J’avais vu dans la nomination de Gabriel Attal un point positif – peut-être le seul : priorité allait être donnée à l’école[1]. D’ailleurs le Premier Ministre a transporté à Matignon toute l’équipe qu’il avait eue rue de Grenelle en qualité de ministre. Certes il y avait bien Amélia Oudéa-Castéra nommée Ministre de l’Education Nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux Olympiques, mais elle était surtout recrutée pour ses qualités de sportive (plusieurs titres de tennis et présidente de la FFLT, Fédération Française de Lawn Tennis). Elle avait cependant beaucoup à apprendre du monde politique : « elle maîtrise mal le monde médiatique ».
Et voilà donc qu’elle a provoqué une polémique dont l’issue ne pouvait être que fatale.
Valeurs de la famille ou valeurs de la République
Je vous rappelle la chronologie : vendredi dernier il lui est demandé pourquoi elle a inscrit ses trois fils au lycée Stanislas, établissement privé et catholique bien connu. Elle répond : nous en avions marre des absences répétées d’enseignants, jamais remplacés.
Peut-être a-t-elle pris son assurance grâce à la présence dans sa vie de Frédéric Oudéa, directeur de la Société Générale à Paris[2] et Président du groupe pharmaceutique Sanofi depuis février dernier. Toujours est-il qu’elle dit sans ménagement ce qu’elle pense du lycée public de la rue Litré (Paris 6ème ) : les études des enfants sont compromises.
Pour l’instant, restons en là. Qu’avait-elle dit de sensationnel ? Que pour elle les valeurs de la famille passent avant les valeurs de la République. Mais la liste des ministres de l’Education Nationale qui ont mis leurs enfants dans des écoles privées est très longue, elle va de Chevènement à Pap Ndaye , en passant notamment par Bayrou, Fillon, Luc Ferry, Blanquer. De grands leaders syndicaux, y compris de la CGT, ont mis leurs enfants dans le privé, et le nombre de personnalités politiques passés par des écoles privées est impressionnant (Emmanuel Macron lui-même a été élève des Jésuites). Quand l’école de la République est en échec rien de surprenant à ce que les parents prennent leurs dispositions.
Le terrorisme idéologique tue la liberté d’expression
Mais voilà que dans l’après-midi de Samedi la Ministre adresse à l’Agence Française de Presse un communiqué pour s’excuser auprès des enseignants de l’école publique qui auraient pu être « blessés » par ses propos, et pour préciser qu’elle porte tous ses efforts « aux côtés de l’école publique et de ses professeurs ». Elle « rattrape le coup », comme on l’a dit. La porte-parole du Gouvernement Prisca Thevenot en rajoute une couche avec un argument très sophistiqué : la ministre a fait un constat mais ce n’est pas blâmable puisqu’elle va agir pour apporter des solutions. Même son de cloche chez le Premier Ministre : « il faut nous juger sur nos actes », parce que « l’école est notre priorité absolue, nous agissons pour l’école de la République et la communauté éducative ».
Pourquoi ces excuses ? Simplement parce tout de suite, dès vendredi après-midi, la gauche et les syndicats ont déclenché un feu nourri contre les propos de la Ministre.Sophie Vénétitay, secrétaire général du SNES FSU, le plus puissant syndicat des enseignants du second degré condamne des propos « provocateurs er scandaleux » qui montrent « les limites de la Ministre », qui a « marqué un premier but contre son camp ». Le syndicat des enseignants catholiques le SNALC, est plus modéré mais s’adresse à la Ministre en précisant qu’elle a désormais à gérer « tous les enfants des autres, et pas uniquement les siens ». Un argument qui revient souvent est le manque de moyens dont dispose l’école : pas assez de postes créés, la vie à Paris coûte trop cher et fait fuir les enseignants, les salaires sont trop faibles pour pouvoir remplacer le personnel absent, etc.
Les politiciens ont été d’une « sévérité » au moins égale : « propos hallucinants » dit Olivier Faure au nom du Parti Socialiste. Le député de la France Insoumise Rodrigo Arenas, ancien président de la FCPE (Fédération des Conseils de Parents d’Elèves de l’école laïque) adresse une lettre au recteur de l’Académie de Paris en sa qualité de député « Elle doit partir » parce qu’elle ne comprend rien à l’école. Plusieurs Macroniens expriment le regret qu’elle n’ait pas rectifié ses propos plus tôt, ils estiment qu’elle doit abandonner l’Education Nationale et se cantonner dans les Jeux Olympiques.
