La planification a durablement ruiné l’économie soviétique, les Russes ont retrouvé un peu de croissance quand leur régime politique a ouvert quelques espaces de liberté, très vite réduits d’ailleurs du jour où Poutine a conquis un pouvoir absolu. Mais, la planification est sans doute aussi à l’origine de l’échec de l’armée russe.
Ce qui se passe en 2022 est de même nature que ce qui s’est passé en 1917 : comme l’économie, l’armée ne peut fonctionner dans un système bureaucratique centralisé, au sein duquel l’information n’a aucun sens et n’est jamais fiable.
En 1920 Ludwig von Mises, économiste et philosophe autrichien, dénonce le vice fondamental de la planification mise en place par Lénine. Il s’oppose aux chantres du plan comme Abba Lerner, en comparant la façon dont le plan et le marché répondent aux questions fondamentales de toute économie : que produire ? comment produire ? pour qui produire ? Il est nécessaire en effet que le « système économique » puisse déceler les préférences des consommateurs, organiser les facteurs de production nécessaires, et attribuer les revenus. Mais quel « système » ? Celui, centralisé, de la planification, c’est-à-dire de l’Etat, ou celui, décentralisé, du marché ? D’un côté l’économie née des décrets du pouvoir, de l’autre l’économie née du contrat, qui permet à des intérêts au départ opposés de trouver un accord (processus de la « catallaxie » dit Mises).
C’est que Mises va démontrer l’impossibilité pour le plan de fonctionner correctement. Car les décisions du pouvoir étatique sont fondées sur l’information qu’il recueille auprès de ses différentes administrations, des entreprises dirigées par les membres du parti issus de la volonté des travailleurs (soviet). La qualité et la masse de cette information engendrent très vite un monument bureaucratique ingérable. Ce sont des documents dont le contenu n’est garanti que par le tampon du directeur, visé par l’échelon supérieur. Les chiffres sont, eux aussi politiques : s’ils sont trop bons, c’est que le plan avait sous-estimé les objectifs à atteindre, donc l’entreprise risque d’avoir à travailler davantage, s’ils sont trop mauvais, une sanction sera prise. La solution consiste donc à faire remonter des informations irréelles. La crédibilité vient du respect de la procédure, de la hiérarchie et, finalement, de la servilité.
A l’heure présente, les observateurs de l’armée russe se rendent compte des erreurs commises en haut lieu sur les stocks d’armements et de munitions, sur la motivation des troupes (au point que seuls les commandos mercenaires comme Wagner, les Tchétchènes, et autres tueurs professionnels sont réellement motivés), sur la cote des généraux auprès du Président Poutine. C’est que la dictature de Poutine s’est installée et développée au prétexte de reconstruire la Grande Russie, celle des tsars et de l’URSS. La nomenklatura militaire s’est installée aux cotés de la nomenklatura économique.
La discipline est la force des armées, dit-on. Mais elle ne peut jouer qu’à partir d’une information fiable.