L’arrêt du Conseil d’Etat a fait scandale. A mon sens il y a de quoi, et je suggère que les libéraux aillent un peu plus loin dans l’analyse de cette sentence, car ce qui est en jeu c’est la nature même du droit : la France est un pays où l’état de droit n’est pas respecté. Et, au-delà du droit, c’est le concept de civilisation qui est remis en question.
Je rappelle l’essentiel de l’affaire pour les lecteurs qui n’en connaitraient ni la genèse ni la conclusion. Le maire de Mandelieu avait pris en 2012 un arrêté interdisant le port du Burkini sur la plage de Mandelieu. Cet arrêté interdisait à toute personne de porter sur la plage « une tenue susceptible d’entraîner, à l’instar des années 2012 et 2016, des troubles à l’ordre public, voire des affrontements violents ». Le décret se comprenait donc à la lumière d’incidents réels. Le fait est que le calme était rapidement revenu , voilà donc 11 ans que le décret était suivi d’effets réels et bénéfiques. Nul ne s’en plaignait, d’ailleurs d’autres maires de la Cote d’Azur avaient pris des dispositions comparables.
Mais voici maintenant des plaignants, en l’occurrence la Ligue des Droits de l’Homme dont l’avocat fait valoir que « depuis 12 ans la Ville de Mandelieu multiplie les arrêtés illégaux. Les maires ne peuvent pas interdire le burkini sur les plages. Le maire n’a pas la compétence de le décider et ça va à l’encontre des valeurs de la laïcité.” Cette argumentation a d’autant plus d’écho que la même affaire s’était déroulée à Grenoble, dont le maire avait autorisé le port du Burkini dans les piscines municipales. La Ligue saisit le juge des référés de Nice, qui valide l’arrêté du maire de Mandelieu, mais le Conseil d’Etat est saisi en appel et hier il a annulé le décret du maire de Mandelieu.
Je me permets maintenant d’analyser cette affaire à la lumière des principes libéraux :
1° La subsidiarité n’est pas reconnue dans notre pays : les décisions viennent toujours « d’en haut ». A juste titre Monsieur Sébastien Leroy a qualifié cette décision de « parisienne », les hautes autorités de la République ne reconnaissent pas la compétence des maires pour assurer la sécurité de leurs concitoyens : pourtant “les maires sont les acteurs incontournables de la sécurité dans leur commune”.
2° Le Conseil d’Etat est une juridiction d’exception. Depuis la Révolution les administrations françaises ne sont plus soumises au droit commun, le pouvoir n’est contrôlé ni par le Parlement, ni par les magistrats, mais par des instances parallèles dont la jurisprudence est aberrante, et très sensible aux pressions politiques. L’état de droit ne s’accommode pas de régimes juridiques spéciaux ni de tribunaux d’exception : tous doivent être égaux devant la loi. Voilà un principe des droits de l’homme qui a été retenu depuis le Bill of Rights jusqu’à la déclaration de 1789 en passant par la Constitution Américaine de 1776.
3° La laïcité est-elle un droit de l’homme ? Dans l’esprit de ceux qui l’évoquent et l’invoquent à tout propos elle signifierait l’interdiction de toute démonstration religieuse. Mais le burkini est bien la démonstration d’une appartenance à la religion islamique. Les laïcards ne dénoncent que les signes qui peuvent révéler la croyance personnelle des Juifs et des Chrétiens, ils méprisent nos lieux de culte.
4° Les droits de l’homme sont réellement protégés non pas par le droit positif et le législateur, mais par des institutions qui établissent le comportement normal des membres de la communauté. Dans une nation il y a des règles du jeu social, elles ont une histoire, elles peuvent évoluer, mais cette évolution ne se fait pas par décrets soudains du souverain, elle s’opère par un processus d’essais et d’erreurs. Les institutions sont le fruit d’un ordre spontané, et pas d’un ordre créé. Créer la société parfaite est une présomption fatale, c’est l’argument scientiste et orgueilleux d’une élite qui veut guider le peuple1.
5° Au sein d’une nation tous les êtres humains respectent les règles du jeu social, chacun doit se comporter de façon à ne pas heurter les autres. La règle du jeu n’est certainement pas toujours respectée, mais la vie en commun exige qu’on puisse s’attendre à ce que tout le monde ait un comportement normal vis-à-vis des autres. Cette attente peut être déçue mais les bonnes institutions sont précisément celles qui donnent la plus grande probabilité d’un comportement « normal ». Si la religion musulmane empêche ses croyants de vivre comme les autres, elle rend la nation invivable. Il va de soi que dans la vie privée les personnes et les familles peuvent se comportent comme elles le désirent, comme cela leur paraît « normal ».
6° Il est prouvé que l’assimilation des immigrés est possible, et relativement rapide, s’ils acceptent les institutions. Cette assimilation est facilitée : d’abord par l’activité en commun, le travail et l’entreprise, ensuite par le mérite, l’effort, la bonne éducation : où est-elle dispensée dans le pays ? L’assimilation est également plus rapide dans les pays où la propriété privée est respectée, parce qu’elle mesure les capacités et favorisent l’épanouissement personnel. Quand l’Etat offre aux nationaux, immigrés ou non, de vivre sans effort et aux dépens des autres, il n’y a plus que privilèges et tricheries. Il ne suffira pas de fixer des quotas, il faudra supprimer l’Etat Providence et son leurre appelé- Sécurité Sociale.
7° Comme je ne suis pas totalement hayekien, mais un peu thomiste, je soutiens qu’une nation civilisée ne peut vivre que si les règles du jeu social (traduites plus ou moins maladroitement dans le droit positif) sont conformes au droit naturel, qui permet aux êtres humains de vivre suivant leur nature, ils sont en effet les seuls êtres vivants à pouvoir accéder à la liberté, à la responsabilité, à la propriété et à la dignité.
1 J’emploie volontairement le vocabulaire de Hayek dans « Droit Législation et Liberté »