Il est paradoxal que ce soient des intellectuels français qui aient grandement diffusé les idées de la liberté dès le 18ème siècle et qu’ils n’aient été à aucun moment enseignés dans les grandes écoles et universités françaises[1]. Montesquieu, Condillac, Turgot, Say, Destutt de Tracy, Constant, Charles Comte, Dunoyer, Tocqueville, Bastiat, Leroy Beaulieu : qui les connaît en France aujourd’hui? Ils ont pourtant inspiré le libéralisme dans tous les pays, au même titre que John Locke, David Hume, Adam Smith, Thomas Penn, Alexander Hamilton, James Madison, Alexander von Humboldt, Pellegrino Rossi, Gustave de Molinari, Carl Menger, etc.
L’Etat contrôle l’enseignement supérieur
Le paradoxe s’explique simplement : les grandes écoles et les universités ont été prises en charge par l’Etat français, et n’ont que très rarement connu le libéralisme. Voilà une nouvelle rançon de l’étatisme : le dirigisme intellectuel. Napoléon s’est illustré avec l’école (la même dictée à la même heure partout en France). Mais de 1802 à nos jours l’enseignement économique n’a jamais été libre, ni libéral.
Le cas des grandes écoles est significatif. Polytechnique a été intellectuellement influencée par Auguste Comte, Sismondi, puis les Saint Simoniens : l’élite du pays doit participer à la construction d’une société scientifiquement organisée (« présomption fatale » dit Hayek). La science économique dite classique au 19ème siècle est celle de Ricardo, elle conduit à Marx avec l’idée de rente et la critique de la propriété privée qui serait source d’inégalités et d’injustices sociales. Des ingénieurs sont bien capables de fabriquer autre chose. Les écoles normales sont très vite pénétrées par les idées marxistes, la rue d’Ulm devient le foyer des communistes, puis des post-modernes (Althusser, Derrida, Foucault, Deleuze, etc.) ? L’Ecole Libre de Sciences politiques fondée en 1872 avait une solide réputation libérale, Jacques Rueff s’y est beaucoup investi (comme étudiant, puis comme professeur de 1936 à 1939). Malheureusement en 1945 le Général de Gaulle demande à Michel Debré de revoir la formation des cadres administratifs de haut niveau et l’Ecole Libre disparaît pour devenir « Science Po », dont la mission est de préparer l’entrée à l’Ecole Nationale d’Administration créée en même temps. L’énarchie s’est donc installée en France, elle ne va pas dans le sens de la liberté, mais dans celui du dirigisme, de la planification, de l’extension et de la subvention des services publics, donc des dépenses publiques. Il existe cependant quelques îlots d’enseignement supérieur libre, notamment dans le domaine de la gestion, mais je ne sais pas si on y enseigne les théories de l’école autrichienne ![2]
De toutes façons la France vit encore sous le régime du « monopole de la collation des grades », ce qui signifie que les titres de bachelier, licencié, maître, docteur et professeur ne peuvent être obtenus que par des diplômes nationaux ou des équivalences – même si le monopole a été écorné par les accords de Bologne passés aujourd’hui entre 50 pays européens et par les programmes Erasmus.
Mais l’important n’est pas là. Il tient essentiellement à la façon dont l’enseignement de l’économie a été introduit dans les universités françaises. L’affaire a commencé lorsque les Facultés de Droit ont été réorganisées ay début de la 3ème République. Il a été question de trouver des économistes pour initier les étudiants, mais l’Etat a exigé que ces enseignants soient agrégés des facultés de droit. Cela n’était pas le cas de ceux qui écrivaient régulièrement dans le Journal des Economistes qui faisait pourtant autorité en la matière, donc ils n’ont pas eu accès à l’université. Ce sont finalement les agrégés de droit public qui ont rempli la mission. La tension a été extrême entre ces juristes ignorant tout de la science économiste et les économistes du Journal. Il a fallu attendre un aixois, le professeur Jourdan, pour se rapprocher des économistes, déplorer leur exclusion, et commencer à diffuser les idées du libre échange et de la libre entreprise[3]. Mais il était bien le seul, et les juristes ont évidemment orienté leurs cours vers ce qu’ils connaissaient : la réglementation fiscale et sociale – hauts lieux du libéralisme. Rien d’étonnant que ce soit des Facultés de droit que va sortir dans les années 1930 « l’école des services publics » avec Duguit, et Jèze ou « l’école de la puissance publique » avec Hauriou, tous partisans de la création d’entreprises publiques à caractère économique et social : des administrations qui se substituent à des entreprises privées et marchandes.
