Le projet de loi du gouvernement concernant la propriété des terres a été repoussé par l’Assemblée, il avait pourtant reçu le soutien implicite d’une proposition de loi transpartisane qui allait dans le même sens.
Le commentaire général y a vu une nouvelle fronde anti-macronienne, il est vrai que les abus de pouvoir à l’occasion de la campagne des européennes sont à juste titre choquants dans un jeu démocratique.
Mais le PLOAA (Projet de Loi pour Organiser l’Avenir de l’Agriculture, dont le principe a été lancé dès 2022 par Emmanuel Macron)) soumis au Parlement la semaine dernière est tellement riche qu’on a multiplié les noms pour le désigner.
Marc Fesneau est Ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire.
Il y a eu d’abord le Pacte et la Loi d’Orientation et d’Avenir Agricoles (PLOAA)
Puis le Projet de Loi pour Organiser l’Avenir de l’Agriculture (PLOAA bis)
Puis le Projet de Loi pour la Souveraineté agricole et le renouvellement des générations en agriculture
Puis le Projet de Loi pour organiser l’Avenir de l’Agriculture, le renouvellement des générations agricoles et la transition écologique.
Cette richesse sémantique est entièrement justifiée. En effet le projet de loi (puisque c’est bien un texte soumis par le gouvernement aux députés le 3 mai) conduit globalement à un choix de société, et un choix liberticide.
Il va couvrir des questions fort différentes, et plus fondamentales les unes que les autres, nous les regrouperons autour des thèmes suivants :
– la nationalisation des terres et l’agriculture service public
– la souveraineté alimentaire
– l’installation et la transmission des terres
– les impératifs écologiques
L’agriculture : un service public sur des terres nationalisées
Nous avons déjà rappelé qu’en 1960 le gouvernement Pompidou crée les SAFER (Société d’Aménagement Foncier et d’Etablissement Rural). Leur mission est simple : racheter des centaines de petites exploitations agricoles familiales pour créer de grandes exploitations gérées par l’Etat. C’est purement et simplement une nationalisation des terres !
La raison de cette innovation est que les petites exploitations sont réputées trop morcelées, trop restreintes, et ne peuvent soutenir la concurrence des paysans étrangers. Le rachat des terres aux paysans a été à l’époque très facile : l’Etat avait les moyens de payer généreusement les petits paysans. De la sorte le Sud-Ouest de la France a été acquise aux SAFER en quelques mois. Une grande ferme peut aussi disposer d’un matériel plus important en rapport avec la surface exploitée, et très vite on va virer au sur-équipement, mais l’Etat peut subventionner ou aider.
Aujourd’hui, depuis la loi du 13 octobre 2014 les SAFER ont un droit de préemption sur toutes les transactions qui ne concernent pas les transmissions familiales, et sur toutes les cessions de parts. Cela représente plus de la moitié des surfaces vendues chaque année. Les SAFER ont bien été les instruments de la collectivisation des terres.
Mais évidemment on peut se sentir rassuré en sachant que ce sont les fonctionnaires du Ministère de l’Agriculture et leurs correspondants locaux qui vont gérer ces terres en bons pères de famille (pardon : en bons entrepreneurs). Le nombre des fonctionnaires est supérieur à celui des paysans ! c’est au ministère de l’Agriculture que l’on connaît mieux que quiconque comment fructifier les terres de France.
Comme les autres beaux services publics que le monde entier nous envie (sur l’éducation nationale, sur la santé, sur le transport, sur le logement) le financement public sera doublement sollicité : par les déficits et les dettes, par la fiscalité. Mais qu’importe ? Ne s’agit-il pas d’assurer la souveraineté alimentaire ?
La souveraineté alimentaire : productivité ou écologie ?
Politiquement la souveraineté alimentaire a une belle cote. De l’extrême droite à l’extrême gauche, en passant par le marais macronnien et le Président lui-même, tout le monde est d’accord : produisons français, mangeons français, nous n’avons que faire des importations alimentaires, un peu de civisme suffira. Nous pouvons cependant faire une remarque importante : si nous refusons les importations il faudra aussi renoncer aux exportations, parce que les pays étrangers se refuseront à acheter notre vin, nos liqueurs, nos fromages, nos bananes, etc. D’ailleurs si la France déclenche une guerre douanière, elle dépassera le champ de l’agriculture, elle s’étendra aux produits industriels, aux services comme le tourisme ou l’assurance, etc.
