L’hebdomadaire Valeurs Actuelles de jeudi dernier 8 juin a offert à ses lecteurs un article de quatre pages dont le titre est explosif : « Désunion des droites ». L’article est d’autant plus d’actualité qu’il s’est dit qu’une désunion règnerait aussi au cœur-même de Valeurs Actuelles, entre la rédaction et les propriétaires du magazine.
Mais, au-delà des journalistes et du lectorat de Valeurs actuelles, la désunion de la droite aurait-elle une influence sur la crise politique que traverse notre pays ? Certes beaucoup de commentaires courent actuellement sur le progrès de la droite, et surtout de l’extrême droite. Dans plusieurs pays de l’Union Européenne : en Italie, Espagne, et surtout Allemagne les électeurs se portent de plus en plus sur des candidats de la droite réputée la plus extrême. Ces commentateurs ignorent que les Français sont en avance d’une bonne longueur sur ces autres pays, puisque Marine Le Pen et Jordan Bardella ont conduit le Rassemblement National à près de 45 % des suffrages exprimés.
Ils ignorent aussi que le premier parti de France est celui des abstentionnistes et la somme des votes rejets se reportant sur le RN, des votes nuls ou blancs (toujours pas comptabilisés) et des amateurs de pêche le dimanche rassemble actuellement une bonne moitié du corps électoral français. Dans cette arithmétique élémentaire, quelle importance a réellement une « désunion de la droite » ?
Quelle droite ?
Je me pose la question d’autant plus que Valeurs Actuelles ne retient qu’une droite particulière, qui se limite à seulement trois courants : Le Rassemblement National, le parti de la Reconquête (Zemmour et Marion Maréchal Le Pen) et ce qui pourrait rester de LR (avec en particulier François Xavier Bellamy qui avait bien réussi lors des dernières élections européennes). Je ne vois pas la cohérence de cette droite, sauf qu’elle est unie contre le libéralisme, entendu en un sens tellement large qu’il inclurait le macronisme.
S’agissant du RN la droite signifie souverainisme et « progrès sociétal » S’agissant de la Reconquête la droite réactionnaire souhaite le retour au passé, son président Eric Zemmour a condamné sans ménagement les libéraux, et Marion Maréchal, vice-présidente, forme à l’ISSEP à Lyon les « dirigeants de demain », mais quel CAP (Centre d’Analyse et de Prospective) leur donner ?1 Enfin s’agissant de François Xavier Bellamy il se veut conservateur plutôt que libéral, comme si les libéraux étaient des révolutionnaires ignorant des valeurs humanistes fondamentales2.
En réalité, la référence à la droite, quelle qu’elle soit, n’a pas beaucoup de sens dans un pays où les gouvernements dits « de droite » appliquent, avec autant de constance et d’échecs que la gauche, une politique héritée de l’année 1944 et, sans doute depuis 1933 : du socialisme fondé sur la théorie de la lutte des classes et le recours à l’Etat Providence. Ce socialisme, il est vrai, a pu se décliner avec des intensités variables allant depuis une social-démocratie tempérée (Queuille, Mollet, Pleven sous la 4ème, Giscard et Barre 1978) jusqu’au communisme intégral (Mauroy 1981) en passant par les gaullistes (Debré, Villepin, Chirac, Sarkozy). Même si la gauche s’est radicalisée au point de nous valoir la NUPES, le RFI, les Verts, la droite n’a jamais été libérale, en dépit de victoires électorales prometteuses (comme en 1986, 1993, 2007) mais sans lendemain puisque les élus n’ont jamais respecté leurs programmes électoraux. Pendant les récentes décennies, la droite et la gauche se sont fait élire grâce au « pacte républicain », qui consiste à se liguer contre la famille Le Pen, née dans le poujadisme, et triomphante dans le populisme.
C’est la raison pour laquelle j’enrage quand on présente des personnalités libérales comme « de droite », car la victoire n’est pas à remporter sur la gauche, mais sur le socialisme.
