L’évènement s’est passé à Marseille, et le 1er avril. Une assemblée de grande qualité est venue écouter une conférence d’Anne Coffinier sur la liberté scolaire, suivie d’un débat très constructif sur la façon dont on peut redonner à la France un système scolaire libéré de l’emprise de l’Etat.
Il s’agissait du premier « forum des libertés » de l’année 2023 organisé dans le cadre de l’ALEPS. Jacques Garello a programmé une série de ces forums d’une part pour préciser le programme libéral de nature à guérir les plaies du corps social français d’autre part pour offrir à quelques pionniers les meilleurs arguments pour convaincre leurs proches.
On ne pouvait trouver de plaie plus ouverte que l’Education Nationale, administration centralisée et bureaucratique, responsable de l’inculture et du désespoir de la jeunesse française. Et on ne pouvait trouver d’experte plus savante et plus brillante qu’Anne Coffinier pour définir les principes et les techniques de la liberté scolaire dans la plupart des pays étrangers. Sa réputation et son talent ne sont plus à faire : cette normalienne, énarque, affectée au ministère des affaires étrangères pendant quatre ans, a vécu dans des pays du monde entier, et connu les multiples façons d’associer écoles et familles pour donner aux enfants l’instruction et l’éducation qui les préparent à l’initiative, à la responsabilité et à la réussite de leur vie.
Créer son école
Anne Coffinier n’a guère apprécié son passage à l’ENA. Cette brillante diplômée de Normale Sup a découvert assez vite qu’il s’agissait d’une « école de la servilité », dit-elle. Au lieu de chercher à faire la belle carrière de haut fonctionnaire à laquelle elle était promise, elle a très vite lancé l’association « créer une école » (2.004) puis la « Fondation pour l’école »(2007) elle préside actuellement la Fondation Kirios qui assure la naissance d’écoles dites « indépendantes ». C’est ainsi qu’on, appelle en France les écoles qui ne sont ni publiques, ni privées sous contrat, ni privées sans contrat : elles échappent à une règlementation pourtant étouffante, et elles ne doivent rien à l’Etat, ni argent, ni programme, ni pédagogie. Leur nombre est croissant de façon spectaculaire, elles sont aujourd’hui de 12.000, et de natures diverses. C’est que la société civile veut s’affranchir de l’Etat : les familles veulent assumer leurs pleines responsabilités de parents d’élèves.
La collectivisation de l’école
Une loi d’août 2021 a désormais interdit l’interdiction de l’instruction en famille. C’est une disposition inconnue de tous les pays dits libres, mais courante dans les pays de dictature. Il y avait en France depuis longtemps une obligation pour les parents d’instruire leurs enfants elle est devenue instruction obligatoire, sous la coupe de l’Etat. A l’âge de trois ans, les enfants ne peuvent plus rester à la maison . Pourquoi ? Pourquoi 3 ans ? Pourquoi tous les enfants, quels quelles que soient leur santé, leur maturité, leur aptitude ? En fait, il s’agit pour l’Etat de s’assurer la maîtrise de la jeunesse, de 3 à 16 ans. Il y a collectivisation de l’école, la famille est exclue.
Les promoteurs de cette collectivisation sont inspirés par l’égalitarisme, mais comme l’école de l’Etat est une « fabrique de crétins », les premières victimes de cette initiative sont les enfants des familles les plus modestes, alors que les parents aisés ont des relations et trouveront toujours à placer leurs enfants. L’ascenseur social est en panne, et en effet on va reproduire à chaque génération les mêmes clivages sociaux.
La première conséquence est d’étouffer la personnalité et le mérite des enfants. Il n’est plus permis d’attribuer des notes et des classements, suspects de promouvoir les enfants de la haute bourgeoisie, ce qui est évidemment faux, mais qui débouche sur le nivellement par le bas. Une autre conséquence est de couper l’enfant de sa famille. Les maîtres sont sensés détenir la vérité, et malheur aux parents qui pourraient en douter : les enfants donnent des leçons aux parents ! Et il est inutile de souligner la perte du savoir (en particulier savoir lire, les jeunes ne lisent plus du tout). Il faut dire que les enseignants cultivent, consciemment ou non, le plus profond mépris pour les parents. C’est inéluctable, puisque le système prive les parents de tout contrôle de la scolarité au prétexte qu’ils n’ont pas les compétences pour faire un choix éducatif. Finalement, l’Etat a supprimé toute liberté scolaire.
La liberté scolaire
Pour qu’il y ait liberté scolaire il faut répondre correctement à trois questions :
1°Les enfants sont-ils éduqués par l’Etat ou par les familles ? Jules Ferry avait répondu correctement : « L’école instruit des enfants éduqués par leurs parents ». En 1933 le Ministère de l’Instruction publique est devenu le Ministère de l’Education Nationale.
2°Le choix de l’école implique les moyens de la payer : les parents pauvres ont-ils ces moyens ? L’école libre n’est-elle pas réservée aux riches ? La réalité est que nombre de familles pauvres font de lourds sacrifices pour que leurs enfants soient mieux instruits et mieux éduqués, d’ailleurs ce sont les écoles chrétiennes (à Marseille Frédéric Fouque) et les congrégations (Timoniens) qui ont accueilli les enfants pauvres bien avant la 3ème République[1]. Mais il va de soi qu’être opposé ou sceptique face à l’école de la République, c’est s’opposer à la République.