La morale de toute cette histoire est que la liberté d’expression n’est plus respectée dans notre pays. Ce n’est pas nouveau, mais c’est une illustration spectaculaire après seulement 24 heures d’installation du gouvernement.
En France il est interdit d’exprimer publiquement une opinion contraire à l’idéologie syndicale, surtout que c’est légalité entre les Français qui est atteinte, ainsi que la sacro-sainte laïcité, conçue comme l’opposition à toute référence religieuse. Jadis Claude Allègre n’avait pas pu « dégraisser le mammouth ». Mission impossible.
Et la liberté scolaire » ?
Il est peut-être important de rappeler d’une part le sort actuel de ce que l’on appelle« l’école privée » et d’autre part ce que serait une réforme libérale de l’école.
Stanislas est une école privée sous contrat. C’est à dire que cet établissement ne peut fonctionner que sous le contrôle permanent de l’Etat. L’ouverture de classes est limitée par des accords qui datent de 1993[3] ;même si les enseignants sont librement choisis leur carrière et leur rémunération sont fixées par l’Education Nationale, les programmes sont fixés dans le détail par la rue de Grenelle, les conseils d’administration des collèges et lycées intègrent un représentant du Conseil départemental, sécurité et hygiène sont contrôlées par les polices locales[4].
Reste évidemment la question du coût de la scolarité : école privée = école pour les riches ! Rien n’est plus faux. D’une part le coût de fonctionnement des établissements privés est en moyenne 20 % moins élevé que celui des établissements publics : la gestion est plus rigoureuse. D’autre part l’argent public ne peut être réservé à l’école publique puisque ce sont tous les contribuables qui paient pour les deux sortes d’établissements, Enfin la plupart des établissements privés tiennent compte des capacités financières des familles pour adapter le montant des scolarités, allant jusqu’à l’allocation de bourses. Au 19ème siècle les écoles catholiques ont été les premières à ouvrir leurs portes aux enfants des quartiers pauvres, avec par exemple les Frères des Ecoles Chrétiennes, ou les Œuvres de Timon David.
Au total l’école « privée » est une école en liberté surveillée. Quel est le contenu d’une réforme de nature à instaurer une véritable liberté scolaire ?
Concrètement[5] :
1° Suppression de la carte scolaire
2°Fin du statut de la fonction publique pour les enseignants
3° Liberté de création de tout établissement d’enseignement, en pleine autonomie financière, pédagogique et thématique.
4° Liberté de l’âge de commencement des études
5° Financement des études pour toute famille, suivant des techniques éprouvées : exonérations fiscales, bourses, bons scolaires (« vouchers), Etablissements chartés (charter schools), Ecoles à domicile.
Ces réformes sont inspirées par le principe que ce sont les parents qui ont le choix de l’éducation de leurs enfants, et que l’Etat n’a pas dans ses missions celle d’instruire, et encore moins d’éduquer. Elles réduisent les coûts de la scolarité de moitié.
Ces réformes ont été appliquées avec plein succès dans un grand nombre de pays de l’OCDE, les vouchers existent aux Pays Bas depuis 1905,plusieurs Etats américains admettent l’école à domicile (17% en Californie il y a dix ans).
Chez nous il nous faudra attendre un gouvernement libéral pour amorcer une vraie révolution, de nature à sauver le pays, car il faut prendre les maux de la France à la racine. D’ici là il ne se passera rien : la meute laïcarde, gauchiste,syndicaliste et macronienne veille au grain.
[1] Cf. mon article Gabriel Attal, une réforme sans lendemain. Seule la liberté scolaire peut sauver la jeunesse française Actualité 7 décembre 2003
[2] F Oudéa a dirigé quelque temps la Société Générale à Prague, il est propriétaire d’une banque tchèque
[3] Accords passés en 1993 entre le ministre de l’Education de l’époque Jacques Lang et le secrétaire général de l’enseignement catholique le père Cloupet : le nombre d’élèves du privé ne peut excéder le quart du nombre d’élèves du public
[4] C’est ce qui a permis à Médiapart, en toute impunité, de rappeler fort à propos qu’il y avait eu une enquête pour pédophilie à Stanislas
[5]Je reprends ici fidèlement une partie de mon article L’école au cœur du plan d’action au cours des prochains mois ? Un rappel opportun du programme libéral. 9 Janvier 2024