[1] J’ai eu le privilège d’être assistant, puis chargé de cours, puis professeur entre 1957 et 1966, jusqu’à une retraite en 2001.
[2] Mais Hayek doir partager lke Proix Nobel avec Gunnar Myrdal, qui prône la planification et le protecionnisme pour accélérer le développement des pays du Tiers Monde !
Ces questions sont simples, et la réponse aussi : n’importe qui peut se trouver sur un plateau de télévision et se présenter comme « économiste ». N’importe qui peut écrire dans des journaux et magazines pour donner son avis professionnel sur l’économie, surtout s’il est hostile au marché et à la mondialisation, favorable à la redistribution et à la transition énergétique. Et je n’évoque pas ce qui se dit et ce qui se lit sur les « réseaux sociaux ». Bref : si les Français sont ignorants en économie et n’en sont pas conscients, c’est tout bon pour l’élite au pouvoir, elle dispense les citoyens de réfléchir, ainsi fonctionnait l’URSS.
[1] Cf. Aux sources du libéralisme français ouvrage collectif sous la direction d’Alain Madelin Perrin, éd.1997l
Il est vrai que l’Espagne a été le premier foyer du libéralisme avec les Scolastiques de l’école de Salamanque. Leur influence sur Turgot en articulier a été rappelé par J.Huerta de Soto
[2] J’ai la fierté d’avoir appartenu à la faculté d’Economie Appliquée et au Centre d’Analyse de l’Université Paul Cézanne à Aix en Provence. C’est dans cette Université qu’ont été diffusées pour la première fois en France les théories de l’école autrichienne. J’ai personnellement créé un DES d’analyse économique des institutions, une première en France Madame Pécresse a eu la bonne idée de supprimer et l’Université et notre Centre.
[3] Cf. L’ouvrage du Pr Jean Yves Naudet Une brève histoire des économistes aixois, PUAM (Presses universitaires d’Aix-Marseille), 2022. Le compte rendu de cet ouvrage etle passage sur Alfred Jourdan ont été donnés dans Le Journal des Libertés, 3ème trimestre 2022
Des diplômes et des professeurs d’Université
La science économique ne reparaîtra dans les universités avec de vrais économistes qu’à la fin des années 1960. Après avoir été un cours obligatoire en première année, puis en deuxième année, « l’économie politique » (sic) devient une option de la licence en droit à partir de la licence (3ème année), puis une licence en science économique sera enfin créée en 1959.[1]La qualité des cours d’économie en université a-t-elle été améliorée pour autant ? Certainement pas. Les premiers agrégés dans ce qui devient la 4ème section (ajoutée donc à droit privé, histoire du droit, droit public) sont très peu nombreux, il y a moins de dix postes une fois tous les deux ans (pratiquement jamais de réussite au premier concours, Raymond Barre dernier reçu est le 5ème agrégé du concours de 1950). Les premiers grands manuels d’économie à usage des étudiants sont de simples traductions d’auteurs de langue anglaise et notamment de Joan Robinson, économiste socialiste de gauche, Keynes est à la mode, la macro-économie fait son entrée avec la comptabilité nationale, avec les CES (Catégories Economiques et Sociales chères aux sociologues) et bientôt avec la modélisation mathématique. Les influences libérales américaines (Friedman, Chicago et les monétaristes) ne se font sentir au niveau du concours que tout au début des années 1960. Jusqu’en 1968 les jurys sont à peu près politiquement neutres, il n’y a pas assurément de dominante libérale, mis à part quelques Français ayant étudié en Angleterre ou aux Etats Unis (Tabatoni par exemple). Les choses vont dramatiquement changer à partir de 1968, les résultats d’un concours organisé au moment des barricades parisiennes sont critiqués à cause de l’échec de quelques candidats socialistes de poids. Il va falloir rattraper rapidement cette bavure, et avoir un concours en 1969 plus conforme à la nouvelle science en gestation. Le choix est fait du président le professeur Jan Marczewski, qui précise dans son rapport « la nécessité de faire entrer au jury des spécialistes de certaines