Avec le recul du temps on reconnaîtra au Président un double mérite : d’une part avoir donné la parole au peuple et créer un chaos politique, d’autre part avoir mis fin au chaos hier matin en précisant qu’un désistement n’est pas une coalition. Donc il pourra y avoir un gouvernement après le 7 juillet sans pour autant lier les élus de « Ensemble » à des élus du Nouveau Front Populaire. Gabriel Attal en rajoute : tous ensemble pour éliminer le Rassemblement National, ensuite on verra à « gouverner autrement » avec une « assemblée partielle »[1]. Et d’éminentes personnalités, comme François Bayrou, ou Henri Guaino, vont même jusqu’à dire qu’un nouveau gouvernement d’union républicaine permettrait à des députés d’opinions différentes de « se parler » au lieu d’être « systématiquement contre » : l’irénisme s’installe maintenant sur les plateaux de télévision.
Cette approche nous semble sentimentalement très noble, mais elle n’est pas exactement ce qu’attendent les électeurs français, et surtout elle n’a aucune réalité en cette soirée du vendredi, comme les chiffres l’attestent,d’ailleurs son peut se demander comment elle a pu germer dans l’esprit des partisans de l’Assemblée partielle et d’un gouvernement respectueux des « valeurs républicaines ».
Les chiffres qui gênent
Le premier chiffre qui gêne est celui du nombre de désistements, et du sens dans lequel ils s’opèrent. Au total c’est plus de 220 désistements, c’est beaucoup sur les 560 circonscriptions du second tour. Mais le chiffre explique aussi les motifs du désistement, et on peut commenter la distribution des duels (la liste placée en tête est en premier lieu dans le tableau suivant) : Rassemblement national / Nouveau Front Populaire 150 circonscriptions
Rassemblement National / Ensemble 135
Les Républicains / Rassemblement National 46
Ensemble / Nouveau front Populaire 28
Autres 50
Donc, près de 300 désistements se situent pour barrer la route au Rassemblement National, et il n’y a pas beaucoup de duels « fratricides » entre Ensemble et Nouveau Front Populaire.
Si l’on se réfère maintenant aux sondages, qui à cette heure ne sont certes pas de grande signification 50 % des Français n’ont pas peur d’un gouvernement RN (IFOP), et paradoxalement l’accord pour avoir comme Premier Ministre
Gabriel Attal est de 48%, Jordan Barella 45% Raphaël Glucksmann 39 %, Xavier Bertrand 38 % Olivier Faure 31 % Eric Ciotti 28 % Jean Luc Mélenchon 20 % Manuel Bompard 20%.
La popularité du Premier Ministre actuel tranche avec l’impopularité du « grand frère » et l’échec des candidats Ensemble.
A partir de ces données – bien que très contingentes – il n’y a aucun doute : les désistements sont faits pour éliminer le Rassemblement National. Du côté Ensemble, c’est Emmanuel Macron lui-même qui a donné l’ordre de se désister, et du côté Nouveau Front Populaire, c’est Jean Luc Mélenchon lui-même qui avait pris les devants dès dimanche dernier à 20h15.
Les ratés de l’opération
Le savant calcul des deux grands chefs s’est rompu dès mercredi, et s’est effondré hier jeudi. D’une part le désistement des candidats Ensemble en faveur du Nouveau Front Populaire n’a pas été systématique (plusieurs députés sortants n’ont pas obéi aux injonctions élyséennes), et dans beaucoup de circonscriptions il serait étonnant que les électeurs soient « aux ordres » : la peur de Mélenchon et des LFI les poussera tout de même à voter NR, ou à s’abstenir, ou à voter blanc. D’autre part hier le LFI a rompu avec les autres partis de gauche, sur ordre de Mélenchon et Bompas, car ils ne veulent pas d’autre programme de gouvernement que le leur, dans toute sa pureté : passer de la révolte à la révolution, comme le veut la doctrine trotskiste.
Parmi les ratés il y a eu aussi quelques évènements remarquables. Pour donner quelques exemples le patron d’Horizon maire du Havre Edouard Philippe s’est désisté en faveur du candidat du Nouveau front Populaire, qui heureusement n’est pas LFI, puisqu’il est simplement « communiste » ; de quoi scandaliser quelques « extrémistes de droite » qui se rappellent que le communisme a fait aussi bien que le nazisme dans les massacres, les déportations et la dictature quotidienne. Le PCF est sûrement respectueux des « valeurs de la république », et quel dommage d’avoir à déplorer la défaite de Fabien Roussel Président du Parti Communiste Français, battu dans le Nord par le RN. Un autre exemple est celui de ce candidat LFI dans la Somme qui accuse les Israéliens d’avoir drogué des enfants palestiniens du Hamas. Un autre raté, du moins à nos yeux, est l’écho des deux déclarations de deux grands joueurs de la grande équipe de France dont nous espérons pour le coup qu’elle soit battue ce soir :M’bappé et Kundé, ils n’ont pas manqué l’occasion de l’interview télévisé pour dire aux Français d’aller voter, et ont précisé contre le RN : «On ne peut pas laisser notre pays entre les mains de ces gens-là » dit celui qui quitte la France pour aller jouer gratuitement à Madrid et se trouve donc solidaire des victimes des riches dénoncés heureusement par « l’extrême gauche » puisqu’il donne cette précision.
