Une double actualité spectaculaire : l’afflux soudain de milliers de migrants à l’île de Lampedousa, et la visite d’Ursula von der Leyden, présidente de la Commission Européenne flanquée de la présidente du Conseil Italien Giorgia Meloni.
Il me paraît nécessaire de scinder le projet politique et le drame de l’immigration.
Le projet politique
La Présidente européenne a un projet, et la Présidente italienne l’accompagne : « l’avenir de l’Europe est en jeu ». Le projet est celui d’une solidarité européenne pour rechercher deux résultats : d’une part se répartir les migrants entre les divers pays membres de l’Union Européenne, d’autre part renforcer les moyens de Frontex, d’un véritable contrôle policier des flux migratoires à l’entrée et à l’intérieur de l’espace commun.
Ce projet est en effet un défi, mais il a toutes chances de capoter, puisqu’il est en discussion depuis maintenant sept ans, et de nombreux pays de l’Union ne l’acceptent pas, et pas des moindres : Pologne, Hongrie, Italie, mais aussi Pays Bas, Finlande, pays baltes.Les suisses eu-mêmes viennent de fermer la porte à l’immigration au cours d’un referendum, et le résultat est très controversé.
Ce projet a peut-être l’agrément de la France et de l’Allemagne, bien que le gouvernement allemand actuel déclare avoir fait le plein de ses accueils – en général réussis grâce aux dispositions sévères imposées aux migrants, pour leur bien d’ailleurs. Mais ce projet n’a pas l’aval du Pape François, il en parlera sûrement à Marseille en fin de semaine[1] : rien ne doit empêcher l’arrivée des Africains sur notre continent, c’est un devoir moral de leur donner leurs chances de fuir la misère et la guerre.
On peut se demander pourquoi ce projet a malgré tout été avancé par Madame von der Leyden, mais à mon sens il a une claire signification politique et précisément électorale : la campagne pour les Européennes est d’ores et déjà engagée, et il y aura aussi un vote pour la présidence de la Commission de l’Union Européenne. Les formations politiques, mais aussi leurs dirigeants, ont la perspective d’échéances importantes (comme en France les municipales et les présidentielles). Pour des calculs électoraux faciles à démasquer, la partie consiste à opposer les partis d’extrême droite (on va classer Meloni dans ce camp) sans pitié pour les migrants, aux partis humanitaires de la gauche, même extrême. Il y a d’ailleurs des nuances savantes : Marine Le Pen, que l’on va évidemment qualifier d’amie de ces odieux Polonais et Hongrois, ne serait pas du côté de Meloni, mais de son ancien ministre de l’Intérieur Matteo Salvini (mais la Ligue du Nord n’avait pas du tout le même programme économique que le Rassemblement National). D’ailleurs Marion Maréchal-Le Pen, tête de liste de la Reconquête (endorsée par Eric Zemmour) s’est également précipitée à Lampedousa.
Au total, je ne crois pas qu’il y ait quelque intérêt à cette conjonction politique. Elle ne dit rien sur les origines du drame migratoire et encore moins sur la façon de le gérer.
Le drame de l’immigration
Je mets souvent en avant, et de façon impudique, ma qualité de petit-fils d’immigré. Mais lorsque mes grands parents sont venus en France ils n’ont rencontré aucune difficulté : ils avaient une culture identique à celle des Français, ils ont trouvé tout de suite un travail pénible et mal payé, ils ont épargné et investi, créé une entreprise, et se sont interdits de parler italien devant leurs enfants dont mon père, qui a été diplômé de l’école de commerce de Marseille. Rien d’exceptionnel : voilà la banalité pour les immigrés de toutes origines en ce début du vingtième siècle.
Il est évident que l’immigration actuelle n’a rien à voir avec celle-là. Son origine est le malheur qui frappe la plupart des pays d’Afrique et du proche Orient. Le malheur est non seulement la misère mais aussi le désespoir : aucun progrès, aucun avenir. Ils quittent leur pays pour l’Europe, même s’ils savent qu’ils ont de grandes chances de mourir au cours de leur périple, à travers le continent africain ou dans la traversée de la Méditerranée.