L’offre politique nouvelle
Ce que la plupart des hommes « de droite » n’ont pas compris c’est qu’ils ne remporteront pas les élections en recherchant les voix d’un centre mou ni de la droite du RN ou du LR. Plus de la moitié des électeurs attendent une offre politique nouvelle. Je ne vois pas d’autre offre que celle du libéralisme, puisque c’est la seule qui devrait signifier la salutaire rupture avec le socialisme et son cortège de dirigisme, de centralisme, de collectivisme, et – depuis quelques années – de communautarisme islamique et de terrorisme écologique.
La nouveauté serait en effet totale, et la rupture complète. Mais où sont donc ces électeurs libéraux ? A la recherche d’élus libéraux, il faut trouver des électeurs libéraux (je site souvent cette évidence de Laboulaye). Ils existent incontestablement : ils ne votent pas, ou n’émettent que des votes rejets. Ils ne constitueront pas une majorité aux législatives mais un groupe parlementaire suffisant pour jouer un rôle stratégique, notamment en 2027 pour les présidentielles (dont la campagne est désormais ouverte depuis la déclaration de Laurent Wauquiez)3
C’est la raison pour laquelle la stratégie libérale qui s’impose aujourd’hui est de réveiller et organiser la société civile, celle qui n’a que faire d’une classe politique dépourvue de compétence et de courage. Pour convaincre cet électorat potentiel il ne manque pas d’arguments :
– sans doute les difficultés économiques mais aussi, plus grave encore, la décivilisation porteuse d’inconscience, de haine, de violence.
– la conjoncture mondiale faite de guerre et d’affrontements périlleux sans que se constitue le bloc des pays libres contre les dictatures russe, chinoise, iranienne, africaines, latino-américaine. Si on veut la paix il faut préparer la guerre.
– la réussite exemplaire de plusieurs réformes libérales dans de nombreux pays libres : liberté scolaire, retraites par capitalisation, système de santé libéral et concurrentiel, logements multipliés par la liberté d’investir et le respect de la propriété, privatisation des transports, fiscalité proportionnelle et non plus progressive, simplification bureaucratique et fin de l’inflation législative
– la remise en cause de l’Union Européenne, avec des objectifs et des pouvoirs exorbitants de la Commission de Bruxelles : on en reparlera sans doute bientôt, il faudrait que le libéralisme soit présent dans le débat des élections européennes, l’an prochain.
Si les électeurs libéraux reprennent l’espoir, puis retrouvent un engagement, il ne manquera sans doute pas de candidats libéraux, pour les législatives comme pour la présidentielle. Des personnalités de premier plan, tel David Lisnard, ont déjà affirmé publiquement leurs convictions libérales en signant le manifeste « réformer pour libérer »4.
L’offre politique libérale est nouvelle et s’organise à la base : de bas en haut. C’est la fin de « l’exception française » qui n’a que trop duré : des siècles de pouvoir venu d’en haut. 5
1 L’ISSEP se présente comme un Institut Universitaire destiné à mettre fin à ce qui se passe dans les Universités publiques « dominées par l’extrême gauche et le wokisme ». Il ne peut se confondre avec Institut de Formation Politique, créé et dirigé depuis des décennies par Alexandre Pesey, devenu l’an dernier Président de Contribuables Associés (dont le nouveau directeur est Benoit Perrin)
2La Nouvelle Lettre a évoqué la semaine dernière l’existence de l’Association des Economistes Catholiques qui comportent une large majorité d’économistes libéraux, dont votre serviteur (voir la catégorie Livres La famille a-t-elle aussi une dimension économique ?Des économistes catholiques s’interrogent sur ce lien (6 juin).
3Cf mon article d’Actualité du 13 mai Moi Président : Wauquiez est entré en campagne Son interview au Point s’inspire davantage de l’électoralisme que du libéralisme
4 Quelques belles signatures dans le communiqué passé au Figaro le 29 avril 2022 à la veille du deuxième tour des présidentielles
5 Evidemment on ne peut que s’en remettre ici à l’ouvrage du Vice-Président de l’ALEPS le Professeur Jean Philippe Feldman « L’exception française : de l’Ancien régime à Emmanuel Macron » Odile Jacob,éd.2022