disciplines encore peu pratiquées par les professeurs de nos facultés (ex.la planification, les mathématiques appliquées à l’économie, la technique des graphes, l’économie spatiale, la gestion des entreprises, etc…) » Voilà qui fleure bon le libéralisme. C’est à partir de cette inflexion du concours que des économistes initiés à la macro-économie, à la comptabilité nationale, aux modèles économétriques vont avoir toutes leurs chances. Il faut dire que cette dérive de la science économique n’est pas spécifique à la France : la même année 1969 le premier prix Nobel d’Economie est partagé entre Ragnar Frisch et Jan Tinbergen, tous deux mathématiciens spécialistes des « modèles dynamiques » et le second sera Paul Samuelson, admirateur de la croissance en URSS. C’est dire que l’enseignement de l’économie sera sclérosé alors que dans la décennie suivante les néo-classiques de Chicago et les autrichiens libéraux (1974 Hayek prix Nobel)[2] domineront la science économique mondiale, et leurs conseils permettront de mettre fin aux échecs socialistes, keynésiens et planificateurs, et de valoir une croissance mondiale ininterrompue jusqu’à la fin du siècle dans les pays libres, tandis que l’URSS disparaissait.
Ce revirement ne va pas tout à fait concerner la France, c’est largement la macro-économie dirigiste et planiste qui domine dans les concours et dans les cours. Le seul jury d’apparence libérale (mais qui n’était pas composé que de libéraux), celui de Pascal Salin en 2004, est l’objet d’une campagne de presse éhontée : «OPA ultra-libérale sur l’agrégation d’économie » (Libération) « Des universitaires jugent le jury de l’agrégation d’économie trop libéral et peu compétent. Six sous-admissibles au concours sur 40 auraient un profil très proche de certains de ses membres » (Le Monde). Il y a en effet un lien étroit entre libéralisme et incompétence, et 6 admissibles libéraux sur 40 est en effet peu ordinaire, les jurys de gauche font du 80 %.
Manuels scolaires : propagande et pensée unique
Que dire enfin de l’enseignement de l’économie dans les collèges et lycées ? Nous sommes ici dans la pure propagande marxiste : procès de la colonisation, exploitation des pays pauvres, impérialisme américain, travailleurs exploités, société de consommation, société d’aliénation, inégalités croissantes, profits scandaleux, partage de la valeur arbitraire, etc. L’étude des manuels scolaires, tous éditeurs confondus, et avec les dessins appropriés (Wolinski a donné l’élan) a été faite à plusieurs reprises, et la radicalisation est croissante.
De plus Alternative Economique, mensuel d’information pour les étudiants, tire à un million d’exemplaires par an et « alter Eco » est souvent distribué gratuitement dans certains lycées ou universités. Une substantielle subvention de l’Etat permet quelques largesses comptables. Les options politiques ne sont pas cachées : à la gauche de la gauche, Alter Eco soutient NUPES, et prône une « économie sociale et solidaire » seule alternative à l’économie de marché. Sa rédaction est faite de très jeunes journalistes, qui peuvent passer pour extrémistes par rapport au journaliste moyen français, déjà formaté contre le capitalisme et la mondialisation dans les deux écoles de journalisme majeures (Lille et Paris). Mais le journalisme est-il un enseignement ? Je peux poser la même question pour la classe politique : un élu ou un candidat est-il un enseignant ?
[1] J’ai eu le privilège d’être assistant, puis chargé de cours, puis professeur entre 1957 et 1966, jusqu’à une retraite en 2001.
[2] Mais Hayek doir partager lke Proix Nobel avec Gunnar Myrdal, qui prône la planification et le protecionnisme pour accélérer le développement des pays du Tiers Monde !
[4] J’ai eu le privilège d’être assistant, puis chargé de cours, puis professeur entre 1957 et 1966, jusqu’à une retraite en 2001.
[5] Mais Hayek doir partager lke Proix Nobel avec Gunnar Myrdal, qui prône la planification et le protecionnisme pour accélérer le développement des pays du Tiers Monde !