passer d’une faculté à l’autre sans dommage. Il est vrai qu’elle disparaîtra en 2012 quand Madame Pécresse se mettra en tête de fusionner les trois Universités en instaurant la bureaucratie, le désordre et la désunion. Dès 1974 un jeune professeur agrégé choisira le poste que nous avions mis au concours, il s’appelait Gérard Bramoullé, je suis fier d’en avoir fait dès son arrivée le plus jeune doyen que la France ait jamais connu. Gérard Bramoullé entrera en politique quelques années plus tard aux côtés de Maryse Joissains, A partir de 1998 il sera premier adjoint de la mairie, en charge des finances, il diminuera les impôts locaux et contribuera au développement harmonieux de sa ville. Il était premier Vive-Président de la Métropole Aix-Marseille qu’il détestait. Il a déclaré son entier soutien à Nouvelle Energie dès la création du parti, et c’est notre ami Gruvel, conseiller municipal, qui a été chargé par Gérard Bramoullé de prendre des responsabilités dans NE.
Il faut remercier le Président Pompidou pour avoir permis de créer une si belle université, qui s’est illustrée par son rayonnement mondial avec son Université d’Eté (que j’ai organisée avec mon équipe de Nouveaux Economistes pendant 35 ans), mais aussi par la gestion et la tenue d’un service public de grande qualité, enraciné dans la Provence traditionnelle, en harmonie avec une capitale de la culture, de la peinture et de la musique nommée Aix en Provence.