Grossiers, violents, parfois cagoulés, ces Espagnols ont manifesté leur peine et leur colère en arrosant de jets de boue le couple royal. On comprend la peine des manifestants : des centaines de victimes, des dommages considérables, des jours de pleurs et d’angoisses. On peut comprendre leur colère : les autorités publiques ont été négligentes avant et après les inondations.
Mais le couple royal n’y était pour rien. Venu à Paiporta, petite ville à l’est de Valence particulièrement sinistrée, le couple royal avait été accompagné du premier ministre (socialiste) Pedro Sanchez et du président de la région de Valence (conservateur) Carlos Mazon. Mais la visite du couple royal n’avait aucun contenu politique ; tout au contraire Philippe et Laetizia voulaient exprimer la douleur qu’ils éprouvaient et réconforter ces familles qui avaient perdu plusieurs des leurs. Les témoins de ces jets de boue, de ces cris injurieux, ont pu attester du calme et du courage dont le roi a fait preuve, et des pleurs et de l’effondrement de Letizia.
Il est certain que l’impuissance des pouvoirs publics a été démontré, elle existe en Espagne comme ailleurs. Pourtant ce pays bénéficie d’un avantage par rapport au jacobinisme que nous subissons en France : l’Etat n’a pas détruit les régions qui forment la nation, les langues, les mœurs et les administrations ne sont pas les mêmes chez les Catalans, les Andalous, les Basques, les Castillans, il y a cinquante provinces jouissant d’une autonomie réelle sinon totale.
Pourquoi un roi ?
Mais précisément le roi ne fait pas partie des pouvoirs publics. Tout au contraire il représente la société civile, il incarne ce qui demeure commun à tous les membres de la nation espagnole : la langue commune bien sûr, mais aussi les principes moraux et spirituels sur lesquels la nation espagnole s’est créée au fil d’une histoire particulièrement riche. Ainsi, en 1940 Alphonse XIII (en exil à Paris) obtient-il de Franco d’accueillir les Européens de tous pays qui fuyaient les nazis et en effet de nombreux européens (Français entre autres) ont pu se réfugier en Espagne[1]. La mission de la monarchie n’est pas de gouverner, mais de conserver. C’est d’ailleurs ce que l’on trouve pratiquement dans toutes les monarchies dites « constitutionnelles » (il vaudrait mieux dire institutionnelles car certaines d’entre elles, comme la monarchie britannique, n’ont pas de constitution écrite).
Evidemment la monarchie institutionnelle n’est pas facilement comprise par des Français. Ainsi sur une chaîne de télévision la journaliste qui menait le débat sur le drame espagnol s’est avec ignorance et obstination épuisé à expliquer que les jets de boue étaient mauvais pour la monarchie, et que cela pouvait être « très grave pour la France ». Voulait-elle signifier que nous avons un régime monarchique en France ? Nous avons en effet une monarchie présidentielle, et notre histoire a été même sous l’Ancien Régime, même sous les Empires l’histoire d’un despotisme légèrement éclairé parfois. Voulait-elle exprimer sa crainte que des jets de boue visent Emmanuel Macron ? Elle ignore peut-être qu’il a déjà été victime d’un doigt d’honneur, injure au moins équivalente au jet de boue ?
Le vrai problème est que les institutions de la liberté impliquent la vitalité de la société civile face aux abus du pouvoir politique. Avec les dictatures du monde entier la France est sans doute le pays libre où la société civile est muselée et impuissante. Les libéraux français doivent s’employer à la réveiller et à l’organiser. En 2027 (on avant) nous devrions nous donner un roi, nous ne manquons ni de Bourbons ni de Bonapartes – mais il s’agit de familles plutôt despotiques.
[1] Après 1959 (gouvernement de l’Opus Dei) , Franco a restauré la monarchie et exercé un pouvoir libéral qui a ouvert l’Espagne aux autres pays d’Europe. Entre temps Alphonse XIII avait rompu son amitié avec le Caudillo.
Bonjour Jacques
Je lis toutes tes lettres avec plaisir.
Vive le libéralisme, ce sont des personnes comme toi qui le font vivre.
Amicalement.
Gilles