3° Comment faire fonctionner et gérer une école sans l’aide de l’Etat ? Que faire de la qualité des études, des enseignants, de la pédagogie ? Il est vrai que le ministère de la rue de Grenelle veille au grain : les chefs d’établissements n’ont aucune autonomie, les enseignants n’ont plus à passer le CAPES (trop peu de candidats !) et pour entrer dans les grand lycées (presque tous parisiens) il faut avoir des parents haut placés. Les adversaires de la liberté ne connaissent pas la vraie réponse : c’est la concurrence, c’est la diversité, qui améliorent sans cesse la qualité de l’enseignement, dans tous les domaines.
Les systèmes scolaires à l’étranger
Dans ce domaine, comme dans d’autres, il y a une exception française. Nos plus proches voisins, comme les pays les plus lointains (comme l’Inde ou le Japon) ont adopté des systèmes qui permettent à la plupart des familles de choisir librement l’école de leurs enfants. Ces systèmes sont conçus soit dans un cadre public (donc la privatisation n’est pas un passage obligé) soit dans un cadre privé, soit dans un cadre familial (école à la maison).
Un tableau tiré d’une recherche faite pour la Fondation de l’Ecole donne la liste de ces divers systèmes et les pays où ils sont adoptés. Il est incontestable que les choses ont partout évolué depuis le début du 21ème siècle, et toujours dans le sens de la liberté du choix, de l’accès financier, de l’autonomie des établissements. Le débat fait apparaître les avantages et inconvénients des divers systèmes. Une règle semble cependant s’imposer : l’aide financière ou pédagogique doit être délivrée à l’enfant, quel que soit l’établissement, public ou privé. En dehors du bon scolaire (malheureusement appelé « chèque éducation » qui évoque d’autres chèques que le richissime Etat accorde par charité aux pauvres citoyens), le système des comptes d’épargne éducation (un droit de tirage sur le compte éducation de l’enfant, que l’on peut abonder sans cesse et utiliser au moment voulu par les études) sont des systèmes libéraux. Mais même dans l’instruction publique, l’Etat peut passer contrat avec des écoles indépendantes (charters schools américaines ou free schoolsbritanniques). Enfin et non le moindre l’école à la maison a fait des progrès considérable, le covid les a multipliées.
Investissement de la société civile
L’ampleur de la transition en France est considérable, a priori. Mais on a pu constater pour les écoles indépendantes créées récemment dans notre pays que la société civile a su se mobiliser pour réaliser ce qui pouvait passer pour utopique ?. la mobilisation a pris une forme financière : solliciter des mécènes, des fondations, des entreprises, voir même compter sur l’épargne des parents en partageant les frais en fonction des revenus. Elle a pris une forme participative : construire, entretenir, agrandir, les talents d’artisans et de bricoleurs sont appréciés. Elle a pris une forme enseignants : des personnes disponibles (retraités par exemple) apportent une aide scolaire ou même assurent des cours (langues étrangères ou mathématiques par exemple). Elles prennent une forme juridique : légalité de l’école et des règles d’hygiène et sécurité.
Et quel contrôle sur ces écoles indépendantes ? Simplement la concurrence et le niveau de réussite aux examens. La France est un pays où existe encore le monopole de la collation des grades, ce qui signifie que c’est l’Etat qui vous adoube comme certifiés, breveté, bachelier, licencié, maître docteur, ingénieur, etc. mais l’autre preuve de la réussite est également la position acquise dans une entreprise, puisqu’en principe les gens de qualité peuvent être reconnus et promus.
L’école indépendante est donc un signe d’espoir. Mais cela suppose aussi qu’au lieu d’une minorité agissante ce soit un nombre croissant de personnes de la société civile qui s’investissent et s’engagent dans le noble combat de la liberté scolaire.
Un débat approfondi
Il y a eu d’abord des témoignages sur le caractère de plus en plus bureaucratique et réglementaire de l’administration scolaire, et du ministère en particulier. Il y a eu ensuite le problème de la subsidiarité : l’école soit-elle organisée au niveau local ou à un niveau supérieur, comme c’est le cas actuellement ? La liberté des municipalités est illusoire parce que c’est l’Etat qui fixe le niveau de leurs ressources. Il y a eu beaucoup de discussions sur le bon scolaire : quel montant ? pour qui ? quid des allocations familiales, des parts fiscales, de la progressivité des impôts ? Une école indépendante peut-elle être une école coranique ? Non, car une école coranique n’est pas une école, c’est une application de la liberté religieuse – la pratique de la religion musulmane est reconnue en dépit de la propagande pour la religion laïque et républicaine (les Frères musulmans ont créé des écoles publiques sous contrat). Ne faudrait-il pas revenir au « Ministère de l’Instruction Publique » ? Enfin et non le moindre : la liberté scolaire est un des aspects d’un programme libéral. Où en est le libéralisme en France ? S’il s’agit du travail des intellectuels libéraux, ils font un travail considérable actuellement et publient livres et articles très riches. Mais ils n’ont pratiquement aucun accès aux chaînes de télévision, et peu d’accès dans la presse quotidienne . Il est vrai que le libéralisme est un gros mot dans la classe politique et médiatique, mais les choses peuvent changer, parce que le niveau de présence et de d’incompétence de l’Etat devient insupportable. Il faut donc multiplier les forums de ce type en abordant des thèmes tels que la santé publique (aussi catastrophique que l’éducation nationale) les retraites (pourquoi s’enfermer dans la répartition), l’énergie, la propriété (logements publics, rareté foncière, droits de succession), les transports (monopoles et gestion de la SNCF, d’Air France), la culture, etc.
[1] A l’occasion de la visite de Jean Paul II à Paris en 1997, le Premier Ministre de l’époque a remercié le Pape pour avoir béatifié Frédéric Ozanam, fondateur de la Société de Saint Vincent de Paul, qui a créé les premières écoles pour les enfants pauvres