Bruno Le Maire était optimiste, et il le reste malgré tout. Depuis quelques jours il affirmait que rien ne justifiait le déclassement de la France par les agences de notation financière. Il était trop optimiste : non seulement la France est déclassée de AA à – AA mais le déclassement vient de l’agence Standard & Poor’s, la plus appréciée par les financiers, Bruno Le Maire ayant contesté le déclassement de l’agence Fitch il y a deux ans, d’après lui moins qualifiée. Mais Bruno Le Maire se veut rassurant : le déclassement permet à l’Etat français de rester dans la catégorie AA, c’est-à-dire des débiteurs fiables : « nous passons d’une note de 18/20 à 17/20 ».
La faillite des finances publiques
Cette suffisance, cette auto-satisfaction est évidemment démentie par les chiffres officiels
– Le déficit budgétaire sera 5,3 % en 2024 (source FMI), l’objectif européen est 3 %
-La dette publique totale a atteint le niveau de 111% du PIB (le taux maximum fixé par les accords européens était de 60%), elle se monte à plus de 3.200 milliards d’euros
-Le service de la dette (paiement des intérêts annuels, argent définitivement perdu) représente 60 milliards d’euros, le plus gros poste de dépenses dans le budget de l’Etat.
Mais les chiffres peuvent tromper ou être manipulés. Par exemple, dans un graphique officiel, on constate que le service de la dette rapporté au PIB ne cesse de diminuer en France, la raison en est que la dette augmente plus vite : Bercy nous rassure.
La réalité est que le déclassement de la France se traduira tôt ou tard par la hausse des taux d’intérêt exigé par les prêteurs, car l’Etat français de 2030 ne leur semble pas aujourd’hui plus économe que celui de 2024. Là encore, l’optimisme règne à Bercy et dans la majorité actuelle : l’objectif pour la fin du quinquennat demeure toujours 3% de déficit seulement et stabilisation de la dette. D’ailleurs Bruno Le Maire insiste sur le caractère conjoncturel de la dette actuelle et sur l’importance des mesures d’économie introduites depuis quelques jours : réduction de l’indemnisation du chômage et des aides aux entreprises : au total 20 milliards d’économies en 2025. Ces prévisions sont encore trompeuses : d’une part elles ne concernent pas seulement le déficit du budget mais aussi le celui de la Sécurité Sociale, d’autre part leur détail ne sera connu qu’après le 9 juin, à savoir pourquoi.
Le fond du problème est que depuis des décennies la politique économique a consisté à dépenser un argent que l’on n’avait pas. Cela a commencé en 1974 avec Valéry Giscard d’Estaing, tenu pour « libéral », mais s’est accéléré depuis la présidence Macron. D’ailleurs une rixe fratricide a éclaté au début de la semaine entre Bruno Le Maire et Pierre Moscovici, président (socialiste) de la Cour des Comptes : « Le déficit a quasiment doublé en quatre ans »[1].
Faire des économies ?
Le fond du problème c’est que la France est en déficit parce que l’Etat veut s’occuper de tout. Dans le classement mondial de l’indice de liberté économique la France est classée 62ème sur 173 pays[2].
« Faire des économies » n’est pas une solution : dans son état actuel la France ne peut devenir « frugale » comme la Suisse, les Pays Bas, la Suède, le Danemark ou l’Autriche. La faillite de la France exige avant tout le retrait de l’Etat qui prend en charge non seulement des activités que le privé gère bien mieux parce que la responsabilité et la concurrence opèrent, mais aussi des activités stupides et démagogiques comme la transition énergétique. Il faut rompre. Les finances s’en porteront mieux, mais surtout les Français, jeunes et vieux. Aux jeunes on offre aujourd’hui des perspectives de désespoirs, que l’on associe naturellement à la fin de la planète, une catastrophe permettant d’en oublier une autre. Aux personnes âgées on offre des retraites amputées et des services publics de santé, de transport inaccessibles.
Fin du septennat ?
Mais, là encore, Bruno Le Maire se surpasse : à l’occasion de l’anniversaire de son septennat cette semaine, il calme le jeu « On ne va pas se laisser divertir par le décisions des agences » et il lâche enfin son vrai diagnostic : « Les Français ne croient pas au plein emploi » cela signifie qu’ils ont le choix entre travailler et profiter de la protection. « A modèle social constant on ne peut pas arriver au plein emploi. Il faut donc passer d’un Etat providence à un Etat protecteur »[3].
Comprenne qui pourra, mais la communication a toujours été le grand art de notre brillant ministre de l’économie. Il est capable de faire et de dire tout et son contraire. Il a toujours traité les grands problèmes nationaux et mondiaux du haut de son intelligence. C’est lui qui a gagné la bataille contre les GAFAM et qui a convaincu les Américains d’exiger un taux mondial unique de fiscalité et une taxe sur les milliardaires.
La France et le monde ne peuvent se priver de ce génie politique. Avec la mauvaise foi qui le caractérise, Eric Ciotti a osé dire : « Voilà où nous mène la piteuse gestion des finances publiques du duo Macron/Le Maire ». Mais le duo va-t-il survivre au cataclysme du 9 juin ? Emmanuel Macron, qui demeure le chef, peut jeter en pâture son meilleur compagnon, son meilleur ministre, pour préparer une fin de quinquennat tranquille et relever la réputation financière, diplomatique, sécuritaire de sa France.
[1] Une autre curiosité aura été qu’Eric Woerth, qui n’a cessé de dénoncer les déficits quand il a été président de la Commission des Finances (puisque membre de l’opposition LR à l’époque), s’est rallié à Emmanuel Macron. Pierre Moscovici est également un « rallié » venu du PS.
[2] Cf. notre article Diffusion du 7 mai France la nation la plus pauvre parce que la moins libre
[3] Citation extraite d’un article d’Anne de Guigné dans le Figaro du 31 mai Standard &Poor’s dégrade la note de la dette française de AA à -AA.