Certains téléspectateurs de l’émission du Jour du Seigneur dimanche dernier 15 janvier ont dû avoir un choc après avoir entendu la messe dominicale, quand a été diffusée la rapide mais très dense interview de Madame Rania Berrada dans le cadre de la « Parole inattendue[1] »
Qui est-elle ? Une journaliste franco-marocaine dont le livre « Najat ou la survie » est salué le même jour par un article dithyrambique du Monde[2].
Que dit-elle ? En quelque deux minutes elle a le temps de persuader les téléspectateurs du jour du Seigneur
- qu’ils devraient lire le rapport du GIEC qui prévoit une catastrophe certaine et irréversible ? D’ailleurs tous les rapports concordent.
- qu’il faut militer et pratiquer la désobéissance civile : ça passe par des opérations coups de poing, elles sont nécessaires pour alerter l’opinion publique et les politiques
- qu’il faut faire corps et se retrouver et lutter ensemble, il y a des gens qui nous comprennent, même si ce n’est pas politiquement correct.
Je ne sais pas si tous les téléspectateurs auront compris le message, mais il ne manquait pas de clarté. Peut-être certains d’entre eux ont-ils déjà accompagné David Milliat[3], responsable de ces ballades mais aussi d’entretiens avant la messe dominicale. Le journaliste a multiplié des ballades d’écologistes radicaux : le dirigeant d’Extension Rébellion XR, ou encore un jeune polytechnicien, président du collectif « Pour un réveil écologique » qui explique que le consumérisme et la rentabilité des grandes sociétés sont à proscrire si l’on veut garder sa personnalité, ne serait-ce que « sous l’influence des gens qu’on côtoie » : « le système change mon intérieur ». Donc il faut « un changement systémique », il faut « oublier les intérêts économiques et choisir le bien commun ».
Il faut savoir que tous ces écologiques radicaux sont rattachés à la nouvelle internationale anticapitaliste Extinction Rébellion, on dit encore XL, parce qu’en anglais le X est pour « extinction » et le R pour «rebellion ». Précisément ce mouvement, aujourd’hui mondial, a été créé en Angleterre en 2018[4]. Il proteste contre l’extinction d’espèces vivantes et végétales et il unit des militants qui décident de se rebeller contre cette atteinte à la nature et à la terre.
La rébellion prend la forme de désobéissance civile, mais sans violence – dit-on. En effet en Angleterre les écologistes ont empêché l’extension de l’aéroport d’Heathrow en occupant les pistes, ils ont bloqué les ponts sur la Tamise. En France ils ont cerné et paralysé la Bourse, ils ont bloqué le périphérique et fait plusieurs sittings[5]. Voilà les « coups de poing » qu’évoquait Rania Barrada, qui évidemment fait partie de XR, tout comme les autres écologistes radicaux et évidemment comme Greta Thurnberg, star mondiale de l’écologie radicale et punitive. Si l’on en croit Rania Berrada nous devons nous attendre à quelques offensives dans les prochaines semaines, l’occasion des nombreux désordres dans le pays y est propice ; d’ailleurs XR a très souvent « accompagné » les gilets jaunes en leur temps – évidemment on ne peut jamais les soupçonner de quelque casse ou de quelque affrontement avec la police puisqu’ils sont en désobéissance civile certes, mais toujours non-violents (les « coups de poing » ne seraient qu’une image commode).
Mais pourquoi cette propagande active des écologistes radicaux dans les émissions du Jour du Seigneur ? Peut-être les opinions politiques de David Milliat y seraient-elles pour quelque chose. Peut-être l’émission du Jour du Seigneur est-elle trop tolérante. Je ne le crois pas : il s’agit d’une belle réussite œcuménique accueillant bouddhistes, musulmans, juifs, orthodoxes, protestants et catholiques. Symbole de la liberté religieuse, on n’imagine pas qu’elle veuille aussi accueillir la nouvelle religion écologique ni la religion laïque qui est de plus en plus radicale, elle aussi.