Il y a aussi des failles dans l’unanimité en faveur de la souveraineté alimentaire. Nombreux sont ceux qui reprochent au gouvernement de vouloir élargir la taille des exploitations agricoles au prétexte qu’elle serait source de productivité et de rentabilité. Voilà remise en cause l’orthodoxie capitaliste, alors que la protection de la nature exigerait au contraire de produire moins, mais mieux.
La priorité donnée à l’écologie est assez héroïque quand on constate qu’aujourd’hui les productions alimentaires sur le sol français sont nettement insuffisantes à nourrir la population. Non seulement les viandes, mais aussi les fruits et légumes sont manquants et à prix élevés – sauf dans la France profonde.
La souveraineté alimentaire est donc un attrape-nigauds, un attrape-électeurs.
Transactions foncières : la vie paysanne organisée par l’Etat
Nous ne savons pas exactement ce que les gouvernants et la haute administration pensent du droit de propriété. Il est acquis sans doute qu’ils n’aiment pas la propriété immobilière, puisque toute forme de fortune est désormais exonérée d’impôt sauf s’il s’agit de fortune immobilière. D‘autre part le « logement social » exclut la propriété privée, et son expansion est dans les projets de partis de la majorité comme de l’opposition. Enfin les règlements d’urbanisme ainsi que les normes écologiques ont créé une rareté foncière qui pèse lourdement sur le prix de la construction.
Les paysans propriétaires ou qui veulent l’être vont donc connaitre les mêmes handicaps que le commun des Français. Par un bel exercice de voltige l’Etat va s’occuper d’eux.
Il est notamment question des difficultés du monde paysan de « renouveler les générations agricoles ». Mais comment le droit successoral français facilite-t-il la transmission des patrimoines ? C’est au contraire l’occasion pour l’administration de multiplier les formalités et les prélèvements fiscaux. Après avoir rendu les transmissions difficiles et onéreuses l’Etat vient gentiment s’imposer pour les organiser.
Le schéma est le même pour « l’installation » : qui rend l’accès au crédit si difficile ? Que les candidats à la paysannerie ne s’inquiètent pas : l’Etat va les aider, les subventionner. Tout va être intelligemment centralisé autour d’une nouvelle instance financière le GFA-I (Groupement Foncier Agricole – Investissement) Les syndicats paysans rappellent les chiffres de la paysannerie française : sans doute 400.000 personnes en 2030 contre 500.000 en 2020, plus de 14.000 fermes ont disparu depuis le lancement de la PLOAA (en 2022) En fait, le gouvernement s’introduit dans la vie privée des paysans français, pensant qu’ils n’ont pas la culture et l’intelligence voulues pour assurer la pérennité de leur patrimoine. Cela s’appelle l’asservissement. L’installation et la transmission des terres ne pourrait donc se faire que par décret.
Les critères écologiques pour les activités agricoles
Voici qu’Emmanuel Macron lui-même mais aussi plusieurs porte-paroles des agriculteurs introduisaient une dimension assez surprenante dans le projet de loi qui a capoté : la qualité des activités agricoles devrait se faire suivant des critères écologiques, et non plus alimentaires ou économiques. Il est à remarquer que dans le projet de loi ce ne sont pas les produits qui sont jugés, mais les activités agricoles : comme par exemple l’usage de l’eau, la construction de haies, les désherbants choisis, et de façon plui=s générale la décarbonation obtenue.
Les « tests d’activité » pour une culture « responsable » s’inscrivent dans le grand rêve de la transition écologique, et la France officielle se réjouit d’être la plus performante dans le respect des règles de la COP 21. Si tous les pays du monde pouvaient s’aligner sur la France, quel progrès pour la planète ! En réalité et en dépit des normes fixées par l’Union Européenne les pays du monde cultivent comme ils l’entendent, et les consommateurs français s’alimentent avec des produits importés, et nombre d’agriculteurs ou de distributeurs ont investi à l’étranger pour nourrir les Français.
Il semblerait donc que les leçons de Sainte Soline et les agissements du Soulèvement de la Terre n’aient rien changé au mythe de la transition écologique, qui demeure un des piliers de la République Française. Les nationalisations, la souveraineté, l’asservissement appartenaient à la grande tradition de l’Etat français depuis des lustres. Emmanuel Macron, ici comme ailleurs, a su innover. Y avait-il un lien avec la campagne des présidentielles ? Peut-être avons-nous trop hâtivement écarté l’hypothèse…
[1] Cf. L’article de Jacques Garello du 24 janvier 2024. Toute la vérité su les paysans français L’essentiel est oublié, caché ou oublié
[2] Dans la région PACA il n’y a pas moins de 34 instances administratives et syndicales qui s’occupent de l’agriculture. La plupart d’entre elles ont des antennes dans plusieurs villes ou agglomérations de la région