La situation doit retenir chaque jour notre attention, d’abord parce qu’elle évolue vite en ce moment, ensuite parce que c’est de la liberté des peuples qu’il s’agit ; pour les Ukrainiens bien sûr, mais aussi pour l’Europe, pour l’Occident, pour le monde entier.
Il faut si possible s’en tenir aux faits plutôt qu’aux sentiments. La solidarité et la sympathie pour le peuple ukrainien et son Président Volodymyr Zelensky ont fait croire à un succès rapide et complet de la contre-offensive annoncée et menée depuis deux mois maintenant. C’était prendre nos espoirs pour des réalités. Depuis plusieurs jours, et sans doute après ce qui s’est dit à Vilnius[1]on a hélas déchanté : la contre-offensive n’avance pas, et depuis cette nuit dernière la ville d’Odessa a été bombardée.
Il y a aussi les incertitudes qui concernent la Russie : d’une part l’affaire Wagner puisque les hommes de Prigogine ont disparu, sauf deux cents d’entre eux qui sont en Biélorussie pour former la garde rapprochée du Président Loukachenko, d’autre part les bruits de querelle interne au Kremlin, les oligarques s’interrogeant sur la stratégie de Poutine et les conséquences qu’elle pourrait avoir en milliards de dollars. Aujourd’hui Poutine a annulé son voyage en Afrique du Sud.
Revenons aux faits : la contre-offensive patine parce que les Russes ont installé des champs de mines d’une dimension extraordinaire (des hectares) pour empêcher l’avancée des chars et de l’infanterie de l’adversaire. La stratégie de Kiev était apparemment de percer les premières et deuxièmes lignes de défense russes pour les prendre ensuite à revers. A ce moment-là les 60 ou 70.000 soldats gardés encore en réserve pourraient se précipiter dans la brèche et reconquérir le territoire occupé actuellement par les Russes. Mais cela ne peut se faire dans deux des trois points actuels de bataille (au Sud-Est de l’Ukraine), le troisième (au Nord Est) serait peut-être plus « perméable ». En attendant il y a une guerre de tranchées qui décime de plusieurs milliers d’homes les deux armées, et il y a une guerre d’artillerie organisée avec les drones, les missiles, et peut-être bientôt les missiles à sous-munitions qui ont tant fait parler d’eux. Dans la situation actuelle les Russes bénéficient de deux « avantages » liés entre eux : ils n’hésitent pas à bombarder les villes et les populations civiles (ce qui est crime de guerre), et ils ont la maîtrise de l’air avec une aviation très active.
Voici donc le deuxième fait : l’attaque de la ville d’Odessa. Situé au bord de la Mer Noire le port d’Odessa permet le transit des exportations ukrainiennes vers la Méditerranée et le reste du monde (l’autre issue n’est qu’au Nord à travers la Pologne et la Baltique). En particulier c‘est par Odessa que passe le blé ukrainien (et naguère russe), qui est nécessaire à la consommation des peuples européens[2]. Hier venait à expiration un accord passé en 2022 entre la Russie, l’Ukraine, la Turquie, l’Union Européenne, renouvelé pour deux mois en mai 2023. Poutine a fait savoir que l’accord ne serait pas renouvelé. Ce n’est pas grave en soi dans la mesure où les bateaux peuvent quitter Odessa, ils sont ensuite à charge de la Turquie et Erdogan est du côté du reste du monde (il s’est réconcilié avec l’OTAN à Vilnius). Les céréales transitant par Odessa peuvent gravement manquer sur le marché mondial, elles manqueraient drastiquement à l’Europe mais aussi à la Chine (un quart des exportations)[3]. La nouveauté c’est précisément qu’Odessa a été bombardée par la Russie au cours de la nuit de lundi à mardi. Le Président Zelensky a tout de suite dénoncé cette attaque, les céréales de l’Ukraine ne peuvent plus être embarquées et on peut craindre la paralysie du port d’Odessa. De plus Odessa est une cité dite « interculturelle », son écusson représente un cœur et une ancre : bienvenue à toutes les nations qui fréquentent le port depuis son origine multiséculaire, cent trente nations ont leur place dans la ville.
Une fois de plus, comme en mai 2022 à Marioupol ce qui est en jeu n’est pas seulement la souveraineté d’un Etat sur un territoire, c’est aussi la culture et la religion d’un peuple, c’est la sauvegarde de la civilisation contre les assauts de la barbarie. Où en est-on ? Toujours au même point : l’Occident veut-il renouer avec les valeurs morales et spirituelles qui ont fait naître la civilisation ?
[1] Cf l’article de Jacques Garello : Vilnius attendra du 12 juillet catégorie Actualité
[2] On se souvient de l’incidence du manque de blé sur le prix de la baguette française
[3] « Je regrette la suspension de l’initiative céréalière de la Mer Noire, que l’Union Africaine avait soutenue très tôt, a déclaré le Président de l’Union Africaine (UA) Moussa Faki Mahamat