Un de mes amis m’avait prévenu : à 20h40 David Lisnard allait s’exprimer sur l’A2 dans le cadre d’une émission appelée « L’évènement ». Je me suis empressé de prévenir mes proches qui apprécient beaucoup le Maire de Cannes, Président du parti Energie Nouvelle et membre du parti LR « historique ». Je ne sais pas si les amis, voisins et collègues que j’ai prévenus me pardonneront mon annonce, car ils auront attendu jusqu’à 22h20 pour voir apparaître David Lisnard : presque le dernier à intervenir, mais pas tout à fait : fort heureusement les téléspectateurs ont eu droit à une ultime prestation d’une candidate LFI.
Pendant trois heures, j’ai entendu surtout deux messages : le péril mortel du Rassemblement National, et les bienfaits à tirer d’une coalition. Pensée unique : tous ceux qui se sont succédés ont tenu à alerter les électeurs. Les téléspectateurs ont pu entendre des représentants de partis très populaires, comme Lutte Ouvrière, Nouveau Parti Anticapitaliste, Le Centre (?), ils n’avaient rien à dire sinon du mal de RN.
Une journaliste dont je tairai le nom a donné le ton général avec Jordan Barella, premier intervenant (hiérarchie démocratique normale). Mais sur quoi ont porté les questions, et sur un ton toujours agressif ? Combien de vos candidats ont tenu des propos racistes (avec en fond de décor un portrait de Jean Marie Le Pen) ? Cinq dit Bardella, et on les a éliminés ; elle n’en croit rien visiblement. Mais voici encore : si vous refusez de devenir Premier Ministre, n’allez-vous pas trahir vos électeurs, vous jouez avec de faux espoirs ? Vous avez reçu le soutien de Poutine, est-ce normal ? Bardella rappelle qu’il veut défendre la souveraineté de l’Ukraine contre la Russie, sans pour autant amorcer une escalade. Enfin, déception de la dame : Bardella se déclare partisan de l’inscription de IVG dans la Constitution…
La pensée unique est très présente avec les deux prestations suivantes. D’abord, celle de Raphaël Glucksmann, qui reçoit tous les hommages. Il s’empresse de démentir Bardella : ce ne sont pas 5 racistes, mais 130 candidats NR qui ont tenu des propos inadmissibles. Il explique ensuite qu’il n’est pas d’accord avec le LFI mais que le péril du NR est mortel : la France ne s’en relèvera pas, ce sera la honte dans l’Europe entière. D’ailleurs les gens du RN en France constituent « la cinquième colonne » de Poutine, qui les soutient. Alors on parle « coalition » (dont on a dit pourtant en haut lieu qu’il n’en est pas question). Mais le premier ministre éventuel de la coalition s’inquiète des progrès de l’extrême droit en Europe, avec l’Italie, les Pays Bas, la Finlande, la Pologne, et le succès de Trump est aussi une catastrophe. Alors des éléments de la gauche et du centre peuvent se parler, alors que la vie politique est dans la haine (à cause du RN bien sûr). La journaliste en bondit de joie et multiplie les sourires : enfinla coalition !
La prestation suivante est celle de la LFI, et la présence de Jean Luc Mélenchon réhausse tout de suite le niveau : honte au RN, mais indépendance du LFI, parce son programme ne peut être remis en cause. Mélenchon apparaît à nouveau avec la dame au keffieh, gilet palestinien. Suivent des scènes qui illustrent les inégalités, les discriminations raciales, le désespoir des jeunes, des vieux, des paysans, des travailleurs.
Evidemment il appartenait à Gabriel Attal de dire les bonnes raisons d’une coalition. Il attaque tout de suite sur le péril d’une majorité NR, un « parti d’extrême droite » qui ne respecte pas les « valeurs républicaines »Mais il demande aussi que l’on regarde l’excellent bilan de la (feue) majorité présidentielle : baisse du chômage avec un taux historique de 7 % (maquillé par les statistiques et malgré tout le plus haut de l’Union Européenne), maîtrise des dépenses publiques, il défend les dispositions de la réforme des indemnités de chômage qu’il a suspendues « pour ne pas fausser les élections ». On revient au péril du NR : « il n’y a pas que quelques brebis galeuses, c’est tout le troupeau qui est malade » . Je passe sur une série de mini-partis qui ont en commun d’appartenir au Nouveau Front Populaire.
Il est maintenant 22h40 et en effet David Lisnard va enfin s’exprimer. Il sait très vite imposer son autorité aux journalistes présents. Autorité au sens vrai : celui qui apporte quelque chose. Son premier apport : il fait passer les convictions avant les combinaisons. Le succès du RN est le résultat d’une classe politique sans doctrine, sans morale, des professionnels de l’élection alors que lui—même a mené une carrière d’entrepreneur. Ce qu’il connaît, comme entrepreneur et comme élu local, c’est la réalité du travail et de l’investissement. Malheureusement les énergies françaises sont paralysées par un étatisme bureaucratique, nous détenons les records des dépenses de redistribution (un tiers du PIB), de la dette et de l’inflation. Sans travail productif il ne peut y avoir de progrès social. La politique n’autorise pas les candidats à faire des promesses et concevoir des projets qui n’ont aucun avenir. David Lisnard ne veut pas se lancer dans des coalitions, seules les vraies réformes doivent nous mobiliser : a-t-on parlé de l’école dans la campagne ? A-t-on parlé de la productivité des services publics, que l’on multiplie et subventionne ?
On aurait pu terminer « l’Evènement » sur cette démonstration, qui a laissé les journalistes assez cois, mais on a terminé sur un feu d’artifice LFI, avec une candidate très douée et très savante. Elle a imaginé une grille d’impôts sur le revenu très progressive avec 14 tranches (qui n’atteindraient pas les pauvres ni les classes moyennes) dont la plus élevée concernerait les milliardaires, dont on prendrait chaque année la moitié de leur patrimoine (mais ils resteraient milliardaires malgré tout et « cela ne représente aujourd’hui que 2 % de leurs revenus »). La démonstration est imparable. Mais elle est aussi accompagnée d’un couplet culturel très appréciable : il s’agit de rendre justice au groupe de rap qui a créé la fameuse chanson No Passaràn, qui demande la mort de Bardella, mais c’est simplement une image « artistique ».
La mauvaise foi de cette émission n’ a d’égale que la médiocrité des arguments, à part ceux de David Lisnard. Mais j’avoue ne pas être convaincu par la coalition avec Attal pour premier ministre et rester dans la même position : voter pour empêcher la gauche d’avoir une once de pouvoir. Comme l’a dit David Lisnard l’important c’est la liberté et la dignité des êtres humains.