En fait Rania Berrada nous donne la réponse, dès le début de son interview : Dieu nous a donné la terre, qu’en avons-nous fait ?
Ici l’affaire devient sérieuse, et je me fais un devoir de l’explorer. C’est en effet au nom du Dieu créateur que beaucoup d’écologistes, croyants des religions monothéistes, professent aussi la religion écologiste. De façon plus précise, s’agissant des catholiques, le message du Pape François, dans son Encyclique Laudato si s’inspire d’une des deux versions de la Genèse concernant les relations entre l’être humain et la nature : celle de l’égalité entre toutes les espèces de la création. L’autre version, plus traditionnelle, est celle qui confie aux êtres humains la maîtrise de la nature : « Dominez la terre ». Le débat est ouvert depuis des siècles entre les deux versions[6]. Il a été sans doute clos par la constitution pastorale Gaudium et Spes qui a déclaré « L’homme est la seule créature que Dieu a voulu créer pour elle-même ». Dans la création, jour après jour, il y a un ordre croissant, et chaque ordre est créé pour préparer la création ultime : l’être humain. L’homme donne tout son sens à la création, elle a été faite « pour lui-même ». Que l’homme ait à entretenir la nature au lieu de la piller, cela va de soi, il est doté de raison ; son effort consistera au contraire à exploiter au mieux la nature, à la transformer. Finalement l’homme est la ressource ultime, capable de gérer, voire de créer les ressources naturelles[7]
Mais les écologistes radicaux vont bien au-delà de l’interprétation de la volonté divine en faisant aussi référence à la catastrophe climatique annoncée par le GIEC et à la politique de décarbonation. La religion de la peur serait-elle aussi d’origine divine ? En tout cas, elle bénéficie des faveurs de la pensée unique et inspire les gouvernements du monde entier avec les COP successifs. A ma connaissance Dieu ne s’est pas prononcé sur les tâches solaires. Mais les écologistes veulent là encore introduire une lutte des classes : entre les hommes dominateurs et la nature qu’ils ont exploitée. Avec la révolution industrielle et le capitalisme la nature a été sacrifiée, l’homme a surconsommé pour sa jouissance égoïste, sans penser au futur. Donc on voit apparaître une philosophie de l’homme déchu, à laquelle les Français post-modernes (Deleuze, Derrida, Althusser, etc.) ont puissamment contribué.
Je peux me demander en conclusion si la Journée du Seigneur a bien tenu compte de la sixième journée de la Genèse : celle qui a couronné l’œuvre de Dieu par la création de l’homme[8].
[1] Encore baptisée « Ballade inattendue » puisque l’interview est donnée dans un taxi qui roule pendant environ deux minutes.
[2] Article de Kidi Bebey dans Le Monde du 15 janvier 2023 « Une jeune femme diplômée mais sans travail ni époux […] Eminemment féministe le roman de Radia Berrada exprime très justement l’accablement secret de millions de femmes du Maghreb » Najat ou la survie Belfond éd.2023
[3] Auteur de « J’ai décidé de vivre » (Mon poche, éd 2020) « Itinéraire d’un orphelin devenu présentateur télé »
Son autobiographie relate son premier parcours, son mariage et son divorce puis sa découverte de Dieu.
[4] En réalité en 2016 par les écologistes de Rising up !
[5] On leur attribue même le sabotage de plusieurs câbles de téléphérique dans plusieurs stations de ski, mais XR a démenti pour l’instant.
[6] Pour ce débat, on se reportera utilement à l’ouvrage de Jean Yves Naudet Dominez la terre. Pour une économie au service de la personne, Fleurus, éd.1989.
[7] Julian Simon The Ultimate Ressource, 1981 L’homme notre dernière chance, Babelio éd. Paris 1985
[8] Voir sur ce site parmi les Fondamentaux mon article Le libéralisme est un humanisme, 30 septembre 2022