Après avoir cherché à plaire à la droite et au Français moyen en donnant au Président Zelensky et à l’Ukraine toute l’aide qu’il pouvait donner, Emmanuel Macron y est allé de ses accents résistants et gaullistes en évoquant le discours de Bayeux, prononcé par De Gaulle le 16 juin 1944. Il espère ainsi s’attirer les voix de gauche et convaincre le Français moyen.
Ce faisant, comme toujours ensemble et en même temps, il a dit la vérité sur ce qu’il souhaite aujourd’hui, mais il s’est trompé sur ce que de Gaulle voulait faire après Bayeux.
« La France renaît grâce à l’Etat »
C’est la phrase-clé du discours de Macron.
Le mérite de De Gaulle aurait été de rejeter la colonisation que les Américains nous avaient préparée avec l’AMGOT, (Organisation des territoires libérés par les forces militaires alliées). Il est vrai qu’à l’époque, et bien avant que Paris ait été libérée par les chars de la 2ème DB venus du Sud sous les ordres du Général Leclerc, on ne savait plus qui gouvernait la France. Officiellement c’est toujours à Alger avec le général Giraud que siège le gouvernement, mais il y a toujours Vichy, et Pétain, qui vient de se réfugier en Allemagne. Les gens qui ont un peu de pouvoir l’ont eu de Vichy, comme le maire de Bayeux qui reçoit de Gaulle en ce 16 juin. On peut être Vichyssois et écouter Radio Londres. D’ailleurs après les victimes civiles des bombardements mais pas seulement en Normandie, Marseille et Toulon ont été durement touchées) la cote d’amour des Alliés a fortement décru, et on sait que Vichy ne cautionne plus Hitler, comme c’était le cas avec le gouvernement de Pierre Laval, radical de gauche.
Alors De Gaulle déclare qu’il faut un nouveau gouvernement pour que la France retrouve sa souveraineté et puisse se faire respecter par les Alliés – qui ne respectaient guère De Gaulle[1]. Et De Gaulle énonce des noms qui vont prendre la France en mains, ce ne sont pas des préfets ou des membres de la haute administration, ce sont des « commissaires », qui coifferont toutes les villes et les régions. Leur origine est univoque : ce sont des résistants, et une grande partie d’entre eux est communiste, la force vaillante du communisme étant les FTPF Francs Tireurs Partisans Français. Emmanuel Macron a égrené la longue liste des noms de ces hauts commissaires, pour montrer qu’ils avaient de bons brevets de résistance et qu’ils auraient pu être nommés par Jean Moulin lui-même. Et, ajoute note Président, la démarche gaullienne souverainiste permettra à la France d’être présente lors de la signature de l’armistice du 8 mai 1945. Ce que De Gaulle réussit c’est l’alliance d’un peuple et d’une autorité. Comme chaque fois qu’une rupture se produit dans notre histoire, la France en sort avec des idées nouvelles. On va faire « la conquête de nouvelles libertés, de nouvelles émancipations » (comme le droit de vote des femmes), le « Conseil National de la Résistance » les mettra en œuvre, il aura l’autorité du Gouvernement Provisoire de la République Française. « Nous sommes dépositaires de cette histoire » dit Emmanuel Macron : la mémorisation du débarquement et de Bayeux, c’est de faire une nation libre ét indépendante. Et Emmanuel Macron de demander à de très nombreux enfants de chanter la Marseillaise. C’est le couplet patriotique qui clôt le discours de Bayeux ce matin.
Je résume donc : seul l’Etat peut reconstruire une nation en crise. L’autorité de l’Etat est indispensable pour garantir la souveraineté de la nation. Au sommet de l’Etat le Président[2].
Feu vert à l’épuration
Emmanuel Macron laisse entendre que les Français vont se retrouver rassemblés derrière De Gaulle. C’est bien sûr ce qu’il recherche aujourd’hui : que tous les électeurs français aillent voter pour montrer l’unité de notre pays, qui est en mal de souveraineté et de popularité européenne.
Mais De Gaulle ne cherche pas du tout l’unité, il veut punir les traitres. Et, quand on voit les actions (les exactions) commises par les nouveaux maîtres de la France ou avec leur permission, on finit par être terrorisé et révolté. Des juridictions d’exception vont être installées dans les grandes villes. On les appellera souvent Cours civiques. Elles siègeront pendant tout l’automne 1944 ; jugeant les « traitres » et prononçant des sentences immédiatement exécutées, qu’il s’agisse d’emprisonnement (autour de 120.000) et de peines de mort[3]. Des femmes vont être arrêtées et rasées parce qu’elles auraient eu commerce avec des Allemands. Des propriétés seront confisquées et attribuées aux libérateurs, dans l’Ouest et le Sud Ouest la présence des FTPF sera très efficace (raison pour laquelle les élus communistes ont été rares une fois la paix revenue…). Le bilan de « l’épuration » se monterait à plusieurs centaines de milliers de morts. Robert Aron fait remarquer qu’on a davantage tué de « collaborateurs » que d’Allemands.
La traduction politique du nouveau pouvoir gaulliste est d’associer étroitement les communistes, depuis le 4 avril les « anciens ennemis » (sans doute jusqu’en 1941 et la rupture du pacte Molotov-Ribentrop, la guerre entre Hitler et Staline) c’est-à-dire les leaders communistes de la clandestinité. Donc c’est CNR (Conseil National de la Résistance)[4] qui va donner son sens aux réformes qui vont être promulguées par le Gouvernement Provisoire de la République Française : nationalisation de toutes banques et assurances, de Renault et autres entreprises suspectes d’avoir travaillé avec les Allemands, création de la Sécurité Sociale. Les relations avec Moscou se resserrent très vite. Après avoir visité les Etats Unis pour la première fois en juillet 1944 la première visite officielle du Président du Gouvernement Provisoire de la République Française sera pour saluer Staline en décembre 1944. La liaison entre De Gaulle et les communistes sera fidèle, allant même jusqu’à la liquidation de l’Algérie Française.
Je ne vois réellement pas en quoi De Gaulle aurait rassemblé une nation heureuse d’avoir un grand chef d’Etat. Mais il est vrai que le 9 juin prochain, Emmanuel Macron mériterait d’être le grand chef d’Etat qui rassemble le peuple français autour de l’Elysée bienfaisant. En tous cas, il y croit.
[1] Chruchill avait interdit à De Gaulle de retourner en France parce qu’il le soupçonnait de venir compliquer la situation. Il a fallu la pression d’Eisenhower pour que finalement Churchill autorise de Gaulle à rentrer en France avec le Quand on demanda à de Gaulle de remercier Churchill, il répondit NON
[2] De Gaulle reviendra à Bayeux en 1946 pour plaider le pouvoir absolu du Président dans la Constitution en préparation.
[3]Au nombre de 22.000 environ d’après le Ministère de la Justice cf. l’article de Cairn info 2007/3
[4] Emmanuel Macron aime l’acronyme CNR au point d’avoir créé le Conseil National de la Refondation en 2022