L’arme de l’hégémonie
Plusieurs journalistes consciencieux (il y en a sur quelques chaînes d’information) ont évoqué « l’hégémonie » de la campagne. Cette expression traduit le fait qu’il y a un sens unique : tout peut se dire, et sans nuance, contre « l’extrême droite » de Jordan Bardella. En revanche il n’est pas décent de relever les erreurs et les mensonges des gens d’en face.
Nous pourrions parler plutôt d’asymétrie : il y a deux poids et deux mesures.
C’est par exemple la dénonciation de candidats NR tenant des propos « inadmissibles » alors que rien n’est dit des propos inadmissibles de la gauche. Le très modéré et très honnête Glucksmann a relevé 130 candidats NR, alors que Bardella sans doute de très mauvaise foi n’a reconnu que cinq candidats qui ont été exclus du parti NR. Le rassemblement National a un programme nul et remis sans cesse en cause par ses auteurs alors que les mesures de la gauche plurielle et d’Ensemble pour la République serait marqués au sceau du bon sens.
une autre arme est la couverture médiatique de Gabriel Attal : il est partout, il va partout. Après l’attaque (sans doute de jeunes fascistes) de Saint Maur il se trouve à point nommé aux côtés de la Ministre de la Communication sauvagement agressée. Où en est l’enquête, qui sont ces mineurs ? Comme l’a fait remarquer à juste titre Robert Ménard, maire de Béziers régulièrement réélu, on peut dire n’importe quoi à propos de la droite mais rien ne peut se dire contre la gauche, et même pas pour les gens du LFI. Il n’y a qu’un terrain sur lequel la gauche est un peu bousculée, c’est celui de l’antisémitisme ou de l’antisionisme : le Hamas et le Hezbollah n’ont pas encore été totalement blanchis aux yeux de l’opinion publique. Mais excusez du peu : c’est précisément sur ce terrain que se concentre la propagande anti-NR, en recherchant ce qui a pu être dit par Jean Marie Le Pen il y a quelque quarante ans.
La majorité négative
C’est la dernière innovation, elle est remarquable, même si elle donne une idée assez surprenante de la démocratie. Si le RN recueille un tiers des suffrages, c’est que les deux tiers des Français le rejettent sans appel. Donc la démocratie exige de refuser la moindre parcelle de pouvoir à « l’extrême droite ».
On ne s’étonnera pas que cette innovation soit pain béni pour Gabriel Attal. Voilà qui donne un poids à son projet de gouvernement d’union républicaine, voire même d’union nationale, avec bien entendu l’apport des désistements des candidats d’Ensemble et de la gauche modérée.
Les libéraux ont la mauvaise habitude de contester l’assimilation de la démocratie au pouvoir intégral de la majorité, ils sont surtout intéressés par la limitation des pouvoirs de la majorité et par le respect des droits de la minorité allant jusqu’aux droits individuels et naturels des êtres humains.
« L’arc républicain » et les « Valeurs de la République »[2] empoisonnent la démocratie française depuis des lustres. Si on y ajoute la nécessaire référence au gaullisme, on comprend le blocage de la société française autour de l’étatisme et du socialisme et le succès de la pensée unique. En route pour un Premier Ministre comme Glucksmann et Bertrand,et Bayrou, et Attal aussi : ils sont prêts à faire le sacrifice de leur corps[3],
La vraie campagne
Pour autant ce serait miracle qu’un gouvernement Bardella ramène la paix et la prospérité dans notre pays. Tout d’abord parce que les gauchistes, écologistes, communistes st syndicalistes ne cesseront de perturber le pays, de descendre dans la rue et de bloquer les communications : c’est la « démocratie populaire ». Dans l’immédiat la France est un pays ingouvernable.
Ensuite parce que le plan du Rassemblement National n’a aucune cohérence sur deux points fondamentaux : les retraites et le protectionnisme. L’ignorance économique de nos politiciens (et de beaucoup de Français crédules) est un drame. Le contrôle de l’immigration ne se fera pas non plus en quelques mois, ni l’assimilation des « bi-nationaux ».
Enfin parce que la vraie campagne n’a pas été seulement amorcée. David Lisnard l’a rappelé dans son interview nocturne hier au soir[4] : dégager le pays de l’étatisme, du jacobinisme, du dirigisme, réduire le domaine de l’Etat au seul régalien. Il faudra bien qu’on ouvre enfin cette campagne, les libéraux s’y engagent et s’y emploient dès maintenant5.
[1] Ce concept nouveau a été expliqué dans l’article d’actualité du 2 juillet : Désistements : vers une assemblée partielle. Gabriel Attal justifie son soutien au NFP : une nouvelle façon de gouverner
[2] Cf. L’article de J.Garello : catégorie fondamentaux « les valeurs de la république »
[3]Expression jadis utilisée pour rappeler les mots du Maréchal Pétain légalement investi en 1940 par les socialistes et les gens du « Front Populaire » pour sauver les Français d’une défaite préparée par la droite et la gauche les plus stupides du monde.
[4] Cf l’article d’Actualité de Jacques Garello : « La pensée unique aime la coalition, mais flatte encore le LFI »