Oui, les Européens ont une large part de responsabilité parce que la colonisation a eu une dimension politique et administrative plutôt que marchande et entrepreneuriale. Nos « coloniaux », d’ailleurs valeureux et méritants pour la plus grande partie, ont été des militaires, des médecins, des fonctionnaires. Français, Belges, Italiens et Allemands peuvent se donner la main. Les Anglais présents au Sud et au Sud Est ont été moins pressés d’occuper et davantage soucieux de commercer. Mais le résultat a été souvent le même : les Européens ont progressivement toléré voire installé des dictatures. La guerre froide et l’influence communiste ont aggravé la situation, et dès 1950 la planification a été la doctrine économique officielle : pas de libre-échange, pas de libre entreprise[2]. La fin de l’URSS aurait pu entraîner le continent africain dans le jeu commercial mondialisé, mais les mauvaises habitudes étaient prises, et l’urbanisation, illusion du développement, a fait ses ravages : mégapoles de la misère, du chômage, de la maladie, et une explosion démographique depuis trois générations maintenant, elle amènera l’Afrique à deux milliards d’habitants bien avant la fin de ce siècle.
Donc, un problème d’absorption par l’Europe de plusieurs millions d’immigrants africains est inéluctable. Pour l’instant l’Europe est peuplée de 450 millions d’habitants, mais la population est vieillissante, ce qui est un frein à la croissance.
Je ne saurai évoquer la moindre politique pour régler harmonieusement le défi, mais je sais critiquer la politique qui est de nature à aggraver le drame, et qui a dominé jusqu’à présent :
1°concernant l’accueil des migrants : on a renoncé dans plusieurs pays, et notamment en France, à l’insertion, et à plus forte raison à l’assimilation. L’insertion ne peut se faire que par le travail et la propriété, deux valeurs qui ont souvent disparu. Jusqu’à une période récente, le succès de l’immigration aux Etats Unis a été le travail dans des entreprises : construire une tour ensemble. L’Etat Providence, base de la société française, a tué le travail et la propriété. Le « rêve français » est la Sécurité Sociale, ce n’est pas le rêve américain. De toutes origines les jeunes ne se voient aucun avenir : manque d’éducation, détresse de la famille. Par comparaison on sait comment les Allemands ont réussi à intégrer et finalement assimiler les centaines de milliers d’immigrés turcs, entre autres. Et de même les immigrés ukrainiens ont pu être accueillis en Pologne et dans les pays baltes.
2° Concernant les dictatures africaines : les appétits des Chinois, des Indiens, des Turcs, des Russes semblent n’avoir aucune limite actuellement : priorité au pillage des ressources naturelles sans trop de considération pour les peuples. L’islamisme est conquérant dans l’Afrique occidentale et équatoriale (y compris sur la mer indienne). Les Etats Unis ne sont pas en position d’imposer des régimes pacifiques et civilisés, ils n’y sont même pas parvenus en Amérique Latine.
3° Concernant la diffusion du savoir et de la liberté : il ne faut pas sous-estimer le capital de progrès potentiel détenu par le monde entier actuellement développé. Il est certain que les « pays du Sud » peuvent être des relais s’ils cessent de se comporter en potentiels prédateurs. Il est également certain que l’Europe pourrait prêcher et organiser la paix, le commerce et la civilisation si elle-même retrouvait les valeurs morales et spirituelles qui ont fait son progrès et son éclat.
En conclusion je me risquerai tout de même à évoquer une perspective mois sombre, peut-être au prix d’une utopie. L’aide humanitaire peut tempérer la misère et ralentir la progression démographique. Mais l’aide humaniste doit l’accompagner, et la diffusion des idées de la liberté, de la propriété et de la dignité des êtres humains est une initiative à soutenir par les dirigeants responsables du monde entier. Le « choc des civilisations » ne s’est pas tout à fait produit, en dépit de l’islamisme et de la peste verte. Nous devons préparer les générations actuelles à une longue mission, à une mission exigeante mais exaltante. C’est la seule façon d’éviter l’aggravation du drame de l’immigration.
[1] CF mon article Emmanuel à la messe du Pape François catégorie Actualité, 15 septembre 2013
[2] J’ai détaillé cette évolution dans mon article De la Françafrique à la Francophobie Africaine Catégorie Fondamentaux 2 Septembre 2023